Il est des manifestations, des luttes, dont l’importance dépasse le décompte numérique. Que l’on soit une dizaine de milliers de manifestants sous la neige pour une Marche des Solidarités des plus réussie, à Paris le 17 mars ; quelques unEs à vouloir apporter une aide concrète aux migrantEs un peu partout sur le territoire; un millier à rejoindre Menton pour détruire toutes les frontières ; des centaines à s’organiser dans des Collectifs de Sans Papiers ; des dizaines d’étudiantEs qui luttent contre la sélection sociale et policière, pour que tout le monde puisse s’inscrire à la fac et qu’une carte d’étudiant = une carte de séjour ; des réfugiéEs et leur soutiens qui multiplient les occupations d’amphis ou d’hôtels, les ouvertures de squats, les militantEs d’Act-Up Paris qui (ré)affirme que l’épidémie est politique et qu’elle touche en premier lieu les migrantEs et les personnes issues de migrations ; ou plusieurs milliers à défiler sous le soleil le 7 avril contre le projet de loi « Asile / immigration 0 » de Macron et son Collomb à l’appel d’une coordination nationale de sans papier: tout cela ne peut se comprendre que si l’on inscrit cette séquence dans une période, un cycle de lutte, (et à l’échelle européenne d’ailleurs, comme le montre la multiplication des luttes et la construction de la marche du 17 mars un peu partout sur le continent – voir par exemple l’article Manifestation internationale antiraciste et antifasciste du 17 mars 2018 : un aperçu de la mobilisation en Grèce.).
On ne débat pas, on lutte !
En France, on peut prendre pour point de départ le « démantèlement » de la « Jungle », et des campements à Paris. L’éclatement des migrantEs sur le territoire à multiplier les lieux où s’organise la solidarité. De Calais à Vintimille en passant par Briançon. Il faut être décérébré et dépourvu d’humanité comme un soldat de Frontex, un CRS, un éditorialiste ou un député de la Vème République Française pour penser qu’il en serait autrement. Et croire que les « vrais gens » pourraient « débattre sereinement » de l’accueil inconditionnel d’êtres humains. Ou pire que celui-ci serait un « délit de solidarité ». Il est des sujets dont on ne débat pas. Que l’on soit unE « BoboE » du comité de Solidarité aux migrantEs de Paris Centre ou un berger de la vallée de la Roya, un sans papier du 20ème ou unE enfant d’immigréE(s) d’une cité, du 20ème ou d’ailleurs. On ne débat pas, on fait, on lutte.
Des manifs à Calais à celles de Paris en passant par Menton ; des émeutes contre un meurtre policier à la longue et patiente lutte pour qu’il n’y ait « Ni oubli Ni pardon » (je pense à toi Pipo, assassiné au Mirail par la Police nationale en 98 et dont l’acquittement des meurtriers a eu lieu un certain 11 septembre 2001 – nous étions quelques unEs à manifester contre ce jour là, la plupart avait la tête ailleurs) ; des luttes pour les indépendances à celles contre le néocolonialisme et le racisme d’Etat, nous savons que la lutte contre les frontières, et le racisme à qui elle donne corps, s’inscrit dans la durée, malgré l’urgence immédiate de les abolir, car tous les jours elles tuent.
Comment faire ?
Alors oui, le seul vrai débat est « Comment faire » ? Comment faire de la solidarité sans se substituer à l’Etat et à ses relais ? Comment être « dans le concret », écrire une lettre au préfet, monter des dossiers, constituer des collectifs de luttes, sans tomber dans le cas par cas, même collectif ? Comment concilier l’urgence de survivre dans ce monde et l’urgence de changer de monde ?
Et la réponse, comme toujours, nous vient des premièrEs concernéEs. Les adolescents du collectif AutonoMIE à Toulouse (qui regroupe des Mineurs Isolés « Étrangers », qui occupent un hôtel ou sont hébergés par un réseau de solidarité) l’ont exprimé mieux que personne quand la Mairie leur a proposé un deal pour en inscrire certains dans les dispositifs de l’aide à l’enfance mais pas les autres: « Nous sommes tous dans le même bateau, nous ne pouvons pas laisser les autres se noyer sans rien faire ». Nous voulons tout (papiers, logement, liberté…) pour tous. Tout de suite. Et on s’en donne les moyens. On a compris que ce n’est que par la lutte que l’on gagne et que nous n’aurons que ce que nous saurons arracher.
Les expériences qui se forgent, les collectifs qui éprouvent la puissance de la lutte, de l’action militante, la prise en charge par les premierEs concernéEs de questions éminemment politiques (le logement, la santé, la répression, le racisme,…), sont les points d’appui qui du 17 Mars au 7 avril on permit que s’ancre dans le réel la mobilisation contre le projet d’extrême droite porter ce gouvernement et ce président élus pour soi disant faire barrage au FN. Et que donc, nos actions commencent à changer le réel.
Cette lutte, cette victoire indispensable qu’il faut sur le retrait pur, simple et définitif du projet « Asile / immigration 0 », est une composante essentielle du mouvement de fond pour dégager Macron, son gouvernement et sa politique. C’est le sens du slogan « Même Macron, même combat », dont nous nous efforcerons de faire vivre l’esprit dans les semaines et mois qui viennent qui promettent d’offrir d’innombrables occasions d’articuler concrètement différents fronts de luttes, ancrés dans le réel, car patiemment construits , à partir des réalités et des luttes des premierEs concernéEs (qu’ils soient cheminotEs ou sans-papiers, voir cheminot sans-papier) et de leur soutiens. C’est l’enseignement que nous tirons de la séquence, c’est l’éclairage qu’il offre sur la période qui s’ouvre. Le renouveau d’un mouvement antiraciste capable d’intégrer les différentes luttes contre le racisme d’Etat, plutôt que rechercher le slogan magique qui ferra « converger », nous offre une perspective stratégique : développer partout nos luttes, et, de ces positions durement acquises, mener la bataille sans relâche pour dégager Macron, participer à la guerre contre le capitalisme qui détruit nos vies.
Cela signifie aussi que la lutte antiraciste se doit d’être une préoccupation constante des mouvements et organisations en lutte contre ce pouvoir qui nous a déclaré la guerre. Il n’est par exemple pas pensable qu’un camarade sans papier, ayant mené une grève de 45 jours contre un sous traitant de la SNCF, syndiqué (et pas à la CFDT), n’ose pas dire à ses camarades de syndicats qu’il n’as pas de papiers… et pourtant.
Ancrer, amplifier, articuler les fronts de luttes ; gagner contre Macron et sa loi!
C’est donc tous ensemble qu’il nous faut amplifier la mobilisation contre Macron, Collomb et leur loi inhumaine, pour l’accueil inconditionnel de toutes et tous, pour la liberté de circulation et d’installation, pour la fin des violences policières et de l’arbitraire préfectoral. La séquence de manifestations et de lutte que nous connaissons sur le sujet nous montre qu’il existe de solides bases.
Et pour notre part, même si nos camarades ont exprimé publiquement nos désaccords, sur la forme (la construction de la mobilisation) et le fond (les revendications), avec les organisaTRICEs de la manifestation du Dimanche 15 Avril contre le projet de loi« Asile / immigration 0 », nous y participerons, sur nos propres bases (retrait du projet, ,accueil inconditionnel, liberté de circulation et d’installation). Nous construirons cette date, venue d’en haut, comme chaque date qui permet d’exprimer notre refus de cette loi inique et meurtrière. Nous proposerons cette manifestation aux collectifs de luttes dans lesquelles nous sommes investiEs. En espérant qu’elle s’inscrive dans le mouvement actuel, la renaissance d’un mouvement antiracistes par en bas, à partir des luttes et organisations dont se dotent les premierEs concernéEs, qui permette aux migrantEs, aux sans papierEs, aux immigréEs et à leurs enfants de prendre toute leur nécessaire place dans la lutte contre Macron et son monde, condition indispensable pour espérer gagner.
TPP, 11 Avril 2018