« Peuple français tu as tout vu » disait le poète Kateb Yacine à propos du massacre des Algériens par la police à Paris le 17 octobre 1961.
Deux hommes sont morts à Opéra le 12 mai dont l’un abattu par un policier. Et la parole du pouvoir et les médias tournent en boucle avec les mêmes mots : bravoure des policiers, menace des réfugiés, responsabilité du Coran (!), renforcement des mesures sécuritaires…
Des témoins à la pelle passent à la télé, on filme les traces de sang, le préfet communique, la police « scientifique » enquête, Jupiter-président déclare, des pseudo-experts soliloquent à n’en plus finir dans les lucarnes médiatiques. Des flics, cagoulés, font des descentes dans une cité populaire de Strasbourg, dans un hôtel meublé du 18è à Paris.
Et il y aura encore plus de flics armés dans les rues, plus de contrôles au faciès dans nos quartiers, plus de confiance pour appuyer sur la gâchette, plus d’impunité policière, plus de pression sur quiconque ose s’attaquer à l’Etat policier. Et il y aura alors plus de morts.
Un homme est mort le 1er mai. Des témoins disent qu’il a été tabassé à mort par des policiers. Avez-vous entendu le pouvoir et les médias tourner en boucle avec ces mots : violences policières, police gangrénée par le FN, racisme d’Etat, entraves à la liberté de circuler… ? Avez-vous vu les témoins, des enquêtes ?
Ismaïl BokarDeh était sans-papier. Il vivait en France depuis 18 ans, sans droits. Il avait failli être expulsé en 2008. Sa vie c’était de se rendre invisible. Pour pouvoir survivre. Il est mort suite à une intervention policière alors qu’il tentait de vendre des bibelots aux touristes au Château de Versailles.Ca vaut quoi la vie d’un invisible ? Noyé en mer ou frappé sur un trottoir de France ?
La boucle tourne. Ce système raciste etl’Etat policier se renforcent, fabriquent la peur et le racisme pour se légitimer. Les flics qui tirent sur les jeunes dans les quartiers, sur les migrants sur nos trottoirs sont les mêmes qui matraquent avec de moins en moins de retenue cheminotEs, postierEs et étudiantEs.
Alors combien faudra-t-il de morts encore pour dire stop ? Nous étions 300 avec les collectifs de sans-papiers et les familles de victimes vendredi 11 mai à proximité du ministère de l’intérieur pour exiger vérité et justice. Parce que, selon les mots d’Anzoumane Sissoko « Ismaïl Deh faisait partie de la grande famille des sans-papiers ». Il n’était pas une ombre, un sans-nom. Sa mort n’est pas un accident. C’est un crime.
Alors combien de morts faudra-t-il encore pour que le mouvement qui manifeste pour la justice sociale se mobilise aussi aux côtés des sans-papiers, des jeunes des quartiers ?
Parce que sans ça, il y aura suffisamment de désespoir pour que les uns tournent leur rage contre les autres et que les autres tournent leur peur contre les uns. Et que nous en sortions toutes et tous broyéEs par ce pouvoir et sa police.
« Peuple français tu as tout vu. Oui tout vu de tes propres yeux. Et maintenant vas-tu parler ? Et maintenant vas-tu te taire ? »
Denis Godard, le 13 mai 2018