L’antifascisme au coeur de nos luttes

Manifestation d’UCFR (Uni-e-s contre le fascisme et le racisme) contre VOX à Barcelone à l’occasion de la journée internationale contre le racisme le 16 mars
Si nous militons aujourd’hui avec enthousiasme dans une période pleine de possibilités d’émancipation, nous vivons également une période pleine de dangers. C’est dans le même temps : soulèvements et grèves de masse, luttes pour les droits, contagion de la révolte aux quatre coins du globe ; mais également crise générale du système capitaliste, militarisme, répression, offensive réactionnaire et raciste. Révolution et contre-révolution ; socialisme ou barbarie. Le fascisme, forme la plus extrême de la dictature du Capital, représente un danger mortel pour notre classe et ses luttes.

Pourquoi parlons-nous d’un danger fasciste aujourd’hui ?

L’une des premières choses à dire si on souhaite parler de fascisme en 2020 c’est qu’on pense comme Georges Orwell que « lorsque les fascistes reviendront, ils auront le parapluie bien roulé sous le bras et le chapeau melon. » En effet, après les atrocités et le bilan calamiteux du 20ème siècle, les fascistes ne peuvent pas se présenter aujourd’hui sous les mêmes dehors que leurs aînés. Pas s’ils souhaitent sortir de la marginalité1https://www.autonomiedeclasse.org/antifascisme/existe-t-il-un-danger-fasciste-en-france/.

Or aujourd’hui on est forcé-e-s de constater que des fascistes ont acquis une audience de masse. Marine Le Pen est arrivée deuxième au second tour en 2017 avec plus de 10,5 millions de voix, et dans une région comme l’Alsace, lors du premier tour des présidentielles, le FN est ressorti vainqueur. En 2017 en Allemagne, l’AfD est devenue en un temps record la troisième force politique, tout en organisant des manifestations ouvertement racistes voires nazies sous l’impulsion de son aile fasciste “der Flügel” (“L’aile”). En Espagne, Vox, formation d’extrême-droite irriguée par des fascistes, est devenue la troisième force politique au Parlement en novembre 2019. Ces résultats électoraux témoignent d’une progression de l’extrême-droite qui est sans précédent depuis les années 19302https://www.autonomiedeclasse.org/antifascisme/le-fascisme-en-europe-aujourdhui/.

Elle a lieu dans un contexte où depuis plusieurs décennies, nous assistons à une crise économique et une offensive néolibérale qui n’ont fait qu’affaiblir les compromis politiques et sociaux hérités de l’après-guerre. Ugo Palheta explique ainsi que le fascisme est avant tout le produit “d’un aiguisement des contradictions fondamentales du capitalisme et des phénomènes de décomposition économique, politique et idéologique3https://www.autonomiedeclasse.org/antifascisme/le-fascisme-reinvente/”. En effet, la bourgeoise n’a eu de cesse durant cette période d’intensifier l’exploitation et de s’attaquer à la vie quotidienne des populations, à leurs services publics. Elle n’a eu de cesse de restructurer la société pour la mettre au pas, tenter d’éteindre les résistances. Incapable depuis 40 ans de rétablir de manière satisfaisante ses profits, elle a néanmoins ébranlé aux dernières limites le consentement de la population à ses contre-réformes.

Les pouvoirs étant de plus en plus impopulaires, la réponse des gouvernements est une répression de plus en plus intense : État d’urgence dans le droit commun, carte blanche à la police, mort-e-s, mutilé-e-s, enfermé-e-s. Cette situation où la base sociale du pouvoir est en train de s’effriter et de se réduire toujours plus à “un cabinet de DRH entouré de lignes de CRS” est périlleuse. Elle crée une polarisation du champ politique qui ouvre d’une part la voie au renversement de ce pouvoir illégitime et du capitalisme par les exploité-e-s et les opprimé-e-s. Mais elle l’ouvre potentiellement aussi aux fascistes qui se présentent comme des opposants à Macron et même comme “anti-système”, mais qui sont les ennemis de toutes nos luttes, et un danger mortel pour les organisations de notre classe (syndicats, associations, organisations politiques, presse indépendante …)

Le 29 mars 1999, une manifestation de 50000 personnes contre un congrès du FN a lieu à Strasbourg. Aux présidentielles de 1995, JM Le Pen était déjà arrivé en tête dans le bas-rhin avec 25% des voix.

En France, le RN tire profit de cette polarisation. Grâce à une stratégie de “respectabilisation” il a réussi à influencer des millions de personnes et à orienter à son avantage le champ politique. Il s’agit pourtant d’un parti fasciste issu de la Collaboration depuis sa création dans les années 1970. En France c’est le parti qui a réussi à fédérer les différents courants de l’extrême-droite, jusqu’à en devenir le “vaisseau amiral”. Dirigé par un noyau dur fasciste, il a pu imposer ses thématiques racistes, centrées sur l’immigration comme principale responsable du chômage. De la même manière que le nazisme vis-à-vis de l’antisémitisme, il a su renforcer et se renforcer à travers l’offensive islamophobe et les politiques anti-migratoires. De Sarkozy à Valls et maintenant pour Macron, c’est bien l’extrême-droite en général et le FN qui étaient et restent la principale source d’inspiration du “ministère de l’Identité nationale et de l’immigration”, de la répression d’État contre les musulman-e-s et de la la loi asile et immigration de 2018.

Combattu à différentes périodes mais jamais de manière décisive, le FN a développé son audience électorale dans le sillage de la restructuration néolibérale de la société jusqu’à devenir un prétendant sérieux au pouvoir. Mais si ce dernier a toujours cherché à se rendre respectable, il entretient néanmoins des liens avec un mélange hétéroclite de groupuscules (identitaires, nationalistes, royalistes etc.) et de milieux activistes violents qui passent des paroles aux actes. Entre projets terroristes contre les musulman-e-s, attaques de mosquées à Brest ou à Bayonne, activisme de groupuscules comme Génération identitaire, Bastion social (pourtant officiellement dissout), Action française, et la Cocarde en milieu étudiant, les fascistes ont aujourd’hui acquis une confiance intolérable.

Notre antifascisme

se défendre quand on nous attaque

Aujourd’hui la lutte antifasciste doit être une défense active. Elle consiste à ne pas céder un pouce de terrain à un courant dont le projet est de nous détruire. Partout où l’extrême-droite se manifeste, où les groupuscules fachos attaquent, nous répliquons.

Si des piquets de grève, des occupations, des rassemblements ou des AG étudiantes sont attaquées, c’est l’ensemble de notre classe qui doit répondre. À Nanterre quand la Cocarde attaque une AG étudiante, ce sont les grévistes RATP présent-e-s sur place qui repoussent l’attaque. Quand les étudiant-e-s strasbourgeois-e-s sont attaqué-e-s par l’Action française comme le 12 décembre 2019, ce sont des étudiant-e-s, des profs, des gilets jaunes, des syndicalistes, des migrant-e-s qui se rassemblent pour manifester leur solidarité antifasciste. Face au développement des groupuscules fascistes sur les campus universitaires, la réponse c’est donc non seulement l’autodéfense mais aussi les rassemblements de solidarité, les tractages, les motions intersyndicales, l’interpellation directe de la présidence de l’université etc. La construction de cadres antifascistes dédiés à cette tâche fait ainsi partie intégrante de notre intervention sur les universités. À Strasbourg, à Nanterre, à Tours, à Lyon etc. on dit : PAS DE FACHOS SUR NOS CAMPUS.

Philippot interdit de manifestation à Strasbourg en mars 2018.

Quand dans le cadre de la lutte contre la contre-réforme des retraites, Sébastien Chenu, député et porte-parole du RN, s’invite sur une action de blocage économique près de Valenciennes le 5 décembre 2019, il se fait dégager par des syndicalistes SUD et CGT et par des gilets jaunes. Comme le soulignait Martinez le 5 décembre, le RN et « les solutions des gens qui sont racistes ne sont pas les bienvenues dans les mouvements sociaux » avant d’ajouter que « le problème dans notre pays ce n’est pas l’immigration, c’est le partage des richesses ». Cette prise de position du dirigeant actuel de la CGT est salutaire et se décline dans la pratique. Ainsi quand un SO intersyndical dégage les fachos et les empêchent de fait de circuler en toute impunité parmi nous, on dit : PAS DE FACHOS DANS NOS MANIFS. 

Lorsque par ailleurs des groupuscules comme le Bastion social tentent de s’implanter en ouvrant des locaux, c’est par un contre-rassemblement le soir de l’inauguration, par l’alerte donnée à la presse et au mouvement social, par la mobilisation des habitant-e-s du quartier, que l’on peut obtenir des fermetures rapides. À Strasbourg c’est le troisième local du Bastion social qui ferme en deux ans grâce à l’expérience antifasciste accumulée depuis la lutte contre l’Arcadia en 20184https://www.autonomiedeclasse.org/antifascisme/faire-reculer-les-fascistes-construire-notre-autonomie/.

lutter contre le racisme

Dans toutes nos interventions nous insistons sur la nécessité non seulement de nous opposer à l’extrême-droite là où elle tente de s’implanter, mais aussi de combattre les politiques racistes qui lui ouvrent la porte. Car si des maires de commune qui accueillent des migrant-e-s subissent des intimidations, si des domiciles personnels, des mairies, des écoles, des lieux d’hébergement de migrant-e-s sont régulièrement menacés, si des anciens candidats FN ouvrent le feu sur des retraités musulmans, c’est bien que nous vivons dans une société où l’accumulation de politiques racistes a rendu possible ce genre de choses.

Vaincre politiquement le fascisme passera par un combat sans merci contre son principal moteur de développement : le racisme sous toutes ses formes, et notamment l’islamophobie. Lutter contre le fascisme implique donc de gagner des arguments et positions antiracistes dans le mouvement : aux côtés du comité Adama et des collectifs de lutte contre les violences policières, en soutien à l’auto-organisation des migrant-e-s et des sans papiers et à leurs côtés le 18 décembre5https://www.autonomiedeclasse.org/antiracisme/migrant%c2%b7es%e2%80%89-18-decembre-treve-ou-marche%e2%80%89/ ou le 21 mars6https://www.autonomiedeclasse.org/antiracisme/21-mars-en-france-on-est-la/, et aux côtés des premier-ère-s concerné-e-s lors de la marche contre l’islamophobie le 10 novembre 2019. Nous devons convaincre que chacun et chacune a les mêmes droits de se déplacer librement, de vivre décemment et où il/elle le souhaite, de travailler, d’étudier, de faire la grève, de se mobiliser et de protester. Nous devons argumenter sur l’ouverture des frontières et la fermeture des locaux fascistes et permettre aux parties les plus opprimées de la population de participer à la lutte et de se joindre au mouvement.

Si nous admettons que le danger fasciste est réel et qu’il faut le combattre, c’est parce que dans le cas inverse, nous ne serons pas en mesure de faire face à ceux qui s’attaquent aux femmes voilées, personnes racisées et aux migrant-e-s. En effet, nous défendons une stratégie où l’objectif est comme le dit Marx de devenir une « classe pour nous-même ». Cela passe par prendre conscience que nos intérêts coïncident avec celles et ceux qui subissent le plus les oppressions raciste, islamophobe, sexiste, lgbtiphobe…Et comme le dit très bien l’édito du bulletin N°10 : « Nous devons procéder à la mise en commun de nos intérêts, et arrêter de raisonner à partir des contraintes concurrentielles du Capital et des idées qu’elles impliquent (…) Accepter qu’on manque de moyens dans certains cas, c’est légitimer les attaques contre certain-e-s et c’est nous affaiblir tou-te-s7https://www.autonomiedeclasse.org/editorial/quest-ce-quon-veut-tout/».

Mai 2018 à Berlin. Alors que 5000 partisans de l’AfD se rassemblent, 25000 antifascistes déferlent dans les rues à l’appel de collectifs, syndicats, partis de gauche et de 100 clubs de Berlin qui déclarent : « nous sommes progressistes, queers, anti-racistes, inclusif.ves, et nous avons des licornes ».

un antifascisme pour les 99%

C’est pourquoi nous défendons la perspective stratégique d’un mouvement de masse contre le fascisme et le racisme. Notre antifascisme se doit d’être un mouvement large et ouvert, antifascisme pour les 99% où la riposte doit impliquer la majorité de la population et en son coeur l’organisation par en bas de notre classe : comités de quartiers, organisations antiracistes, de migrant-e-s, syndicats, travailleur-se-s, partis de gauche8https://www.autonomiedeclasse.org/antifascisme/le-mouvement-antifa-aujourdhui/. La lutte antifasciste ne peut pas se réduire à l’activisme de petits groupes. Le rôle des antifascistes les plus conscient-e-s et les plus actif-ve-s est au contraire d’impulser et de mettre leur expérience au service de cadres de lutte plus larges. La lutte prendra donc nécessairement des formes diverses : contre-rassemblements, manifestations, grèves politiques, campagnes de masse, mobilisation dans les quartiers, dans une fac, auto-défense face aux groupuscules violents, formations théoriques et événements festifs, action directe, défense collective, lutte juridique etc. du moment qu’elles partagent le même objectif : organiser notre classe pour faire face à la confrontation avec les forces les plus réactionnaires de notre société et remporter la victoire.

Alexandra, Florian, Paulina