Vu de Marseille – Crise sanitaire, crise sociale : comment le prix du confinement est payé par les plus dominé·es

Retour d'expérience

Vu à Marseille : "Pour la défense des travailleur.ses"

Texte qui rend compte de la situation marseillaise, avec des témoignages et des infos glanées chez des camarades, travailleuses sociales, personnes rencontrées pendant les maraudes, personnes détenues, etc. 

Il s’est passé maintenant une douzaine de jours depuis l’annonce officielle d’un confinement strict (17 mars 2020), régi par des autorisations de déplacement et une surveillance policière toujours plus accrue. 

À Marseille, comme ailleurs, la menace de la contamination est bien présente, mais la gestion totalitaire par le confinement a des conséquences dévastatrices. 

Celleux qui subissent déjà le racisme administratif (exclu·es du système d’asile, dubliné·es, celleux qui dépendent de l’arbitraire de l’OFII, etc) font partie des groupes les plus touchés par la situation actuelle. Beaucoup de demandeur·ses d’asile sans logement se retrouvent traqué·es par la police. Certain·es rencontré·es lors d’une maraude racontent qu’ils se font gazer tous les jours parce qu’iels sont dehors, et ils n’ont pas ou peu accès aux informations, notamment sur la fermeture des institutions et les changements que cela implique pour leur procédure d’asile. 

Le confinement détruit toutes les formes de survie économique faites de débrouille. Les associations qui distribuaient des colis alimentaires diminuent leur activité ou sont débordées, les lieux de récupération deviennent difficilement accessibles, le contrôle des sorties exclut celleux qui travaillaient au noir, et ceux et celles là sont souvent les plus ciblé·es par les contrôles de police. 

Les travailleur·ses du sexe, qu’iels exercent en appartement ou dans la rue, se retrouvent encore plus précarisées dans leur activité. 

Dans les quartiers Nord de la ville (13e, 14e, 15e et 16e), les arrondissements les plus pauvres, la situation ne fait qu’exacerber les oppressions structurelles. Il y a quelques jours, une prof de lycée de la cité des Rosiers (14e) a lancé une collecte de thunes et de matériel pour des familles qui vivaient de mendicité et de travail au noir parce qu’elle a peur que ses élèves « meurent de faim ». 

Les travailleur·ses sociales.aux témoignent du vide institutionnel : Ville, métropole, CAF, les pouvoirs publics ont quitté les quartiers, les laissant encore plus comme seul·es gestionnaires de la misère. Mais beaucoup des travailleur·ses sont conscient·es que s’iels s’en vont, iels seront remplacé·es par des bénévoles, actuellement recruté·es par l’État pour faire le sale boulot à leur place. 

C’est dans ces quartiers de la périphérie Nord, que vivent beaucoup de ceux et celles réquisitionné·es pour bosser : soignant·es, caissières, vigiles, chauffeurs de bus…autant de personnes qui doivent prendre tous les jours, pour se rendre au travail, des bus archi blindés où il est quasi impossible de respecter la distance de sécurité. La crise sanitaire vient révéler à quel point la desserte du réseau de transport marseillais est pourrie et inégalitaire…et dans certains quartiers du 15e arrondissement, les habitant·es sont obligé·es de prendre le bus pour aller faire leurs courses. La fermeture des resto du cœur dans le 15e et du gros marché aux puces où se rendaient beaucoup des habitant·e·s des quartiers autour met les gens dans une grosse galère. La police est hyper présente, et contraint les gens à se confiner par quartier en les empêchant de se déplacer pour des courses à bas prix. 

Dans les lieux d’enfermement

Au CRA de Marseille, le 27 mars il y avait encore 4 retenus : des sortants de prison transférés au centre selon le principe de la « double peine » : des mecs qui ont fini leur peine de prison mais à défaut d’une autorisation de séjour, on les envoie en CRA. Sauf que les frontières sont fermées et que l’État est censé ne plus expulser, pour des raisons évidentes liées à la limitation de l’épidémie. 

À la prison des Baumettes, comme dans beaucoup de prisons françaises, ça chauffe sévère, une « cocotte minute » d’après un détenu. Mercredi soir les prisonniers ont refusé de réintégrer leurs cellules, leurs revendications : le rétablissement des parloirs (qui ont été complètement interdits), des activités, la mise en place immédiate des mesures de sécurité sanitaire et la libération des personnes enfermées pour des délits mineurs. Les brigades spéciales ont gazé tout le monde, et les prisonniers se font priver de promenade.

Dans les hôpitaux psy, les patient·es subissent des procédures d’isolement, à l’hôpital Edouard Toulouse des soignant·es ont été testé·es positives au corona virus. Une personne enfermée à la clinique psychiatrique dans le quartier de la Valentine témoigne qu’iels n’ont pas le droit d’aller s’acheter à bouffer et que la nourriture de la cantine collective est dégueulasse. On leur interdit d’aller faire un tour à 50 mètre, et les gens « pètent de plus en plus le câble qu’ils essaient de réparer depuis qu’ils sont ici. » (témoignage d’une personne à la clinique de la Valentine). 

Quelques initiatives de solidarité en temps de confinement …

Des groupes d’entraide et de solidarité se sont multipliés dans les quartiers du centre de Marseille, des maraudes auto-organisées ont lieu tous les jours, en marge de celles réinstaurées par des associations type restos du coeur ou Emmaus. 

Avec le Manba/collectif soutien migrant·e·s 13 (dont je fais partie), on a lancé une « infoline » destinée à informer les personnes exilées, et là on commence à faire des petits-dèj pour capter ces personnes qui sont à la rue et se retrouvent sans info et sans ressource. Mardi un premier « marché rouge » avec des récup faites au MIN (Marché d’intérêt national) va être ouvert aux personnes avec lesquelles on est en lien, confinées et sans moyen de faire les courses. 

« Tu veux savoir si t’as le corona ? Crache sur un bourgeois et attends ses résultats. Solidarité avec les travailleuses »

Le site Marseille Infos Autonomes (MIA) est devenue une plateforme importante de relais des infos utiles et des initiatives de solidarité et d’informations en temps de confinement (par exemple, traduction des attestations de déplacement dans de nombreuses langues). 

Une très chouette émission de radio militante, « Privé·e·s de sortie », réalisée depuis un appart confiné, est diffusée en direct tous les jours de 16 à 17H sur la radio locale associative Radio galère, faite de chroniques, de témoignages et d’informations sur Marseille en temps de confinement. 

Ce ne sont que quelques initiatives parmi le bordel joyeux de personnes qui s’organisent, pensent et font plein de choses en ces temps où la solidarité est cruciale et les luttes à venir doivent déjà se construire !

L.L.F