Le 23 mars 2021 avait lieu l’audience suite aux plaintes d’Airbus, la SNCF, Air France, et Aéroport de Toulouse contre les militantEs d’Handi-Social. Au final c’est devenu Handi-Social contre la justice de la République Française.
Ce procès est un condensé du capacitisme que nous subissons tous les jours. Le plus ignoble, c’est que cela se passe dans un tribunal de la République. Comment pourrions-nous faire confiance à cette justice demain ? L’histoire des luttes pour abolir le handicap et tous les rapports de domination l'a montré : il n’y a rien à attendre de la justice. Verdict le 4 mai. La lutte continue !
Mise à jour – délibéré du procès
Le délibéré devait se tenir le 4 mai, il a finalement eu lieu le 19. On aurait pu imaginer que ce temps serait utilisé pour préparer une audience plus accessible, mais non. Même salle, mêmes problèmes liés à l’élévateur électrique, même problème de capacité d’accueil, en période de pandémie (cf l’article ci-dessous). Cette fois, 47 personnes étaient présentes dans la salle. Mis à part le micro – qu’il a tout de même fallu demander en insistant – et l’aménagement de la salle pour faciliter le passage en fauteuil, aucune adaptation n’a été réalisée malgré le procès du 23 mars.
Les peines demandées par le substitut étaient de plusieurs mois de prison avec sursis. Finalement, les peines retenues sont de 2 à 6 mois de prison avec sursis, des amendes, les frais de procédure ainsi que des indemnisations liées aux préjudices subis par les parties civiles.
Sur les seize prévenuEs, quinze sont condamnéEs. Ce verdict est celui de la justice inaccessible, dénoncée dans le premier article, qui se conforte dans son rôle de maintien du système tel qu’il est, injuste, discriminant, violent.
Les militantEs vont interjeter appel de cette décision et réaffirmer leur légitimité. L’action de blocage durant quarante minutes d’un train ou d’un avion est largement proportionnée quand l’accès aux transports peut vous être empêché toute une vie. Les militantEs iront jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’il le faut, pour porter des messages politiques. Le fond revendicatif des actions est nié dans ce théâtre judiciaire, par le Tribunal et par les plaignantEs, pour retenir uniquement les “désagréments” vécus par les entreprises qui nous attaquent et nous rendent le quotidien plus compliqué.
Pour illustrer ce quotidien, nous pouvons évoquer les compagnies aériennes qui ne prennent aucune précaution pour stocker les fauteuils électriques dans les soutes et qui restituent les fauteuils cassés ne nous remboursent pas ou alors rarement. Ou encore, la SNCF qui suggère aux personnes en fauteuil de voyager dans les emplacements prévus pour les vélos, pendant 8 heures – c’est du vécu, puisqu’il n’y a pas d’emplacements alloués aux fauteuils dans leur train. Normal…
Solen et Ḥmed (Toulouse)
***
Handi-Social : le procès de la justice capacitiste
Rien pour nous sans nous
Les premiers mouvements pour les droits civiques des personnes handicapées naissent à partir des années 60 dans les campus états-uniens. Ainsi, Mike Oliver, universitaire en situation de handicap, théorisera le modèle social du handicap en opposition au modèle médical. Les personnes handicapées ne sont pas des objets de soin mais des êtres de droit posant ainsi les fondations des Disability Studies. C’est dans ces années que l’International Independant Living naît, portant la question de la Vie Autonome sur la scène internationale.
En France, ce mouvement prend forme surtout après Mai 68 avec le Comité de Lutte des Handicapés (CLH) et son journal « Handicapés Méchants ». Un collectif de mouvance autonome qui lui aussi a émergé dans les universités. Ils et elles se sont, entre autres, opposéEs à la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées qui favorisait les institutions spécialisées.
Aujourd’hui, la législation internationale et européenne, après des années de luttes, reconnaît et insiste sur l’importance de la Vie Autonome. « Ségrégation », « privation de liberté », « non respect des droits humains » : voici les termes qu’emploie la rapporteure spéciale de l’ONU concernant la situation des personnes handicapées après évaluation de la France en 2017.
Les collectifs militant pour les droits des personnes handicapés en France sont peu nombreux mais combatifs. Parmi eux : Handi-Queer, les Dévalideuses, Coordination Handicap Autonomie, Collectif pour la Liberté d’Expression des Autistes, Collectif Luttes et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation…
Mise en abyme de l’inaccessibilité
Le 23 mars 2021 avait lieu l’audience correctionnelle devant le tribunal judiciaire de Toulouse, suite aux plaintes d’Airbus, la SNCF, Air France, et Aéroport de Toulouse contre les militantEs d’Handi-Social. Au final c’est devenu Handi-Social contre la justice de la République Française.
Ces deux phrases entendues pendant le procès le résument. « Si le Tribunal n’est pas aux normes, c’est regrettable, c’est navrant, mais… Il faut aller au Tribunal Administratif », de la part du substitut du procureur, et une intervention de la juge s’adressant à Bedria, une camarade d’Handi Social : « Merci Madame, je sais que c’est dur pour vous mais c’est aussi dur pour le Tribunal. »
En octobre 2018, les militantEs d’Handi-Social, une association toulousaine anticapacitiste*, militant pour le respect des Droits des personnes handicapées, ont bloqué le départ d’un TGV Toulouse-Paris pour exiger la mise en accessibilité complète de la gare, après de nombreux engagements non tenus, et en décembre en envahissant le tarmac de l’aéroport de Toulouse. C’est la loi ELAN qu’elles et ils dénoncent : cette loi a été dictée par le lobby du bâtiment entraînant une diminution de 80% de logements accessibles neufs. Cela avait également été dénoncé par le Conseil de l’Europe, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme et le Défenseur des Droits, mais le gouvernement a décidé d’entériner ce texte. Ces actions arrivent en derniers recours après avoir épuisé toutes les démarches et les manifestations considérées comme légales.
Les militantEs ont reçu leurs convocations douze à quinze jours avant le procès. Or, il faut dix jours pour produire des témoignages. De ce fait, elles et ils ont été dans l’impossibilité d’en produire. Pendant le rassemblement avant le procès, les flics se moquaient de nous, nous comparant aux Femens. Pendant le procès, alors que j’étais devant l’entrée de la salle d’audience, un flic regardait des vidéos et jouait à deux mètres de nous.
Le Service pénitentiaire d’insertion et de probation n’a pas hésité à demander aux activistes si certain-es pouvaient dormir en prison, porter le bracelet… Deux semaines avant le procès. Sans aucun respect de la présomption d’innocence. En revanche, pour le procès, aucun aménagement n’a été prévu. Tout d’abord, les personnes en fauteuil doivent accéder au Tribunal une par une, à l’aide d’un monte-charge poussiéreux, en maintenant un bouton, ce que la plupart ne peuvent pas faire.
Au départ, ni soutiens et – pire – ni médias ne pouvaient entrer dans la salle d’audience. Après une intervention médiatisée des avocats et des militantEs,, la presse écrite a été autorisée à entrer. Quelques soutiens ont réussi à entrer : cinq minutes après, la juge a fait sortir les soutiens en fauteuil. Quelques temps après, la juge a fait sortir la presse, le reste des soutiens et les assistantEs de vie suite à la demande de Handi-Social de reporter le procès car la jauge de la salle d’audience était de 28 personnes, pour bien plus de présents. Les magistrats ont tenté de faire croire que la jauge de la salle ne tenait pas compte des magistrats présents, juste du public et des prévenus et leurs avocats. A 22h, à la fin de l’audience, soit durant 8h, il y a eu plus de 35 personnes, donc le tribunal a enfreint les règles sanitaires et aussi celles dictées par le Président de juridiction. Sachant les comorbidités de certainEs militantEs, le Tribunal a laissé se dérouler l’audience, mettant de ce fait ces personnes en danger. Quelques semaines avant, un procès avait pourtant eu lieu dans une salle plus grande en dehors du tribunal pour être dans de meilleures conditions. Pendant cette journée d’audience, l’avocat d’Airbus a lâché que c’était le Préfet de région qui les avait incité à se porter partie civile. D’ailleurs, la majorité des avocats de la partie adverse ont exprimé leur honte de devoir plaider contre les militantEs dans ces conditions.
Justice accessible ?
Fatiha, une des militantes, malvoyante, n’a pas pu consulter son dossier car le tribunal ne lui pas mis à disposition celui-ci ni en gros caractères, ni dans un PDF texte lisible par les lecteurs d’écran. Les micros ne fonctionnaient pas, rendant compliqué voire impossible, pour les personnes ayant des incapacités d’audition, l’écoute des débats.
Bedria, une autre militante qui a des difficultés d’élocution, n’a pas pu se défendre librement. Le tribunal, au courant depuis deux ans de sa situation ne lui a pas fourni d’interprète pour répéter ses dires. Le panel s’en foutait de ce qu’elle avait à dire. En effet, après une intervention de Bedia, la juge faisant mine de comprendre, la Défense lui a demandé si elle avait compris. Réponse négative. Une personne s’est uriné dessus par manque de temps à cause de l’encombrement des fauteuils qui entravaient la circulation dans les allées de la salle d’audience et de l’inaccessibilité en autonomie des toilettes. Les magistrats ont refusé toutes les demandes de pause réclamé par la défense et ont également décliné à cinq reprises un renvoi compte tenu des conditions inacceptables de cette audience. Peut-on enfoncer le clou ? Oui !
À Toulouse, du fait des mesures sanitaires, le métro s’arrête à 22h. De plus, certainEs personnes accuséEs ont des assistantEs de vie qui viennent à heures fixes, qui ont un planning à respecter. Si on les rate, tant pis pour nous. C’est pour ces raisons que les avocats d’Handi-Social ont demandé une suspension d’audience. Refusée ! Le substitut du procureur leur a répondu qu’il fallait s’organiser en amont, déclenchant ainsi un rire nerveux chez certainEs. Un militant lui a gentiment expliqué qu’il faut au minimum 15 jours pour réserver un transport adapté qui viendra à une heure précise et n’attendra pas si nous ne sommes pas au lieu du rendez-vous. Idem pour les aides à domicile.
22h, fin d’audience. Le substitut du procureur requiert des peines selon les personnes : amendes pour les uns – 750€ soit l’équivalent d’un mois d’AAH**, prison avec sursis pour les autres – 3, 5 et 8 mois. Après être sortiEs de la salle d’audience, nous avons occupé le tribunal jusqu’à ce qu’on nous trouve des transports… mais pas d’assistantEs de vie pour celles et ceux qui en ont besoin.
Ce procès est un condensé du capacitisme que nous subissons tous les jours. Le plus ignoble c’est que cela se passe dans un tribunal de la République. Comment pourrions-nous faire confiance à cette justice demain ? L’histoire des luttes pour abolir le handicap*** et toutes les structures d’oppression l’a montré : il n’y a rien à attendre de la justice. Verdict le 4 mai. La lutte continue !
Ḥmed (Toulouse)
* Au même titre que le racisme, il s’agit d’un système d’oppression et d’exclusion des personnes ayant des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables. Il trouve son essence dans et par une société normative qui génère des situations de handicap au travers de ses composantes (environnement, fonctionnement, idéologie, représentations, etc).
** Allocation Adulte Handicapé
*** Le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. Définition issue de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.