Article publié en arabe le 24 juillet 2014 sur le site des Socialistes Révolutionnaires en Égypte.
En tant que révolutionnaires croyant que la construction d’une société véritablement démocratique ne se fera que par la lutte et l’organisation des masses exploitées et opprimées (et c’est tout le sens de notre combat au quotidien), nous écrivons ces lignes afin de clarifier notre positionnement à l’égard d’organisations islamistes qui luttent ou prétendent lutter contre les régimes réactionnaires et l’impérialisme.
On se concentre ici sur le mouvement Hamas, qui dirige la résistance armée en Palestine depuis les années 1990, car son analyse faite par les forces révolutionnaires en Égypte et dans le monde est pleine d’ambiguïtés qui nous affaiblissent dans notre lutte contre l’impérialisme et les régimes réactionnaires.
Pour commencer, il est nécessaire de rappeler que nous sommes tout à fait convaincu.e.s que le mouvement révolutionnaire pour renverser le système capitaliste mondial ne saurait être restreint à une pure lutte des classes exploitées contre les classes exploitantes. Il devra aussi et nécessairement passer par des soulèvements des opprimé.e.s susceptibles de déstabiliser le système capitaliste. Cela vaut autant pour les Chrétien.ne.s en Égypte et en Iraq, les Noir.e.s aux États-Unis ou encore des peuples colonisés par l’impérialisme comme c’est la cas des Palestinien.ne.s.
De ce point de vue, nous considérons que la lutte palestinienne (celle de toutes les factions palestiniennes, malgré les réserves que nous avons en tant que révolutionnaires à l’égard de leurs politiques respectives) contre Israël et l’impérialisme qui le protège jouait et joue toujours un rôle central dans la déstabilisation de l’impérialisme mondial. Chaque cycle de lutte palestinienne dégage l’horizon de la lutte des classes dans le monde arabe, comme a pu le faire l’Intifada de 2000 qui a ouvert le cycle de luttes en Égypte qui a culminé dans la révolution de 2011.
Quels critères pour un positionnement révolutionnaire ?
Il ne faut jamais mettre sur un même pied d’égalité tous les mouvements islamistes, en particulier lorsqu’ils émergent dans des États différents et à des moments historiques différents. Nous essayons de comprendre les mouvements islamistes dans le contexte historique de leur naissance et de leur développement, par leur nature sociale et de classe ainsi que leurs objectifs politiques concrets. Un critère simple mais important est le suivant : est-ce que ces mouvements luttent contre l’impérialisme et les régimes réactionnaires, même si cette lutte peut être épisodique ou incohérente, ou est-ce qu’ils représentent réellement des mouvements purement réactionnaires, qui s’opposent à la lutte et à l’unité des opprimé.e.s et des exploité.e.s, et qui par conséquent servent les intérêts des régimes réactionnaires et de l’impérialisme ?
C’est donc sur la base de notre compréhension matérialiste des mouvements islamistes et de leurs rapports avec les masses, les régimes réactionnaires et l’impérialisme, que nous déterminons notre position en tant que révolutionnaires. Nous pouvons ainsi adapter et modifier nos positionnements stratégiques et tactiques à l’égard d’un mouvement, prenant en compte son développement et ses tergiversations, selon qu’il soit dans une période de résistance contre l’impérialisme ou au contraire dans une période de trahison des aspirations des masses.
Ainsi nous considérons que Daech en Syrie et en Iraq est un mouvement intrinsèquement réactionnaire, qui par son racisme et ses crimes contre les Chrétiens et les Chiites (NdT : branche minoritaire de l’Islam), contribue à tuer toute perspective d’unité des opprimé.e.s dans leur lutte contre les dictatures et le colonialisme. Nous considérons que c’est un mouvement qui sert nécessairement les intérêts des régimes dictatoriaux, et nous nous déclarons son ennemi implacable.
Nous faisons la différence entre Daech l’islamiste purement réactionnaire, d’un côté, et le Hamas et le Hezbollah islamistes de l’autre, car ces derniers ont émergé en tant que résistance à l’impérialisme et au colonialisme, et se sont engagés dans de nombreuses luttes contre Israël et ses soutiens impérialistes en défense des droits nationaux légitimes des peuples palestiniens et libanais.
Le Hamas est né de la première Intifada de la fin des années 1980 et s’est forgé une grande popularité parmi les Palestinien.ne.s pour son rejet des compromis et des capitulations du Fatah (NdT : principale organisation palestinienne, dont le chef était Yasser Arafat) devant Israël et les États-Unis, ainsi que pour sa résistance militaire face à plusieurs attaques Israéliennes contre la bande de Gaza : pour nous, le Hamas est avant tout un mouvement de résistance au Sionisme et à l’impérialisme.
Nous soutenons donc le Hamas lorsqu’il résiste, armes à la main ou pas, contre Israël, et ce soutien est sans conditions : la lutte du Hamas affaiblit Israël et terrorise les régimes arabes et les États-Unis. En conséquence, elle augmente les chances des luttes populaires au sein même des États arabes contre ce système impérialiste.
Stratégie du Hamas et des factions palestiniennes
Notre soutien inconditionnel au Hamas n’est cependant pas et ne sera jamais un soutien non-critique, car nous croyons que la stratégie adoptée par le Hamas – similaire aux stratégies adoptées par le Fatah et la gauche palestinienne avant lui – a déjà montré ses limites et ne réussira pas à libérer la Palestine.
La stratégie du Hamas consiste à se lier à certains régimes réactionnaires arabes (dont l’Égypte jusqu’à récemment) ou non-arabes, qui oppriment leurs propres peuples et cherchent toujours à étouffer la lutte palestinienne. C’est en partie car ces régimes savent que l’héroïsme et la résistance palestiniennes sont des sources d’inspirations pour leurs propres peuples, et que le soutien populaire à la cause palestinienne risque à tout moment de nourrir des soulèvements locaux. La stratégie du Hamas est en vérité un copier-coller de la stratégie adoptée par le Fatah et la gauche palestinienne (NdT : notamment le Front Populaire de Libération de la Palestine, FPLP, d’obédience « marxiste-léniniste ») dès les années 1960, et c’est une stratégie vouée à l’échec. En effet, au lieu de se solidariser des mouvements populaires arabes qui ont intérêt à se débarrasser d’Israël et de l’impérialisme, le Hamas continue de s’allier avec des régimes qui collaborent volontiers avec Israël et l’impérialisme.
Deuxièmement, malgré l’héroïsme indéniable des combattants du Hamas qui résistent aux assauts israéliens dans des conditions impossibles (héroïsme qui fait briller une lueur d’espoir dans les cœurs des masses en ces moments de défaite des révolutions dans la région), l’approche politique du Hamas à l’égard des masses palestiniennes reste élitiste. Comme le Fatah et la gauche palestinienne avant lui, le Hamas voit le peuple palestinien comme un “outil” dont le rôle se limite au soutien de la lutte armée et à l’obéissance aux appels de la direction révolutionnaire, plutôt que d’encourager une participation populaire maximale à l’élaboration d’une stratégie de résistance et à la prise de décisions. Ces méthodes élitistes affaiblissent les capacités de la résistance populaire sur le long terme, face à un ennemi qui s’arme de plus en plus jour après jour.
Donc le soutien des forces révolutionnaires au Hamas et à la résistance palestinienne doit être sans conditions mais pas sans critiques. De la même manière, et malgré notre soutien au Hezbollah dans toute confrontation avec Israël, nous condamnons la position contre-révolutionnaire qu’il a adoptée en venant à l’aide au régime syrien de Bachar al Assad.
Notre soutien à la résistance palestinienne est inconditionnel car la lutte palestinienne contre Israël est une épine dans le pied de l’impérialisme, et parce que nous considérons que c’est au peuple palestinien et à lui seul (comme c’est le cas pour tous les peuples colonisés) de déterminer son destin. Cela inclut, évidemment, le choix de ses directions et des moyens de résistance qu’il juge appropriés aux conditions dans lesquelles il se trouve.
Ce soutien est également critique car le destin du mouvement révolutionnaire dans le monde arabe est lié organiquement au destin de la résistance palestinienne, et vice-versa.
Vive la lutte du peuple palestinien, qui montre la voie aux révolutions arabes !
Mostafa Omar