Il y a eu un changement majeur dans le niveau des grèves et la confiance gagne tous·tes les syndicalistes et militant·es socialistes. Après des années de baisse historique de l’intensité des luttes, on assiste soudain à d’importantes grèves, nationales et à répétition, avec environ 50 000 travailleur·euses ferroviaires et du métro, 120 000 postier·es, 40 000 travailleur·euses des télécommunications.
Les Cahiers d’A2C #04 – Septembre 2022
Des grèves locales, pouvant durer jusqu’à plusieurs semaines, ont également pris de l’importance, entreprises par des sections de conducteur·ices de bus, d’éboueur·euses, des travailleur·euses de la santé et dans d’autres secteurs.
Une récente grève très médiatisée au port de Felixstowe a vu 2 000 travailleur·euses entraîner la fermeture du plus grand port à conteneurs de Grande-Bretagne pendant huit jours.
Et il y a d’impressionnantes grèves non-officielles (sans préavis syndical et sans les scrutins pourtant imposés par les lois antisyndicales) dans les entrepôts d’Amazon, sur les plateformes de la mer du Nord et sur certains chantiers de construction.
La guerre de classe unilatérale est terminée
Un grand nombre de ces grèves ont été victorieuses, au moins partiellement. Elles n’ont pas permis d’accéder à toutes les revendications et la plupart du temps les négociations sont en dessous du taux de l’inflation actuelle. Mais iels ont gagné·es bien plus que ce que les patrons n’auraient voulu céder et ces victoires ont renforcé l’idée qu’une lutte peut être victorieuse.
La guerre de classe unilatérale où les employeurs attaquaient et où les syndicats ne réagissaient que de manière limitée est terminée.
Quel est le moteur de la résistance ? Le fait le plus important est l’inflation galopante. Les taux officiels du gouvernement montrent une augmentation des prix de 10,1 % par an. Mais un calcul encore plus précis, que le gouvernement avait utilisé auparavant, montre une augmentation de 12,3 % par an.
Les prix du gaz et de l’électricité augmentent bien davantage. À partir d’octobre, le prix des factures de combustible d’un ménage moyen sera d’environ 4 200 euros par an, pratiquement 3 fois plus qu’en mars cette année.
Cela signifie que des millions de personnes vont devoir choisir entre « se chauffer ou manger »1« Se chauffer ou manger » traduit de l’anglais « heat or eat » cet hiver. À moins d’une action urgente, nous allons devoir faire face à la précarité généralisée, la malnutrition, des maladies et la mort.
En plus de cela, lors de la pandémie, les travailleur·euses étaient félicité·es par le gouvernement et les médias, tout en leur demandant d’accepter des augmentations qui ne coïncident pas avec le taux d’inflation. Les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs, comme chez les conducteur·ices de poids lourds, permettent de donner de la confiance aux travailleur·euses pour se mettre en lutte.
Des facteurs plus importants sont également à prendre en compte. Le Parti conservateur au pouvoir a dû se débarrasser de son Premier ministre Boris Johnson, puisqu’il était régulièrement présenté comme un menteur ayant enfreint les règles qu’il avait mises en place pour le confinement, en organisant des soirées au cœur du gouvernement. Les conservateurs organisent une élection supplémentaire pour choisir qui prendra la suite de B. Johnson qui donne lieu à des attaques acerbes des candidat·es les uns contre les autres. Cela renforce le sentiment que le gouvernement est faible, incompétent et qu’il peut être battu.
Enfin, le leader du Labour Party, Keir Starmer, qui a remplacé le politique de gauche Jeremy Corbyn, a refusé de soutenir les grèves et a pris des mesures disciplinaires à l’encontre d’un membre du parti s’étant rendu à un piquet de grève. Il y a donc peu d’illusion que le Labour Party sera la solution – c’est lutter ou mourir de faim.
Des batailles politiques à gagner
Le retour des grèves est un élément majeur, extrêmement positif, qui fait émerger de nouveaux arguments à propos du rôle central de l’action des travailleur·euses. Cela permet, pour les socialistes, d’atteindre une nouvelle audience et d’échanger sur la manière de battre les conservateurs et les corporatistes. Au sein du Socialist Workers Party, nous poussons dans le sens de la solidarité avec les grèves, pour la généralisation et l’unification du mouvement, pour que les grèves soient victorieuses – et non pour accepter de faibles compromis.
Mais il y a des batailles politiques à gagner. Les dirigeants syndicaux divisent les grèves. Par exemple, un syndicat des chemins de fer fait grève un jour, un autre le lendemain, puis les postiers un autre jour. Les dirigeants syndicaux apparaissent sur des plateformes communes lors de rassemblements, mais ils n’appellent pas à des grèves communes. Cela limite le sentiment que les jours de grève sont un point de convergence pour l’ensemble de la classe ouvrière.
Il y a quelques discussions parmi les activistes à propos d’une grève générale, mais pour le moment, nous en sommes loin. Si les grèves ne se transforment pas en mouvement long ou à durée indéterminée, il est peu probable d’envisager des victoires significatives.
Lorsqu’un nouveau Premier ministre entrera en fonction le 5 septembre, ils s’apprêtent à déclencher de nouvelles attaques contre les syndicats. Le niveau de lutte va devoir s’intensifier pour ne pas les laisser arriver à leur fin.
Il n’est pas certain que les grands syndicats du secteur public puissent atteindre les seuils de participation au scrutin requis par les lois antisyndicales actuelles. Les lois exigent que 40 % des votant·es soutiennent les grèves. Là où les syndicats locaux sont peu représentés, ils ont rarement réussi à atteindre ce pourcentage – et les dirigeants syndicaux ne vont pas suggérer de contourner ces lois ou de partir en grève malgré tout.
Mais il est possible que l’exemple des groupes déjà en mouvement, la pression intense des prix qui grimpent, et le nouvel esprit de révolte donnent à voir des grèves de larges pans de travailleur·euses de la santé, des administrations locales, des professeur·es et du personnel universitaire dans les mois à venir.
D’autres formes de révoltes seraient possibles, venant de l’extérieur des organisations syndicales. Un récent sondage montre que 49 % des 18-24 ans sont d’accord pour dire que « compte-tenu de l’augmentation du coût de la vie, manifester dans les rues serait justifié ». Seulement 41 % ne sont pas d’accord.
Les plus importantes formes de résistance de ces dernières années ont concerné des mouvements comme les grèves lycéennes et étudiantes pour le climat, Black Lives Matter, Extinction Rebellion. En même temps que la lutte augmente, il reste important de continuer d’argumenter à propos de la nécessité de combattre les oppressions et de construire des mouvements tel que Stand Up to Racism. C’est même encore plus important puisque les conservateurs cherchent à briser l’opposition en attaquant les personnes migrantes, les réfugié·es, les personnes transgenres.
Nous sommes dans une nouvelle phase de lutte, mais les socialistes doivent continuer à débattre de la ligne à suivre et d’une alternative révolutionnaire au Labour Party et aux dirigeants syndicaux.
Charlie Kimber (Londres, SWP)
Traduit par Aude (Nantes)
Notes
↑1 | « Se chauffer ou manger » traduit de l’anglais « heat or eat » |
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