À Rennes, les 12 et 13 mars dernier, s’est tenu Big Up, un événement féministe et antiraciste, dans le cadre de la journée internationale de luttes pour les droits des femmes et de la Campagne Antiracisme et Solidarité.
Les Cahiers d’A2C #04 – SEPTEMBRE 2022
Le nom était inspiré par la chanson de Diam’s, dont certaines paroles devraient sûrement être revues aujourd’hui mais ce n’est pas le débat. Ce festival a été porté par des membres du collectif féministe NousToutes35 et par les animateurs de la Maison de Quartier Villejean où s’est déroulée la première partie du week-end. La seconde partie s’est déroulée à Maurepas, un autre quartier de Rennes – celui dans lequel, notamment, Babacar Gueye a été tué par un policier de la BAC en 2015. Une dizaine de collectifs et d’associations locales ont gravité autour de l’organisation et de la participation à ce week-end.
Concerts, projections, ateliers, foot… on croise les collectifs et les pratiques
La journée du samedi, à la Maison de Quartier Villejean, était financée par le dispositif « Rennes de la nuit », notamment pour rémunérer les artistes. Dans l’après-midi étaient programmés des ateliers-rencontres avec des associations et collectifs antiracistes et féministes : ISKIS Rennes, Gras politique, NousToutes35, l’inter-organisations antifasciste, le Planning familial, SUD Santé et trois associations du quartier Villejean – Kune, Éduc’Ustawi et Le Bougainvilliers.
Nous avons projeté le film documentaire d’Ivora Cusack, Remue ménage dans la sous traitance, qui suit la lutte des femmes de chambres des hôtels Accor à Paris en 2002.
En fin de journée se sont enchaînés une scène ouverte, réservée aux femmes et aux personnes aux genres minorisés, puis un repas à prix libre préparé par le réseau de Ravitaillement des luttes, et pour finir, les concerts de Juste Shani, Kitsune Kendra et Uzi Freyja. Dj palette, la dj qui accompagne les luttes rennaises de ses sets survoltés, a clôturé la première journée.
Le dimanche, à Maurepas, avait lieu un tournoi de foot réservé aux femmes et genres minorisés, organisé par le club Les Rennes, suivi d’un atelier punchlines pour travailler la répartie dans les situations d’oppressions, animé par NT35. Le week-end s’est alors clôturé par la projection du documentaire de Jérôme Host, Un racisme à peine voilé, qui revient sur la lutte contre l’islamophobie et contre la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux dans les établissements scolaires.
D’où nous vient cette idée ?
Tout commence autour du constat que plusieurs rappeuses françaises, de longue date (ex : Casey, Sianna, Ryaam) ou émergentes (ex : Soumeya, R’may, Juste Shani), ont des textes clairs qui nous servent pour mettre l’ambiance. Ce sont des artistes qui permettent d’appuyer nos propos lors de manifestations, de goûters féministes, de début ou fin de réunions, dans nos vidéos militantes, etc. L’initiative de l’événement Big Up vient donc de trois personnes membres ou proches du collectif NousToutes35, qui bossent avec des adolescent·es et leurs familles, et qui ont évoqué l’envie de mixer sur le temps d’un weekend, l’aspect culturel et l’aspect militant. Convaincues que le live donne plus de poids aux discours féministes et antiracistes, nous souhaitions inviter une artiste engagée qui se produirait sur scène. Convaincues aussi que l’art et la politique peuvent fonctionner ensemble et permettent de réunir des personnes aux parcours plus divers, pas forcément à l’aise avec des contenus militants. Tout le monde n’a pas l’appétence d’écouter un discours avant une manifestation ou d’en être touché, tout le monde n’a pas le goût de lire des articles d’A2C en rentrant du travail. La musique, elle, peut combiner une histoire personnelle, une technique musicale et des revendications politiques qui s’adressent à toutes personnes voulant bien l’écouter.
Après des discussions informelles, nous commençons donc à chercher des financements et des partenaires pour mettre en œuvre ce projet. Le Point information jeunesse nous a guidées vers la subvention spécifique à la Ville qui se nomme « Rennes de la Nuit ». Cette dernière permet de promouvoir des événements culturels organisés par et pour les jeunes. Les conditions posées par la subvention sont la gratuité de la soirée, le fait qu’il n’y ait pas d’alcool à vendre, que ce soit porté par une association et le fait que ce soit une soirée par des jeunes et pour des jeunes (mais nous n’avons pas vraiment suivi ce dernier point car on avait une volonté d’organisation intergénérationnelle). Il est possible d’obtenir jusqu’à 6 000 euros. L’enjeu se situe désormais dans le fait de trouver une association, parce que NousToutes35 n’est qu’un simple collectif, sans salarié·es, sans numéro siret, ni même de local, qui n’est juste bon qu’à rassembler 5 000 personnes dans la rue en pleine crise sanitaire, rien de très sérieux…
Le collectif ayant déjà établi un travail de réseau depuis trois ans, la prise de contact avec la Maison de Quartier dont nous avions de bons échos et dont nous connaissions l’ouverture et l’investissement, fut largement facilitée.
De plus, lorsque nous avons pensé à l’organisation de cet évènement, nous souhaitions que des jeunes puissent s’impliquer dans l’organisation, non seulement en tant que spectateur·rices, mais aussi en tant qu’organisateur·ices et créateur·ices dans un cadre collectif. Les compétences professionnelles des animateurs jeunesse de la maison de quartier, leur implantation, les liens avec le tissu associatif local couplés à nos réseaux personnels de travailleuses sociales, et les rapports affectifs et de confiance qui peuvent naître de ce type de cadre, nous ont permis de former un groupe de jeunes adolescent·es qui ont eux et elles-mêmes communiqué leur participation dans leurs différents cercles amenant ainsi un public large, au-delà des réseaux militants. Un événement comme Big Up ne peut fonctionner sans implantation dans le territoire de la part des personnes qui font vivre le week-end : Nadjib et Fabien de la Maison de Quartier, Loulie, Olive, Lilya, Thanina du club de foot Les Rennes, Jeanne et Maxime du GRPAS, Groupe Rennais de Pédagogie et d’Animation sociale, Amandine de la Maison Verte, Aline, Val, Pauline et Mylène de NousToutes35, Régine et Fatima de Kuné, un collectif de femmes de Villejean, les artistes qui ont participé à la scène ouverte, ont ramené leur proches et ont communiqué sur l’événement, le réseau de Ravitaillement des luttes en Pays rennais et toutes les associations, collectifs et syndicats qui ont participé notamment au forum.
La force de l’implantation locale et des liens durables !
La communication a également été pensée en ce sens, avec des tractages ciblés, dans les quartiers d’implantation du festival qui avaient aussi été des départs de manif’ à NT35 mais également aux abords des établissements scolaires. Nous avons aussi contacté des foyers d’accueil, des éducateur·ices spécialisé·es et mobilisé des parents d’élèves. Nous avons malgré tout constaté des difficultés de communication de l’événement auprès des plus de 30 ans qui habitent le quartier. Une partie du week-end étant subventionnée par la mairie de Rennes, elle a également fait sa propre politique de communication plus axée sur le centre-ville, même si nous n’en avons pas bien cerné ni l’ampleur ni la direction.
L’organisation concrète du festival s’est mise en place autour de réunions hebdomadaires à la Maison de Quartier avec des jeunes et des membres de NousToutes35 impliquées dans le projet et des retours de ces réunions lors des plénières du collectif.
Tout le travail organisationnel, avec le budget prévisionnel, le prêt ou l’achat de matériel, la réservation des hôtels, des trains pour les artistes, leurs contrats, les assurances, les devis, etc., rien de tout ça n’aurait été possible sans la maison de quartier de Villejean car elle dispose d’un statut juridique.
Pistes d’amélioration pour 2e édition
Les besoins d’implication du collectif par rapport à cet évènement spécifique, n’ont pas été clarifiés suffisamment tôt car nous prenions conscience de la nécessité du soutien de la MQV au fur et à mesure de l’organisation de l’événement. Ainsi, le sentiment d’implication collectif de NT35 ne s’est pas fait sentir (nous parlons de sentiment collectif d’implication car individuellement des membres de NT35 étaient impliquées). Notamment par manque d’organisation et de disponibilité des organisatrices du festival (c’est-à-dire nous-mêmes qui écrivons cet article). En effet, nos absences répétées aux plénières – nous travaillons toutes sur ces horaires, et ouais, on ressent le besoin de se justifier, kestuveux – et nos transmissions qui se faisaient plus sous formes de directives que de prises de décisions collectives, ont largement contribué à réduire les possibilités d’appropriations du festival par le collectif. Il s’agit donc d’un point primordial à améliorer pour Big up 2 notamment en assurant plus d’allers-retours entre interlocuteur·ices, mais également en créant des petits groupes de travail par domaines nécessaires à l’organisation du festival. Sans compter que nous ne sommes pas membres du bastion le plus actif de NT35 et que par conséquent nous ne sommes pas les personnes qui portent habituellement les événements, expliquant ainsi notre méconnaissance partielle du mode de fonctionnement du collectif. L’implication des jeunes est également à retravailler puisque celleux qui ont été les plus impliqué·es sont celleux qui avaient un lien établi avec nous. Cela demandera donc pour la seconde édition de travailler plus en amont les rencontres avec les jeunes, les membres du collectif NT35, et les jeunes entre elles et eux.
L’autre constat regrettable est le fait que nous n’ayons pas pris le temps de préparer des prises de paroles face au public. Ces temps qui auraient permis de recontextualiser et expliquer pourquoi on fait ça, pourquoi on invite tel collectif, telle artiste, pourquoi on trouve que c’est primordial de faire des rendez-vous culturels politisés qui donnent espoir en la force du groupe et qui démontrent l’importance de la solidarité. Pourtant, nous savons que c’est sur le moment, parce que les gens sont en train de le vivre, que la théorie et la pratique font leur effet et marquent les esprits. Mais on ne va pas se flageller non plus, lors de la prochaine édition, nous ferons en sorte que personne ne parte sans avoir la possibilité de raconter clairement les volontés et la raison d’être de l’événement. On ne peut que s’améliorer.
Tout cela étant dit, les retours du public nombreux, plus de 650 personnes sur le week-end, furent très positifs. Nous avons pu constater une grande mixité – en termes de genres, de races, de générations, de lieux de vie, de codes sociaux, militants ou associatifs. Concernant l’impact politique, même s’il est difficilement mesurable, le succès de l’événement démontre que la musique, l’activité physique collective et le cinéma sont des moyens toujours aussi efficaces pour gagner du terrain idéologiquement, s’ils sont combinés à une approche territoriale. De plus, l’article paru dans Breizh infos – un site fasciste breton, qui dénonçait un festival « indigéniste et non mixte financé par la ville de Rennes », nous a confirmé que nous étions sur la bonne voie. Ça fait toujours plaisir d’énerver les faf surtout quand on le fait avec « LEUR ARGENT ».
France 3 a également fait un retour sur le week-end, en faisant un reportage TV sur l’atelier punchlines, soit le seul atelier qui avait une approche plus interindividuelle du féminisme donc quelque peu dépolitisé. Et il n’a évidemment pas été question dans le reportage de la dimension antiraciste de l’événement. Nous devons leur rappeler que nous ne luttons pas contre des individualités mais nous luttons contre un pouvoir qui opprime et qui exploite.
Nous luttons contre des structures de domination, alors « ne nous souhaitez pas bonne fête » (Juste Shani) mais bonnes luttes, « on va se battre jusqu’à la mort car nos vies valent plus que de l’or » ou que « leurs profits » si vous êtes plus syndicalistes que Le Juiice.
À très vite derrière un mégaphone !
Yuna et Ombeline (Rennes)