Les Cahiers d’A2C #07 – Mars 2023
À lire !
Princesa, Fernanda Farias de Albuquerque et Maurizio Iannelli, éditions Héliotropismes
Une histoire d’alternance entre l’enfermement et la fuite à la recherche de liberté. L’enfermement dans un monde qui ne cesse pas de montrer sa violence et d’imposer ses règles et ses limites. La liberté de se retrouver soi-même et de pouvoir être soi-même. On accompagne Fernanda Farias de Albuquerque, dès son enfance à la campagne nordestine brésilienne, son départ pour les grandes villes du sud-est et ensuite son départ pour l’Europe. Fernanda est une femme trans, travailleuse du sexe, migrante. Le contexte, ce sont les années 1980, au Brésil et en Europe. Son histoire est celle de milliers des brésilien·nes à la recherche d’une nouvelle vie au-delà des frontières. Les frontières imposées par les limites sociétaires, les préjugés, et la pauvreté, mais aussi les frontières imposées par le genre, la violence, l’homophobie et la misogynie. Les portes se ferment et les routes s’ouvrent pour cette femme courageuse et déterminée, forte et au même temps fragile. Un récit vif qui nous mets à suivre ses pas, sa manière d’interpréter le monde et de s’adapter à des nouvelles réalités.
Un livre écrit à trois mains dans une prison en Italie où Fernanda rencontre Giovanni Tamponi, un berger sarde qui lui propose l’écriture comme forme de raconter son histoire et de survivre à la dureté de l’enfermement, et Maurizio Ianneli, un ancien brigadiste rouge emprisonné à vie. En échangeant des lettres entre eux, dans un mélange de trois langues, le portugais, l’italien et le sarde, Fernanda raconte son parcours qui deviendra un livre, publié pour la première fois en Italie en 1994. Un documentaire inspiré du livre a été réalisé en 1997 et une adaptation en 2001. Le travail d’illustration de l’édition française est particulièrement précieux.
Le travailleur de l’extrême, Äke Anställning, éditions Ici-bas
Pôle emploi, Caf, les boîtes d’intérim et les patrons avec leurs petits pouvoirs de merde. Voilà le combo qui pourrit la vie des travailleur·euses tous les jours. On accompagne l’auteur, un guitariste passionné du rock, dans sa vie de travailleur/chômeur précarisé, obligé de prendre n’importe quel sale boulot dans la ligne de production capitaliste. Il nous raconte la galère, les horaires décalés, le manque de logique et de respect de la part des responsables et surtout l’absurdité de la réalité du travail qui rend les heures complètement insupportables ! La seule issue de sortie, le sabotage. Ne pas prendre au sérieux la logique néolibéral du travail, ni les discours à côté de la plaque des petits responsables de production devient le choix conscient de notre personnage qui va te faire craquer de rire à chaque nouveau boulot. Une critique sur la perte de sens avec beaucoup d’humour. À ne pas rater !
Enfin libre : Grandir quand tout s’écroule, Lea Ypi, éditions Seuil
Une autobiographie politique racontée dans une première partie à partir de la perspective d’une petite fille de 6 ans, grandissant en plein période de « la fin de l’Histoire », en Albanie. On l’accompagne dans sa vie de tous les jours avec sa famille, dans ses journées à l’école et on suit ses liens avec sa prof et ses collègues. La petite Lea est très convaincue de faire partie de la construction d’un nouveau monde et elle raconte avec enthousiasme ses activités. Elle habite avec ses deux parents et avec sa grand-mère, avec qui elle entretient des forts liens de solidarité et de confiance. Petit à petit, un des plus grands bouleversement du 20e siècle commence à s’entremêler à leur vies, les choses changent à grande vitesse et Lea commence à s’apercevoir qu’elle ne connaissait pas toute la vérité à propos de ses parents, ni de la situation politique de son pays.
L’Albanie à été jeté presque du jour au lendemain dans un monde libéral qui était censé en théorie, apporter plus de liberté à ses citoyen·nes. Cependant, les conséquences immédiates de ce changement brutal ont été les fermetures d’usines, le chômage, l’emmigration et la guerre civile. La narratrice, adolescente, essaie de comprendre la nouvelle réalité politique et sociale de son pays en même temps que sa vie personnelle est bouleversée par la guerre. Certains liens sont perdus pour toujours, beaucoup de choses ne seront plus jamais comme avant. Un texte passionnant qu’on a pas envie d’arrêter de lire.
Daniela Lima, Toulouse
Du bon son… interdit aux bouffons
On attaque fort avec la sortie vinyle attendue depuis un bout de temps par les reggae addicts. Deux bombes taillées pour le Sound System (et bastonnées en version Dubplate par les meilleures sonos de fRance, de Navarre et d’ailleurs) sur des productions de Likka Lion et réunies sur un maxi par Chouette Record, un label lié au Sound parisien Nayabin (allez fouiner sur leur Bandcamp, ils y ajoutent régulièrement des Digital Relases et autres Duplates). D’un côté, un vocal du chanteur américain d’origine jamaïquaine King Mas, Liffe caan done (disponible sur le net depuis une dizaine d’année) subi un traitement stepper des plus efficace, et le dub est à l’avenant. De l’autre, King Stanley reprend le Mary de Gregory Isaac, sur un tempo alangui au groove entrainant. Le chanteur anglais semble se spécialiser dans les reprises du Cool Ruler. En effet, son adaptation de l’anthem Rumours sur un riddim de Stepwizer est sortie depuis peu. Notons que peu de temps après la sortie du vinyle, Marshall Neeko à lui aussi proposé sa relecture du Life caan done. Son Bandcamp(à prix libre !!!) est une mine toujours mise à jour avec de nouvelles livraisons de remix sur des riddims maison ! Le Masrshall alimente aussi régulièrement une chaine Youtube consacrée au reggae des années 90’s (et early 00’s) pleine de pépites.
Peut être un peu moins attendu (dans tous les sens du terme !), la dernière sortie de Soul of Anbessa a de quoi surprendre ! Sur un riddim comme les affectionne le label suisse, du genre tu pourrais croire que ca été enregistré sur Maxfield Avenue a Kingston à la fin des 70’s, jusqu’à là, on est en terrain connu. Non la vraie surprise c’est le chant en français, et le texte… signé Baudelaire. En effet, Max Livio nous livre ici une interprétation du Chant d’automne de Charles. Adapter du Baudelaire en reggae et que ça sonne mieux que Gainsbarre et sa marseillaise, fallait le faire. Ils l’ont fait, et bien fait !
On troque les dreads pour des crêtes et autres cranes d’œuf et on file du côté de Brest pour s’offrir une double dose de punk/oï ! bien mélodique et ultra accrocheuse. Syndrome 81 profite du repressage de leur 1er album Prisons imaginaires (Destructure Record et Sabotage, 2022) pour en éditer une version « Inédits, démos et prises alternatives » (Destructure Record et Sabotage, 2023). C’est donc un presque double album que nous propose le quintet breton, et c’est du tout bon ! Des textes bien pensés sur de la musique bien balancée, des refrains qui s’incrustent dans ton crane sans que tu t’en rendes compte mais qui ne te quittent plus (du genre tu te retrouve à beugler « et dans les rue de Brest j’ai prolongé l’ivresse » alors que t’as jamais mis les pieds dans cette foutue ville), que demander de plus ? La suite, vite ! En attendant on peut aller jeter une oreille (voire même deux) sur l’album du slide project du bassiste du groupe, Prisonnier du Temps Comme un lion en cage (UVPR ?, 2022), un poil plus hardcore et brut.
Toujours gris et froid, mais plus à l’est, c’est de Nancy que Rancœur envoie les 11 titres de leur premier album éponyme (Kanal hysterik & co, 2022). Dans un style qu’ils qualifient de « cold oï ! » aux paroles remplies de rage, aux cœurs entêtants et aux refrains puissants, ils multiplient les clins d’œil aux mythiques Camera Silens (le meilleur et le plus authentique groupe de Punk/Oï ! hexagonal de tous les temps, mais c’est un autre débat…). Et puis si tu chope le vinyle t’aura le droit à une superbe pochette dépliante (la version en rouge et noire claque tout, évidemment), alors hésite pas plus longtemps… surtout que « les traites seront laisser face à leur conscience » !
Dans le genre groupes sous influences bordelaises, on passe direct aux basques de Blessure qui balance depuis Bilbo une K7 4 titres de très belle facture. Sur une musique très Camera-esque (et bien exécutée), le chant féminin en français avec l’accent euskara apporte fraicheur et originalité. On espère un album avec une bonne production pour bientôt. Et comme ça déchire sur scène, courrez les voir si l’occasion se présente !
Thomas Racasse, Bobigny
À découvrir
La bande originale du mouvement : les Vulves Assassines en tournée et en manif
Évidemment, on a pu entendre le doux bruit du slogan du mouvement de 2010 « la retraite, à 60 ans, on s’est battus pour la gagner, on se battra pour la garder » en introduction de leur titre phare craché par les sono de plusieurs cortèges depuis janvier. C’est sur cette musique qu’on a pu traverser avec le cortège féminisme le nuage lacrymogène lors de la manifestation du 11 février, tant elle nous motivait à avancer malgré les détonations et la crainte d’une partie du cortège. Cette chanson, intitulée La retraite, issue de leur second album Das Kapital, est donc sortie en 2022. Leurs deux premiers albums abordent les sujets de manière très directe, comme d’autres groupes de rap, de punk, ou de mélange inter-styles qui, ces dernières années, n’ont plus le temps de faire dans l’abstraction ou les figures de style. Ça parle d’écologie politique, de Pierre Gattaz, de lutte de classes, du chômage, du fétichisme pour le bien-être hors-sol, de pression à la beauté, des violences sexuelles… Leur album fait référence à plusieurs reprises à Marx, et les trois musiciennes parisiennes affirment d’elles-mêmes de faire de la politique sous forme de musique, car elles ne savaient pas vraiment faire de musique à la base (enfin si quand même un peu !). C’était même pas vraiment l’idée. L’objectif étant de faire entendre des discours féministes (et) marxistes par un public plus large que celui qui prend le temps de lire les tracts. C’est chose faite : elles jouent dans moult endroits, et notamment plusieurs petites villes dans les prochaines semaines. Depuis le lancement du groupe en 2013, les Vulves Assassinesont bien évolué, mais aujourd’hui, elles font salle comble à la Maroquinerie et veulent donner de la joie pour gagner.
Conseil de visite : le site vulvesassassines.fr sur lequel on rigole beaucoup, avec des citations de féministes et de révolutionnaires.
Conseil d’écoute : le titre Das Kapital pour se motiver tout en réécoutant des citations du Livre 1 du Capital.
Conseil de lecture : leur interview sur le site Muzzart.fr