Nous ne communions pas avec les complaintes de la désespérance. Nous leur préférons le chant des bâtons.
SeulEs celles et ceux qui pensent que la lutte de classes est un long fleuve plus ou moins tranquille évoluant en ligne droite, sans hauts et bas peuvent remiser au rayon des parenthèses enchantées le mouvement du printemps. En oublier les promesses, ne pas en tirer les leçons, ne pas en travailler les potentialités et les questions ouvertes. Quand il faudrait aller chercher, sous le fatras de la campagne des présidentielles, où continue de couler le fleuve de la colère.
SeulEs ceux et celles qui nourrissent l’illusion que la trajectoire du Capital peut être changée s’effraieront du succès du programme de Fillon auprès du public de la Manif pour tous, des chefs d’entreprise et autres habitantEs des beaux quartiers. Ou du remplacement de Hollande par Valls.
SeulEs ceux et celles qui continuent d’ignorer que l’antagonisme de classes est irréductible, que la guerre est déclarée et que le combat, moins que jamais ne se dénouera au sein de l’ordre existant peuvent paniquer et chercher dans les élections la solution la moins pire.
Rien n’a changé fondamentalement depuis six mois. Les centaines de milliers de manifestantEs du printemps n’ont pas disparu, ni leur soif d’un autre monde et leur haine du présent et de ce qu’il nous promet pour demain. Comme n’avaient pas disparus, pendant le mouvement du printemps, les impératifs du Capital, sa nécessité d’exploiter sans contrainte et d’atomiser sans limites, son besoin de frontières de plus en plus hautes. Sa haine des migrantEs qu nient ces frontières et sa police qui les imposent.
Ca ne signifie pas que rien ne s’est passé qui nous importe ces derniers mois. Et ce qui nous importe c’est la barbarie à Alep ou Mossoul, les destructions des campements de migrantEs à Calais et Stalingrad faites pour tuer tout espoir d’un véritable accueil, les camarades emprisonnéEs, l’assassinat d’Adama Traoré et l’insistance à enfoncer sa famille qui ne se résigne pas.
Ce qui nous effraie n’est pas que ce pouvoir s’obstine à empirer la catastrophe de son monde. C’est dans sa nature et dans les coordonnées de la période. Non ce qui peut nous effrayer c’est de ne pas savoir encore la prévenir. Ce qui nous importe c’est de savoir construire ce qui la conjure.
Bref, tout ce qui nous importe est ce qui est absent de la campagne des présidentielles.
Ces derniers mois deux exemples, au moins, confirment pourtant en positif les leçons du mouvement contre la loi travail et son monde. A Notre Dame des Landes 40 000 manifestantEs ont afflué le 8 octobre pour faire chanter leurs bâtons. Bâtons du voyage, bâtons des bâtisseurs… et bâtons des soldatEs. Avec la promesse que si le pouvoir décide d’utiliser la force… ils et elles seront là.
Alors le pouvoir vacille et recule. Parce que le mouvement, lui, n’hésite pas. Il ne raisonne pas sur ce qui pourrait être compatible avec la logique du Capital. Son refus est sans concession parce qu’il n’est basé que sur nos intérêts, ceux des paysans sur place, ceux de notre environnement.
Comme la lutte contre la loi El Komhri ET son monde, la lutte contre le projet d’aéroport est une lutte bien plus générale contre toute la logique qui sous-tend ce projet. Et le refus se combine avec la recherche pratique de construction d’alternatives. Expériences qui ouvrent et renouvellent de nombreuses question stratégique dans la lutte anticapitaliste.
L’autre exemple est le procès des trois flics qui avaient blessé par des tirs au flashball six personnes (dont l’un a perdu un œil) à Montreuil en juillet 2009. Le comité du 8 juillet a fait de ce procès une campagne offensive contre la police et le flashball, « Gardiens de la paix ? Mon oeil ! » faisant notamment intervenir comme témoins des représentantEs de familles de victimes des violences policières, des activistes solidaires des migrantEs à Calais, des sans-papiers de Montreuil et des victimes de l’état d’urgence. Cette stratégie offensive, collective et politique a payé. Même les avocats des flics ont dû critiquer le flashball et ont tenté de disculper leurs « clients » en mettant les responsabilités sur le dos… de leur hiérarchie.
Ces exemples éclairent d’un autre jour les défaites subies sur d’autres fronts et notamment la solidarité avec les migrantEs. Invoquer la faiblesse des rapports de forces est une excuse inacceptable. D’abord parce que, depuis des mois, la solidarité n’a cessé de s’exprimer de multiples manières. La dispersion des migrantEs dans des pseudo-centres d’hébergement s’est certes traduite par des rassemblements du Front National mais, systématiquement des contre-rassemblements se sont tenus plus importants jusque dans des villages. Ce qui est en jeu est plutôt la politique et la stratégie qui ont dominé ce mouvement de solidarité. Ne parlons même pas de l’absence de l’essentiel de la gauche dite radicale dans ce combat. Tant qu’elle justifiera les frontières et le refus de la liberté d’installation, elle n’aura rien à dire aux migrantEs et continuera d’offrir des boulevards au racisme et au renforcement de l’Etat policier. Mais tant que le mouvement de solidarité conjuguera l’accompagnement de la politique soit-disant d’hébergement des autorités avec un paternalisme envers les migrantEs, il ne fera que se désarmer face au pouvoir.
Il y a 6 mois nous écrivions que la « trajectoire autonome du capital ne cessera d’entrer en confrontation directe avec notre classe. Qu’elle résiste de manière spontanée et/ou organisée ne changera rien de ce point de vue. »
Ces derniers mois n’ont fait que l’illustrer. Malgré les résistances, le pouvoir a continué son offensive antisociale, a continué de perfectionner sa machine à réprimer et expulser les migrantEs, à cajôler ses flics, à réprimer les activistes. Il a certes dû se débarasser de ses représentants les plus crâmés, Sarkozy et Hollande. Le Capital est plus conscient de la fragilité actuelle de l’illusion démocratique que la gauhe radicale. Ce qu’illustrent les programmes de Fillon comme Valls, c’est la tendance du Capital à se débarasser de tout ce qui ralentit sa soif de profits et son besoin de faire de l’Etat une efficace machine de guerre. Derrière Vals et Fillon c’est Marine Le Pen et le fascisme qui avancent.
Dans ces conditions, logiquement, se centrer sur cette campagne de la part de la gauche radicale, n’entretient pas sulement la fiction démocratique. Elle entraîne à l’opposé de ce qu’il y a à construire. Il serait plus important de se mobiliser pour écouter le beau programme concoté pour nous (vraiment ?) qu’organiser une campagne de lutte pour obtenir ce qui nous revient et préparer les confrontations, plus dures qui viennent.
Ce qu’il y a à construire, d’urgence au sein de notre classe ? L’autonomie de notre trajectoire et les moyens de se battre pour l’imposer.
C’est d’abord une bataille idéologique. Le droit fondamental est le droit à l’existence avec tout ce que cela comprend, santé, logement, environnement, culture, etc. C’est sur cette base que doivent se décider nos revendications et pas sur leur compatibilité avec les exigences du Capital. Légitime est tout ce qui permet de défendre et/ou de gagner notre droit à l’existence. Contre la loi si elle s’y oppose, contre les forces de l’Etat qui s’interposent.
C’est surtout une bataille concrète. Car cela suppose, pour notre classe tout ce qui vise à reprendre collectivement le contrôle de l’espace, dans nos lieux de travail, nos quartiers, lieux de vie et lieux de circulation, nos lieux d’étude etc. Cet espace est, dans ce monde dominé par le Capital, indissociablement lieu de vie et lieu de lutte, de vie par la lutte, de lutte par la vie et pour la vie. Car cet espace doit être repris au Capital et à l’Etat.
Légitime, et nécessaire, est donc tout ce qui détruit le contrôle du Capital et de l’Etat sur nos lieux de travail, de vie, de circulation, d’études, etc. Tout ce qui permet collectivement d’en prendre le contrôle.
Par où avancer, continuer ? Nous sommes bien sûr du côté de ceux et celles qui proclament que « 2017 n’aura pas lieu », de ceux et celles qui appellent à aller à l’abordage des présidentielles. Plutôt que des professeurs sages qui veulent nous enseigner que « 2017 aura lieu », qu’il faut faire avec, etc.
Pourtant se focaliser sur le sabordage des élections c’est encore se concentrer sur le terrain de l’ennemi. A un moment où notre propre terrain existe peu. Pour saborder les élections il faut qu’existe un terrain qui dépossède ces élections de toute séduction, de toute illusion même la plus désespérée. C’est parce qu’existait la Zad à Notre Dame des Landes et le mouvement qui la soutient que ce mouvement a pu refuser toute légitimité au référendum organisé par le pouvoir. Mais si l’illusion démocratique est en train de se saborder elle-même elle attire encore comme une bouée beaucoup de ceux ou celles qui se noient… et ne rencontreront que la matraque du garde-frontière.
Ce sur quoi il faut se concentrer aujourd’hui c’est construire, dans les idées comme dans la pratique les conditions de l’autonomie de notre classe. Lieu après lieu, dans une boîte, autour d’un hôpital, d’une école ou d’un bureau de poste menacés, autour d’un campement ou d’un centre d’hébergement de migrantEs ou de Rroms, en défense/construction d’un lieu occupé, construire nos formes d’organisation collective pour contrôler nos espaces et les défendre. C’est aussi la leçon de NDDL ou du comité du 8 juillet : ces mouvements ne se sont pas proclamés, ils se sont construits.
Et mettre en lien ces différentes formes d’organisation, ces différents fronts de lutte, les faire connaître, débattre sur la base de leurs expériences et des questions qu’elles soulèvent. Et les faire converger dans la lutte contre l’Etat et ses violences, dans la lutte contre le racisme pour une véritable solidarité de classe, dans le combat pour empêcher les fascistes de bénéficier de la situation.
Parce que le seul moyen que le pire (du Capital) ne soit pas sûr, c’est de se battre pour le meilleur (pour nous). Faisons chanter nos bâtons : du voyageur, du bâtisseur et du soldat.
Denis Godard, 13 décembre 2016