Les idées révolutionnaires de Karl Marx

Les crises politiques et économiques actuelles, leurs décantations en matière de lutte de masse, de renforcement des antagonismes de classe, de montées du racisme, du danger du fascisme ou de la guerre, redonnent à l’œuvre de Marx toute sa force. Pendant le mouvement contre la réforme des retraites et son monde, nous avons proposé des cycles de discussion avec toutes celles et tous ceux voulant échanger et généraliser leurs analyses. L’un de ces échanges a été introduit sur la base des principales idées défendues par Karl Marx au 19e siècle et qui nous semble encore aujourd’hui nécessaire de développer dans cet article.

Les Cahiers d’A2C #08 – Mai 2023

Après l’effondrement des régimes staliniens et l’effondrement de l’URSS en 1991, Marx et son œuvre ont été marginalisés. Être marxiste est alors considéré comme démodé. Dans ce contexte, Francis Fukuyama écrit La fin de l’Histoire et le dernier Homme, où il affirme que le temps des guerres et des révolutions est révolu grâce à l’émergence d’un marché libre qui dominerait le monde à travers la démocratie libérale. Contrairement à ce qu’il pouvait prétendre, le monde capitaliste n’a pas cessé d’être bouleversé par des crises de nature révolutionnaire ou par la montée du fascisme. 

Le marxisme confronté aux crises du 21e siècle

Pour la première fois depuis la chute de l’URSS, l’idée même de la guerre s’ancre au cœur de l’Europe sur laquelle plane une nouvelle menace de conflit nucléaire mondiale. Les prédictions de F. Fukuyama il y a 30 ans ne se sont évidemment pas réalisées. Les crises économiques et politiques bouleversent notre époque. En raison de cela, le consensus idéologique autour de la stabilité du système capitaliste s’effondre. Même aux USA, l’idée du socialisme cristallise de la sympathie. La popularité de Bernie Senders ou l’émergence de DSA en sont l’incarnation. Dans la rue, cela s’est traduit par des grèves enseignantes sous l’ère de Trump, des manifestations de centaines de milliers de femmes lors de son investiture ou encore par la rébellion antiraciste de 2020 durant laquelle 26 millions de personnes ont manifesté contre les crimes racistes de la police américaine suite à l’assassinat de Georges Floyd. 

Ces soulèvements ont modifié la conscience de la population. Par exemple, en 2020, les syndicats ont proposé de participer à des actions contre le racisme. Souvenons-nous d’Angela Davis qui déclarait : « Les travailleuses et les travailleurs ont la possibilité de mettre fin au racisme ». Cette vision stratégique est un réel héritage de Karl Marx : elle repose sur l’idée que la classe ouvrière est au centre de la lutte pour un monde débarrassé de l’ensemble des oppressions et donc du racisme. Ce sont les travailleuses et les travailleurs qui ont le pouvoir de transformer la société en raison du rôle qu’ils et elles jouent dans la production capitaliste. Leur pouvoir collectif peut se traduire par des grèves, jusqu’à des crises révolutionnaires. 

Des épisodes comme la crise de sub primes en 2008 ou celle de 2020, conséquence de la pandémie, ont favorisé la gauche dans les processus électoraux. Certaines organisations comme Syrisa en Grèce ou Podemos dans l’État espagnol ont fini par capituler devant les impératifs de la bourgeoisie. Pour comprendre les raisons de leur échec il faut en revenir à Marx, pour qui gagner les élections ne signifiait pas prendre le pouvoir. 

La crise actuelle met en lumière que le système capitaliste, en lui-même, est au centre du problème. Les crises économiques en cours ou le réchauffement climatique en sont les conséquences directes. Alors que la pandémie a révélé au plus grand nombre à quel point notre modèle agro-alimentaire est destructeur pour l’humanité, rien n’a changé trois ans après. 

Marx devient marxiste 

Marx est d’abord un militant révolutionnaire. À ses funérailles, Friedrich Engels déclare, que c’est ce qu’il est avant tout. Il atteint sa majorité politique en Allemagne. Lors de sa formation universitaire. Marx reçoit un enseignement juridique et philosophique par des Hégéliens de gauche. Ces héritiers de la pensée d’Hegel veulent éradiquer le féodalisme et défendent la liberté politique. L’Allemagne de l’époque est un ensemble de petits États despotiques et issus de la féodalité. Le mouvement hégélien se caractérise par une aspiration à l’unité nationale et la démocratie représentative. 

La première source d’inspiration de cette époque est la Révolution française. Selon les hégéliens des premiers temps de Marx, elle a brisé la monarchie et ouvert la voie à la démocratie. Le siècle du jeune Marx est aussi marqué par la révolution industrielle. Celle-ci transforme en profondeur le quotidien des populations. La classe ouvrière en émerge, elle est incarnée par des millions d’hommes, de femmes et d’enfants exploité·es dans des conditions épouvantables. 

À partir des années 1840, Marx est impliqué dans plusieurs organisations et luttes politiques. Une séquence modifie durablement la vision qu’a Marx de la société dans laquelle il milite. Les révolutions de 1848 continuent l’œuvre de la Révolution française avec un changement inédit : la participation active et majoritaire de la classe ouvrière. Alors que les capitalistes de 1789 prennent part à la révolution, les capitalistes de 1848 y voient une menace pour leur pouvoir en raison de la participation active des franges ouvrières de la population, presque inexistantes en 1789. Cela marque d’une part, la fin de l’ère de la révolution bourgeoise et, d’autre part, l’avènement de la révolution ouvrière. 

Après les défaites des révolutions de 1848 et les séquences de répression qui s’en sont suivies, Marx est expulsé d’Allemagne. Il vit la majeure partie de son existence en tant que réfugié à Paris, à Bruxelles et à Londres. À Paris, il assiste fréquemment aux meetings socialistes et y fait la rencontre de F. Engels, lui-même arrivant de Manchester où il aidait à la direction de l’industrie familiale.  

Engels a une influence réelle dans l’œuvre de Marx car il est un témoignage vivant de la conception de l’exploitation capitaliste. Engels est un traître à sa classe au sens où il défend et décrit les aspirations de la classe ouvrière dans l’Angleterre victorienne. 

Mary Burns, la maîtresse d’Engels était une migrante de la classe ouvrière irlandaise, elle a également eu une influence très importante sur Engels et Marx lui-même. C’est par elle que Marx et Engels vont à la rencontre du mouvement ouvrier, très avancé déjà à l’époque. C’est de ces discussions, alors que Marx vit à Londres, qu’il participe à la fondation de la première Association Internationale des Travailleurs (AIT). 

L’Association Internationale des Travailleurs est la première forme d’organisation regroupant plusieurs courants européens de militant·es ouvrier·es socialistes en plus des principaux syndicats britanniques. Marx allie la pratique, par son investissement dans cette Première Internationale ouvrière, à la théorie, par la rédaction du Capital. Cette œuvre conserve sa pleine actualité pour tou·te militant·e désirant comprendre en profondeur le fonctionnement du système capitaliste. 

Le matérialisme historique 

Les premières idées révolutionnaires de Marx se regroupent dans son analyse matérialiste de l’histoire. Le matérialisme historique implique d’appréhender les sociétés humaines par le prisme de leurs réalités matérielles. Encore aujourd’hui, nous considérons que les réalités matérielles dans lesquelles nous vivons déterminent nos formes de représentation, nos sentiments et nos idées. À son époque, Marx rompt avec l’idéalisme qui domine chez les Hégéliens de gauche. Ce courant de pensée part du postulat que les idées des sociétés humaines en définissent leurs réalités. L’histoire au 19e siècle est alors narrée par une succession d’évènements où seule l’influence des grands hommes, des puissants, est retenue. Marx se pose en rupture avec cette vision en attribuant aux classes laborieuses le rôle principal des séquences historiques et de l’évolution des sociétés humaines. Selon lui, le moteur de l’histoire repose principalement sur les antagonismes de classe qui dominent chacune des périodes de l’histoire de l’humanité. 

L’exploitation capitaliste 

Marx définit le capitalisme comme reposant sur un rapport social : l’exploitation. Marx, durant l’ensemble de ses œuvres ne cesse de le répéter, ce sont les travailleuses et les travailleurs qui produisent les richesses de la société. Sa haine du capitalisme et des horreurs qu’il engendre se sont affûtées par une analyse précise de son fonctionnement. L’optimisme de son analyse repose sur les potentialités de la classe ouvrière, en capacité d’être le fossoyeur de ce système. 

Ce système de domination économique et politique repose selon lui sur l’extraction d’une plus-value par les capitalistes sur les richesses produites par la classe ouvrière, et donc par la réalisation d’un taux de profit par ceux qui détiennent les capitaux. 

La logique du capitalisme reposant sur l’exploitation des travailleuses et des travailleurs en des lieux de travail, les capitalistes s’assurent que leurs employé·es travaillent longuement et durement afin de générer des taux de profit maximum. La réalité de l’exploitation engendre nécessairement des luttes à l’échelle de l’atelier ou de l’usine sur la durée de la journée de travail ou sur les cadences de la production. À l’époque de Marx, le salaire des ouvrier·es n’est en rien un montant fixe. Il est calculé à partir de la productivité des salarié·es. Les luttes pour le montant du salaire, autrement dit, pour la répartition des richesses produites est un des facteurs importants du développement des grèves au 19e siècle. 

En plus de grèves à caractère économique, se situant à l’échelle d’une usine, Marx dresse une lecture des crises révolutionnaires du 19e siècle. Marx constate que ceux qu’il nomme les prolétaires, celles et ceux ne possédant que leur force de travail à échanger contre un salaire, ont cette capacité de s’organiser de telle sorte qu’émergent des contre-pouvoirs ouvriers. 

De ces mouvements révolutionnaires, Marx en tire une conclusion : la révolution est autant nécessaire pour briser le système capitaliste que pour modifier les idées mêmes des travailleuses et des travailleurs prenant part à ces soulèvements. C’est par le processus même de la lutte révolutionnaire que la classe ouvrière prend conscience de sa propre force tout en se débarrassant des idées réactionnaires de la bourgeoisie. D’où cette idée si importante que l’émancipation des travailleur·euses sera l’œuvre des travailleur·euses eux et elles-mêmes. 

Ainsi, le capitalisme repose sur une contradiction principale. L’exploitation, en tant que rapport social, est une forme de domination différente d’autres formes d’oppression telles que le racisme ou le sexisme. L’exploitation, aussi violente soit elle, donne aux travailleur·euses la potentialité de changer la société. 

À l’assaut du ciel : le bilan de Marx de la Commune de Paris

L’expérience révolutionnaire la plus affirmée à s’être déroulée du vivant de Marx est la Commune de Paris. Toutefois, il constate que la règle de tout processus révolutionnaire est l’émergence de formes de pouvoir alternatif animées par des travailleuses et des travailleurs. La Commune de Paris n’est pas une exception qui confirme la règle, mais bien l’expérience la plus aboutie durant laquelle les ouvrier·es, les artisan·nes ou les apprenti·es parisien·nes ont incarné durant quelques mois, un pouvoir alternatif à celui de la bourgeoisie. 

La Commune de Paris est une forme de démocratie ouvrière radicale. Dans La Guerre Civile en France, Marx rassemble des discours prononcés devant l’AIT. Dans cet ouvrage, Marx analyse comment les communards ont réorganisé toute la vie politique,

C’est à partir de cette œuvre que Lénine réfléchit à la question de l’État dans L’État et la Révolution. Selon Marx, l’État n’est pas neutre. Une victoire électorale ne désarme par les forces réactionnaires incarnées à l’époque de la Commune par la police de la réaction, l’Église ou les armées contre-révolutionnaires. Par le triste bilan tiré de l’écrasement de la Commune, Marx voit en l’État capitaliste un outil de répression forgé contre la classe ouvrière. En cela, la Commune de Paris s’est fait écraser en raison de son incapacité à détruire l’État de la bourgeoisie. 

Une révolution se donnant pour objectif d’aller jusqu’au bout, sera donc confrontée à la nécessité d’écraser l’État et les forces sur lesquelles repose le pouvoir de la bourgeoisie dans de tels contextes : l’armée, la police et les prisons.  

Iannis Delatolas (Paris 20e)