L’article d’Alain Pojolat sur la manif antifasciste du 21 juin 1973, violente, avec attaque frontale de la police, protégeant l’accès au meeting d’Ordre nouveau contre l’immigration sauvage, mérite que l’on revienne sur le contexte historique, social et militant. Il ne s’agit pas de contredire l’article mais d’y apporter des éclairages nécessaires et instructifs pour aujourd’hui.
Les Cahiers d’A2C #09 – septembre 2023
Les luttes et mobilisations des années 1950 et 1960, guerres de décolonisation et de libération nationale des peuples, les écrits et discours vont permettre d’échapper au seul face à face entre l’impérialisme américain et le bloc soviétique stalinien, le capitalisme impérialiste et le capitalisme d’État, ceux qui se sont partagés le monde à Yalta et Postdam, après la défaite hitlérienne.
La tentative de putsch des généraux d’avril 1961 en Algérie va faire basculer une partie des militants d’extrême droite, qui rêvent de perpétuer l’Empire et tentent de construire un front uni anticommuniste et antidécolonialiste, la Fédération des étudiants nationalistes (FEN), vers les terroristes de l’OAS.
L’extrême gauche, décolonisatrice, Algérie algérienne, se réoriente alors vers une mobilisation et un activisme anti-OAS, antifasciste, notamment pour prévenir tout risque de coup d’État. Cela va mener à la création du FUA, Front uni antifasciste.
Les forces en présence, outre l’Unef, alors organisation de masse très engagée pour l’Algérie algérienne, sont l’UEC avec diverses tendances (gramsciste, différents courants trotskistes, une tendance maoïste et bien sûr le courant stalinien du PCF) et le Parti socialiste unifié (PSU) qui monte des Groupes d’action et de résistance (GAR). De son côté l’OCI, trotskiste lambertiste, refuse de rejoindre le FUA et créer la Fédération des étudiants révolutionnaires qui va également combattre l’extrême droite.
Les fachos nationalistes attaquent violemment la librairie et le journal Clarté de l’UEC tenu par les oppositionnel·les majoritaires, et envoient à l’hôpital Pierre Goldman en décembre 1964, ou Alain Krivine en mai 1965.
La violence en milieu étudiant : « la peste brune s’écrase dans l’œuf » !
Les affrontements ne cessent pas. En 1964, la FEN exclut huit de ses membres, dont François Duprat, Gérard Longuet, Alain Madelin, Alain Robert, qui vont créer avec d’autres Occident. Ils généralisent les attaques à la barre de fer et les passages à tabac. En réaction, les organisations d’extrême gauche restructurent leurs SO et se donnent les moyens de riposter. Jusqu’à mai 1968 la violence d’Occident s’accentue (attaques contre des beatniks, des dirigeants d’extrême gauche, des meeting Vietnam à Rouen et à Paris)… Les ripostes sont déterminées : attaques d’Assas, de rassemblements et manifs faschos, de diffusions de tracts et passages à tabac de militants et dirigeants… C’est dans ce contexte que la direction du PCF exclut les antistaliniens majoritaires de l’UEC en 1965-1966, ce qui donnera naissance à la JCR en 1966, à l’UJCML… mais aussi aux comités Vietnam. De ce vivier militant naissent et se massifient les organisations révolutionnaires de 1968 et des années 1970, constituant un véritable tournant. Parallèlement au milieu étudiant, les lycéen·nes prennent toute leur part à cette histoire (Comité Vietnam lycéen, grève des lycées de novembre 1967 et création des CAL…).
Cette radicalisation militante se fait dans un internationalisme des luttes, des idées, des projets révolutionnaires notamment :
– Contre la torture en Algérie et contre la violence d’État (les coups de force du 13 mai 1958 pour amener De Gaulle à l’Élysée, la répression sanglante des manifestations des algériennes et algériens du 17 Octobre 1961, et celle du 8 mars 1962).
– Contre la guerre au Vietnam en soutien au FNL (création en 1966 du Comité Vietnam national pour la JCR, des comités Vietnam de base pour les maos).
– La création par Cuba en janvier 1966 de la tricontinentale, qui va donner naissance à l’Organisation de la solidarité des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Les participant·es provenaient de 82 pays du tiers monde profondément marqués par la décolonisation et l’anti-impérialisme, issus de mouvements sociaux d’horizons politiques différents : organisations nationalistes, maoïstes, trotskistes, castristes ou guevaristes prônant souvent la résistance armée et l’essor des guérillas.
– En avril 1966 débute à Pékin la grande révolution culturelle prolétarienne.
– Du 5 au 10 juin 1967, Israël annexe la Cisjordanie, du Golan, de Gaza, et tout Jérusalem après la guerre éclaire des 6 jours.
Cette culture politique intégrant la violence révolutionnaire s’est donc forgée contre le capitalisme et la société individualiste bourgeoise de la fin des 30 glorieuses, contre l’impérialisme, le stalinisme et ses déclinaisons politiques, contre les fascistes, les défenseurs de l’Empire français et les héritiers du national-socialisme, contre la démocratie bourgeoise au travers du gaullisme et sa violence d’État.
Septembre noir un tournant pour l’internationalisme et le contenu des stratégies révolutionnaires
Le conflit entre le royaume jordanien et son armée, soutenu par des pays de la région, les USA et des pays européens, et l’OLP s’envenime et se poursuit du 12 septembre 1970 à juillet 1971, quand Arafat et ses combattants sont expulsés de Jordanie manu militari. Toujours plus loin de leur territoire, la Palestine, les palestinien·nes vont créer des organisations de lutte pour la libération de leur pays, des organisations paramilitaires voire militaires recourant à la violence terroriste. Ces évènements vont profondément marquer les années 1970 et voir naître nombre d’organisations recourant aux attentats et aux meurtres de personnalités représentant le capitalisme, l’impérialisme, la guerre contres les palestinien·nes (Action directe, la Bande à Baader-Fraction armée rouge, les Brigades rouges …)
Les manifs attaques des meeting fascistes (Palais des sports 1971, Mutualité 1973)
Les affrontements entre Occident, Ordre nouveau, et en premier lieu la JCR puis la Ligue communiste mais aussi des organisations maoïstes, le PSU, Révolution, ne vont pas cesser. Le 9 mars 1971, Ordre nouveau tient un meeting néo-nazi au Palais des sports. Des mouvements d’extrême gauche diffusent un tract : « Le meeting d’Ordre nouveau n’aura pas lieu ». De violents affrontements éclatent entre les contre-manifestants et la police à laquelle se joint le service d’ordre d’Ordre nouveau. Pour préparer la contre manif et l’attaque du meeting la Ligue organisa une campagne avec articles de presse, textes avec signatures et appels au 9 mars. Cela se traduira par la présence d’anciens résistants FTP et de déportés porte de Versailles pour affirmer aux côtés des manifestant·es la continuité du combat antifasciste, « Le fascisme ne passera pas ».
Le 21 juin 1973, Ordre nouveau décide de tenir à la Mutualité un meeting sur le thème : « Halte à l’immigration sauvage ! », une véritable provocation pour l’extrême gauche et qui confirme que le racisme est un terreau privilégié pour le développement et l’expression du fascisme (voir l’article d’Alain Pojolat). Pour cette manif, contrairement à 1971 la campagne est presque inexistante.
Le 28 juin, le gouvernement dissout la Ligue communiste et Ordre nouveau. Les dirigeants d’Ordre nouveau ne sont pas inquiétés par la justice tandis que des dirigeant·es de la Ligue communiste, sont recherché·es et certain·es incarcéré·es. L’ensemble de la gauche, y compris le Parti communiste, se solidarise contre la dissolution de la Ligue communiste. Le 4 juillet un meeting se tient au Cirque d’hiver mais la Ligue communiste y est privée de parole. Un appel, signé par des organisations d’extrême gauche, est publié : « … Nous appelons à la constitution d’un comité national sur la base de cet appel pour engager la lutte et faire échec à la répression. »
En forme de conclusion provisoire
La radicalité idéologique contre le capitalisme, l’impérialisme doit-elle se traduire par la violence armée, y compris au sein des démocraties bourgeoises, un terrorisme aveugle ou des assassinats individuels ? Au-delà des luttes contre l’impérialisme, des luttes de libération nationale, la fin ne peut justifier à elle seule les moyens. Nous sommes toujours au cœur de ce débat, qui a traversé la Ligue et l’extrême gauche suite à l’interdiction en 1973 et à l’apparition d’organisations dites « terroristes » mais qui n’a jamais pris l’ampleur nécessaire. Le capitalisme pour mener sa guerre de classe impose l’individualisme contre l’encommun et le bien commun. En ce sens les assassinats d’Aldo Moro symbole de la démocratie bourgeoise, démocratie chrétienne, par les Brigades rouges, celui de Georges Besse par Action directe, symbole du capitalisme, du grand patronat, celui d’Hans Martin Schleyer symbole du grand capital et des nazis « repentis » par la Bande à Baader n’individualisent pas la lutte de classe. Sans commune mesure, cela va de soi, le « Je lutte de classe » n’est-il pas une victoire de cet individualisme ? Le « nous lutte de classe » aurait porté en avant l’encommun et la volonté, solidarité et détermination de notre classe.
Si ce débat reste ouvert, quelle stratégie doit-on avoir aujourd’hui contre l’extrême droite, les fachos. Cette lutte indispensable doit-elle se dissoudre dans les luttes contre le macronisme et le capitalisme ? Je suis convaincu qu’il doit y avoir une spécificité à ce combat. Les succès électoraux du FN-RN doivent nous amener à préciser notre stratégie et nos tactiques. Il faut amener le RN à son fondement idéologique et à « sortir du bois ». Pour se faire il faut se défendre et ne pas laisser les groupuscules d’extrême droite et Reconquête occuper le terrain et nous attaquer. Il y a urgence à constituer un front antifasciste unitaire, le plus large , déterminé, tout particulièrement quand se développent, au sein de la société, des médias, la doxa fascisante, les pires discours idéologiques, démagogiques et populistes, tout particulièrement contre l’immigration « sauvage », on y revient !