Voici quelques extraits d’une discussion entre Fousseini, un des délégués des Jeunes mineurs occupant la Maison des Métallos à Paris, et Mathieu, membre du collectif 20ème solidaire avec tou.tes les migrant·es. L’intégralité de la discussion, où Fousseini parle notamment de son parcours migratoire, est à retrouver en audio sur le site d’A2C.
Les Cahiers d’A2C #13 – juin 2024
Fousseini
Avant d’être dans le collectif de Belleville, j’étais dans le collectif de St Merri dans le 4ème arrondissement. On était une centaine de jeunes qui dormaient devant l’école avec des familles, des bébés de 2 mois, 3 mois, des enfants de 4 ans, 5 ans.
Et le 5 décembre Anne Hidalgo faisait ses vœux. Les soutiens se sont dit que c’était le moment opportun pour interpeler la ville de Paris. On a fait un petit groupe de 8 jeunes et trois soutiens, on est entrés et on s’est éparpillés et la maire est venue faire ses vœux et on l’a interrompue. “Tout ce que tu dis, on ne te croit pas, tu dis que la ville de Paris c’est une ville d’accueil mais il y a des centaines de jeunes qui dorment dans la rue juste devant toi”. Alors on a été reçus, les 8 qui étaient là avec les 3 soutiens.
Au début ils nous ont dit: “on n’a pas de places, on est en train d’étudier le sujet, il faudrait que vous attendiez une semaine, deux semaines”. Mais nous, les 8 qui étions là, on a dit que tant qu’il n’y aurait pas de solution on ne sortirait pas, qu’ils devraient appeler la police pour nous faire sortir de force. Et qu’on allait appeler les 150 jeunes qui dorment devant l’école et qui attendent de nos nouvelles et s’il n’y a pas de mise à l’abri on va leur dire de venir pour camper devant la mairie ou bien dedans. Ils avaient l’impression qu’on venait avec un rapport de force total, qu’on était déterminés. Par miracle ils ont ouvert un gymnase. La même nuit ! Ils ont envoyé des bus. Ils ont mis les familles dans un gymnase. Les jeunes dans un autre gymnase. La même nuit !
C’est là que je me suis persuadé, j’en suis convaincu, ce qu’ils disent même si les actes ne sont pas très réels, nous sommes dans un pays de droits. Il ne faut donc pas que je sois enfermé par moi-même et que je ne réclame pas ce qu’ils disent. Et donc que la lutte est réelle, qu’il est important d’être engagé, tu peux le faire. Et donc je dis à mes camarades, si tu veux t’engager dans une lutte il faut que tu sois convaincu que tu peux la gagner et que tu sois convaincu que c’est un choix que tu as fait, un choix réel que tu as fait avant de t’y mettre, sinon tu vas juste attendre les actions de tes camarades.
Et c’est comme ça que j’ai rejoint le collectif des Jeunes de Belleville. Après notre action du 5 décembre, il y avait la manifestation du 18 décembre où les Jeunes de Belleville ont participé à la manif et on a fait la jonction. C’est là que j’ai pris la parole et Jon m’a proposé de participer aux réunions et c’est comme ça que j’ai rejoint le collectif des Jeunes du parc de Belleville.
Mathieu
A 20ème so’, on avait prévu une réunion publique en septembre à l’amphithéâtre en haut du parc de Belleville. Mais quand on apprend qu’il y a des centaines de jeunes qui dorment dans le parc, on se dit qu’il faut essayer de les rencontrer. Donc en août, début septembre on passe plusieurs fois dans le parc. A ce moment-là ce n’était même pas un campement, c’était un camp de fortune parce que la journée ils cachaient leurs affaires et c’est seulement la nuit, quand le parc était fermé au public, que les jeunes venaient y dormir. Et il y en a pas beaucoup, peut-être dix, qui viennent à cette réunion publique où il y a une cinquantaine, une soixantaine de personnes. C’est là qu’on commence à discuter, on leur demande de parler de leur situation, pourquoi ils sont là, etc. Et surtout dès ce moment-là on part sur l’idée que la seule solution qu’il y aura c’est si vous êtes prêts à vous battre et on leur demande donc, surtout, qu’est-ce vous êtes prêts, vous, à faire. Et là, on est un peu surpris de la première réponse des jeunes. Ils nous disent, écoutez, nous on est prêts à faire ce que vous voulez sauf une manif. Parce qu’ils avaient eu l’expérience de Erlanger1, des tentes devant le Conseil d’Etat où la répression avait été très dure. On sentait que la question qu’on posait, qu’est-ce que vous voulez faire, qu’est-ce que vous êtes prêts à faire, ça allait prendre du temps pour les jeunes notamment parce que les associations jusque-là c’était pas du tout ce qu’elles encourageaient.
Et donc on revient plusieurs fois. Et ça a été compliqué. Après plusieurs rencontres, un petit noyau de jeunes me dit mais le problème avec vos réunions, les moments où vous les faites, les jeunes ne sont pas là. Il faudrait faire à une autre heure. Donc venez faire une réunion à 23H. Donc on fait ça et effectivement à 23H il y a plein de jeunes qui viennent mais aussi plein d’habitants. Franchement pour un truc de nuit on était plus d’une centaine, même 150 à discuter. Et là c’était ouf, c’est là où ça m’a le plus marqué, parce qu’on ne savait pas comment faire, c’était assez impressionnant. Les jeunes commencent à discuter et puis Youssouf, l’un d’entre eux dit : “mais nous on a aussi besoin de savoir ce que vous voulez, ce que vous êtes prêts à faire”. Et là il y a la représentante d’une association qui prend la parole, qui parle pendant 20 mn et qui dit, “tout va bien, si jamais les flics arrivent il y aura des habitants pour empêcher ça, si vous avez des questions il faut contacter les associations, ce qu’il faut c’est juste organiser un vestiaire”. Et là on est plusieurs à dire : “mais il faut arrêter de mentir, il faut dire aux jeunes qu’il n’y a rien, que personne n’est au courant qu’ils sont là!” Parce que jusque-là les associations n’en avaient parlé à personne.
Et petit à petit il y a un groupe de jeunes qui se forme et on fait notamment deux grandes réunions à la Maison de l’Air, auxquelles la mairie vient et ce sont les jeunes qui organisent les réunions. Et là on voit que les soutiens, les associations sont un peu surpris mais c’étaient des réunions hyper fortes où des choses commencent à être dites comme “on est des enfants du 20ème, on veut rester là, c’est là qu’on est bien, c’est là qu’on connaît des gens, on ne veut pas retourner dans le 16ème parce que dans le 16ème il y avait des racistes, il n’y avait pas la solidarité”.
C’est comme ça qu’on apprend que la préfecture et la mairie préparent ce qu’ils appellent la mise à l’abri. Ça se passe comme ça, un soir, à une réunion de 20ème solidaires avec des jeunes, et la mairie vient et dit “voilà demain matin à 5H00 les CRS vont venir et vont embarquer 270 jeunes dans des centres d’hébergement dans la région parisienne”. Et nous on dit mais c’est quoi ces manières de faire ? La mairie disait “mais c’est une super nouvelle parce que les mises à l’abri il n’y a que ça qu’on peut obtenir”. Les associations disent qu’il n’y a plus rien, plus d’hébergements donc il faut prendre ce qu’on peut obtenir. Et là il y a Youssouf qui pose la question simplement : “et si nous on décide de ne pas monter dans les cars vous faites quoi” ? Et nous, 20ème so’ on dit “et bien on ne sait pas comment on peut faire mais nous, si vous ne voulez pas monter, on vous soutient”. La mairie tape un scandale et aussi des associations en nous traitant d’inconscients. Et la mise à l’abri a lieu, la rafle, parce que je n’ai jamais ressenti un truc aussi horrible, c’est une humiliation, quand on compare à ce que vous avez réussi à faire depuis. Mais là ce sont les CRS, qui veulent montrer que ce sont eux les chefs, qui humilient le collectif, les jeunes qui sont délégués, qui humilient même les associations qui sont là, c’est vraiment sale2.
Par contre c’est là que plusieurs jours après des jeunes reviennent dans le 20ème et disent “là on a compris, oui on peut gagner mais il ne faut plus se laisser faire, il faut s’organiser”. C’est là que commence vraiment le collectif des jeunes de Belleville.
Fousseini
Bien sûr nous on est un collectif militant. Les associations nous disent, nous on fait de l’humanitaire. On ne peut pas faire de la politique. Du coup ils sont limités. Ils veulent toujours présenter une bonne face à l’Etat en disant, t’inquiète, nous on va gérer le mouvement. Même là, récemment, quand on a été à la mairie, quand les campements ont été détruits sur les quais, moi j’écoutais les bénévoles des associations qui disaient, ok si la préfecture accepte une délégation il y aura, 2 personnes de Médecins du monde, 2 personnes de Médecins sans frontières, 2 personnes d’Utopia, … alors moi j’ai dit, mais arrêtez ! Il n’y a aucun jeune parmi vous. Ça ne se passe pas comme ça. Laissez parler les jeunes. Ce sont eux qui sont à la rue, ce sont eux qui sont dans une situation précaire, ce sont eux qui subissent le harcèlement policier donc ils sauront expliquer mieux que vous parce que vous vous n’allez pas faire le rapport de force comme il le faut. Et si vous ne pouvez pas faire avec le collectif, faites une délégation avec les jeunes. Juste trois soutiens, une personne de Médecins du monde, une personne de MSF, une personne de Utopia et puis ça va. Vous prenez 5 jeunes et vous laissez les jeunes parler d’abord. Que les élus et les autres entendent ce qui sort de la bouche des jeunes. C’est là que ça peut changer. Sinon ce sera incohérent de votre part.
Mais je crois que les institutions commencent à se rendre compte, c’est la première fois, mais c’est fou, comment ça se fait que les jeunes peuvent se guider comme ça, prendre tout dans leurs mains et s’imposer comme ça. Ils ne s’imaginaient pas que ça puisse se passer comme ça, que des enfants arrivent à faire un rapport de forces total avec les institutions sans avoir peur de tout ce qui allait se passer. Et moi je dirais que je n’aurai peur de rien tant que je n’obtiens pas ce que je demande. Et à chaque fois c’est l’idée que je mets dans la tête des jeunes. Levez-vous, pour parler, levez-vous pour réclamer ce qui est des droits pour vous. Sinon vous ne les aurez pas. Nous sommes dans un pays de racistes, dans un pays qui est réel, tout ce que tu dois obtenir il faut l’obtenir par la force.
Mathieu
Ce qui est impressionnant, que vous démontrez bien, c’est que la seule solution c’est la lutte collective. Comme c’est le cas pour les camarades sans-papiers, de plus en plus, ça l’était déjà, la solution individuelle ça ne marche pas. On n’est pas dans une situation de négociation administrative, on est dans une question d’égalité des droits et ça ne peut avancer que par le collectif.
Fousseini
Dans les jours à venir la mairie peut trouver une mise à l’abri pour les jeunes mais si la présomption de minorité n’est pas mise en place dans les mois qui viennent des centaines de jeunes vont se retrouver à la rue.
La majorité des jeunes viennent de l’Afrique de l’ouest. Ils parlent le français. Et la majorité des pays de l’Afrique de l’Ouest ont été colonisés par la France. Mais même si on parle le français la majorité des jeunes sont illettrés et veulent s’instruire. Pour s’intégrer il faut une éducation parfaite, il faut rencontrer des gens d’autres origines, d’autres générations, il faut parler. Ça doit permettre de te cultiver. C’est pourquoi nous réclamons l’éducation. Et si on a l’éducation moi je pense que ça englobe tout parce que ce n’est pas que l’école. Tu ne peux pas aller à l’école si tu n’as pas le titre de transport, si tu n’as pas une bonne santé. C’est la première chose. La seconde c’est la lutte. C’est fou ce que les jeunes font actuellement à Paris, on a pu obtenir des choses que les gens n’imaginaient pas. Avec l’aide des soutiens qui leur ont dit : “vous pouvez y arriver si vous avez confiance en vous”. C’est primordial. Si tu n’as pas confiance en toi, même si Hidalgo est derrière toi tu ne peux pas obtenir ce que tu veux. Si tu n’as pas confiance en toi-même si Macron vient aider tu ne peux pas avoir. Pour gagner il faut que tous les jeunes qui sont là aient une confiance totale en eux.
Et je dis aux jeunes à chaque fois, il faut qu’on soit fiers de nous. Même si ce qu’on veut on ne l’a pas, on a fait passer nos voix, on a fait passer des messages. Par mille manières on a visibilisé la situation des mineurs. Actuellement tout le monde voit ce que les mineurs peuvent faire, comment les jeunes mineurs s’organisent, le fait que c’est nous qui décidons de la lutte des jeunes du parc de Belleville. Tout le monde veut faire des choses avec nous. A Paris, la lutte des jeunes du parc de Belleville ça fait rêver les luttes qui s’endorment. Et les jeunes donnent du courage en disant qu’il y a de l’espoir. Il faut qu’on se lève parce qu’on ne va pas avoir cette lumière ou cet espoir en dormant ou en disant qu’on va laisser faire les délégués ou les soutiens pour généraliser.
Mathieu
En réalité nos obstacles ce n’est pas la mairie ou l’Etat. Ça c’est ceux qu’on veut faire flancher. Les obstacles c’est en nous. Et bien sûr on peut parler d’un mouvement de solidarité. Mais une majorité de gens voient ce que vous faites comme la lutte d’un groupe à part. Comme si, parce que vous êtes des immigrés, ce que vous faites n’est pas pour tout le monde. Et j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens, qui sont pourtant prêts à se battre, des associations, des syndicats, qui quand ils voient ce que vous faites, ne se reconnaissent pas dedans. Je pense que c’est ça l’obstacle majeur. Cette manière de penser que quand même les Français et les immigrés ce n’est pas pareil, où tout se passe dans un cadre national. Et qui n’arrivent pas à penser que quand des jeunes isolés se battent pour un logement pour tous, ils se battent pour un logement pour tous, s’ils veulent l’école pour tous, c’est l’école pour tous. Grâce à ce que vous faites, il y a, par exemple dans l’éducation, des syndicalistes qui vous rejoignent mais le travail est dur.
Mathieu (Paris 20e) et Fousseni
- Erlanger est un lycée dans le 16ème arrondissement qui a été occupé par des associations avec des centaines de Jeunes. Utopia 56 avait ensuite installé un campement avec les jeunes devant le Conseil d’État qui avait été dégagé violemment par la police. ↩︎
- Communiqué sur cette rafle à retrouver ici : https://www.autonomiedeclasse.org/actions/la-rafle-des-jeunes-du-parc-de-belleville/ ↩︎