1924-2024 : 100 ans de la grève des sardinières de Douarnenez

Mémoire ouvrière

Les Cahiers d’A2C #13 – JUIN 2024

De l’exploitation et du mépris, jusqu’à la grève 

1924, Douarnenez, Finistère. Daniel Le Flanchec est élu maire de la ville en octobre, à la suite de Sébastien Velly, premier maire communiste de France. 

Dans ce port de pêche, les hommes vont en mer pour pêcher la sardine et à leur retour, des acheteuses, représentantes de chacune des conserveries de la ville, sont postées au bout de la jetée et négocient les prix des poissons avec les patrons des chaloupes. Une fois les prix fixés, les contremaîtresses des conserveries appellent “Merc’hed d’ar fritur”, autrement dit “Les filles à l’usine”. De jour comme de nuit, les femmes quittent alors leur maison pour rejoindre les usines et attendre l’arrivée des poissons pour les mettre en boîte. 

Les conditions de travail sont difficiles. Les ouvrières travaillent dès 8 ans, alors que l’âge légal est de 12 ans. Elles peuvent travailler jusqu’à 18h d’affilée bien qu’une loi de 1919 limite la journée d’usine à 8h. Les usines de Douarnenez ont donc obtenu une dérogation qui permet de travailler plus longtemps à condition que le nombre d’heures par semaine ne dépasse pas 72 heures. Bien évidemment, ce taux horaire n’est pas respecté. Evidemment encore, les heures supplémentaires ne sont pas payées et le travail de nuit est payé autant que le travail de jour. Les locaux de certaines usines sont, par ailleurs, insalubres. Dans celles-ci, les salles ne sont jamais nettoyées, les carreaux cassés ne sont pas remplacés, les WC sont sales, il n’y a pas de réfectoire pour manger, les ouvrières travaillent dans les courants d’air (pour permettre l’aération des odeurs) mais cela ne suffit pas à évacuer les émanations de charbons de bois qui provoquent des maux de tête et coupent l’appétit1

Ce qui va déclencher la colère des ouvrières, c’est leur salaire. Elles ne sont payées que 80 centimes de l’heure (alors qu’un kilo de pâtes coûte 4 francs et le beurre quinze francs) ! 

Le 20 novembre 1924, les sardinières de Douarnenez se donnent rendez-vous place de la Croix pour discuter : “leur richesse à eux [les patrons] se fait sur leur dos à elles, et sur celui des pêcheurs tenus à la gorge par les commises qui négocient tout au rabais, les piquesses”2. La colère commence à monter. Elles veulent une augmentation et être payées un franc de l’heure. Ce jour-là, un cahier de revendications tourne devant les portes de l’usine. 

Dès le lendemain, les ouvrières de l’usine Carnaud demandent à être reçues par le contremaître, Trellu, pour parler de leurs revendications. Il refuse. Dès lors, 100 ouvrières et 40 manœuvres quittent l’usine. Elles vont voir Daniel Le Flanchec, maire de la ville, qui, furieux, se rend à l’usine Carnaud rencontrer Jean Griffon, le directeur, en personne ! Pendant ce temps, un comité d’ouvrières s’organise rapidement pour commencer à répandre la fièvre de la grève. 

Le 23 novembre, les ouvrières marchent dans la ville jusqu’au crépuscule. Embryonnaire et désorganisé, le mouvement n’est pas encore assez massif. Désormais, le mot d’ordre est de convaincre les Douarnenistes de la justesse de leur cause. De Ploaré à Pouldavid, les sardinières battent le pavé jusqu’au 25 novembre, jour où toutes les usines de la ville débrayent. Il y a dès lors 1566 ouvrières et 500 ouvriers en grève dans la ville rouge. 

La grève s’organise

Ce qui fut la force de cette grève, ce qui lui donna la possibilité de la victoire, c’est son organisation ! Rapidement après le débrayage, Charles Tillon, responsable de la CGTU Bretagne (la Confédération générale du travail unitaire), arrive à Douarnenez. Puis, c’est autour de Lucie Colliard, responsable du travail des femmes à la CGTU, de poser ses valises à Douarnenez. Habitué·es des luttes et des grèves, “l’institutrice de Bogève” et l’ancien mutin bagnard vont aider les sardinières à s’organiser, à se former et à construire leurs revendications. 

Charles Tillon propose alors la mise en place d’une crèche provisoire pour garder les enfants afin que les ouvrières, responsables du foyer, puissent aller manifester ou se retrouver aux halles, afin de construire la “révolution douarneniste”. 

Lucie Colliard, quant à elle, les aide à construire leurs revendications. Elle les incite à ne pas demander 1 franc de l’heure mais 1 franc 25 ! Cette exigence deviendra même le slogan de la grève “Pemp real a vo”, soit “5 sous nous aurons”. Elle les pousse aussi à porter d’autres revendications : le respect de la journée de 8h et la rémunération des heures de nuit et des heures supplémentaires deviennent non négociables. Lucie Colliard tente également d’apporter des vues féministes à la grève des Penn Sardins en leur parlant d’égalité salariale et en critiquant l’injonction faite aux femmes à la maternité. Ces deux revendications ne furent finalement pas portées par les sardinières

Suite à l’arrivée de ces deux allié·es, la grève s’organise. Une répartition des tâches est mise en place pour éviter que certaines ne retournent à l’usine, notamment les indécises et les plus pauvres. Dans cette organisation, il y a celles qui entretiennent la flamme de la grève en continuant de convaincre. Il y a celles qui vont chercher de quoi faire la soupe populaire – au plus fort de la grève ce sont 500 repas servis midi et soir. Et il y a celles qui cuisinent. Chaque jour, les grévistes se réunissent dans la mairie pour recevoir les cotisations syndicales puis, dans l’après-midi, c’est l’heure du cortège !

Les réseaux de solidarité gagnent du terrain pour permettre aux ouvrières de tenir. A Noël, les marins repartent en mer non pas pour les patrons mais pour nourrir la grève. Charles Tillon et Lucie Colliard font le tour des ports et des champs pour récolter des dons. Daniel Le Flanchec revient d’un meeting du Parti communiste au Pré-Saint-Gervais avec 7500 francs pour la grève. Un bal solidaire est organisé à La Bellevilloise à Paris, coopérative fondée au lendemain de la Commune, et récolte 3000 francs. Le gouvernement vote même une subvention pour que les grévistes reçoivent des vêtements !

Dans cette effervescence de la lutte, les sardinières se forment politiquement. Les idées communistes se propagent : le partage des richesses, le capital, les idées de Marx. Ainsi lorsque les patrons acceptent enfin de négocier, les déléguées syndicales sont solides sur leurs appuis. Lorsque certaines de leurs revendications sont refusées, notamment le doublement du paiement des heures de nuit, elles quittent les négociations sans se retourner. Pendant ces mois de grève, les sardinières ont appris le rapport de force : elles ne céderont pas ! Pendant ce temps, la pêche est vendue ailleurs qu’à Douarnenez et les femmes grévistes ne reprennent pas le travail. Les patrons acceptent finalement une nouvelle négociation qui aboutit à la victoire des sardinières : leur salaire est augmenté à 1 francs 25, la loi des 8h est appliquée, les heures d’attente du poisson sont payées, le travail de nuit et les heures supplémentaires sont majorées. 

Grâce à cette organisation, à la formation des Penn Sardins et à leur volonté, elles gagnent la grève et obtiennent satisfaction de toutes leurs revendications. C’est la victoire des sardinières !3 

Grève sociale ou grève féministe ? 

Les sardinières ont gagné. Leurs revendications sont toutes acceptées mais une question reste en suspens. Est-ce que cette grève de femmes peut être considérée comme une grève féministe ? L’omniprésence de femmes dans cette lutte peut nous faire penser que oui. 

Or, en 1924, il existe une division sexuée et spatiale du travail à Douarnenez. Autrement dit, les hommes pêchent et les femmes travaillent dans les usines. La grève des sardinières est une grève de femmes car il n’y a presque que des femmes qui travaillent à l’usine. C’est donc un combat social porté par des femmes. 

Par ailleurs, aucun élément que ce soit dans les tracts, les affiches, les chansons ou les articles de l’époque ne pose cette grève d’un point de vue des droits des femmes4. Lucie Colliard tente en arrivant à Douarnenez de porter des revendications féministes d’égalité salariale et de rejet de l’injonction à la maternité mais elles ne seront pas portées par les sardinières. A la fin de cette grève, les femmes seront mieux payées mais toujours moins que les hommes. 

La grève des sardinières de Douarnenez ne peut pas réellement être qualifiée de féministe car elle n’en portait ni la prétention ni les revendications. Elle est, cependant, une grève de classe où les ouvrier·ères instaurent un rapport de force face aux patrons qui capitalisent sur leur dos. Soyons vigilant·es à ne pas accoler des visions présentistes à des éléments du passé pour servir des intérêts actuels. C’est une grève de classe victorieuse mais les perspectives féministes sont encore à venir. Malgré tout, la grève des sardinières nous inspire car elle est le témoignage de la force de la solidarité, de la formation politique et de la prise de confiance pour gagner une lutte. C’est un exemple d’organisation de la grève au service, notamment, de femmes qui luttent. Nous ne pouvons que suivre cet exemple pour mener nos luttes actuelles et futures. 

Une revendication salariale fut à l’origine de la première grève des Penn Sardin, 20 ans auparavant. En 1905, les ouvrières demandaient à être payées à l’heure et plus au mille de sardines. Être payées au nombre de sardines travaillées permettait aux patrons de gagner plus d’argent sur leur dos. Comme le disait Angelina Godinec, porte-parole de cette grève, : “Avec le travail sur pièce, nous sommes toujours volées”. Suite à cette première mobilisation, les ouvrières gagnent des droits : elles sont désormais payées à l’heure, un syndicat composé exclusivement de femmes et une caisse de prévoyance et de secours sont créés. 

Maria Martin (Rennes)

NOTES
  1. Port-musée de Douarnenez, L’espace conserverie, Douarnenez, 2024.  ↩︎
  2. Anne CRAIGNON, Une belle grève de femmes. Les Penn sardin, Douarnenez, 1924, Condé-en-Normandie, 2023.  ↩︎
  3. Claude MICHEL, “Penn Sardin”, Concarneau, 2005. ↩︎
  4. Aurélie FONTAINE, Entretien avec Fanny Bugnon, historienne, sur la grève des sardinières à Douarnenez [podcast]. Breton·nes et féministes, 2021, 20min01. Disponible sur : <https://bretonnesetfeministes.lepodcast.fr/entretien-avec-fanny-bugnon-historienne-sur-la-greve-des-sardinieres-a-douarnenez> (20/05/2024) ↩︎