Culture solidaire et féministe face à la culture du viol

Procès « de Mazan »

Le « procès des viols de Mazan » a débuté le 2 septembre 2024 sous le regard de la France entière. Il s’agit du procès d’un homme, Dominique Pelicot, qui a drogué sa femme Gisèle Pelicot jusqu’à l’inconscience totale pendant 10 ans et a invité plus de 80 hommes sur un site internet à la violer. C’est aussi le procès de 51 hommes, sur les 80, qui ont été confondus par des vidéos présentes sur l’ordinateur de Dominique Pelicot. Ce procès est public car Gisèle Pelicot, ainsi que sa fille, Caroline Darian, ont refusé le huis clos pour que la honte change de camp. Dans toute la France des rassemblements de soutien pour elles mais également pour toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles ont eu lieu le samedi 14 septembre.

Les Cahiers d’A2C #14 – septembre 2024

Dans la rue, ce procès pourrait bien devenir le procès de la culture du viol. Sept ans après la vague Metoo, le mouvement féministe se bat toujours pour faire reconnaitre la violence de la culture du viol et la place centrale qu’elle occupe dans le patriarcat. Dans cette affaire, elle s’exprime à tous les niveaux : dans les faits mêmes mais également dans la ligne de défense des accusés et dans la manière dont certain·es dans la société prennent leur défense.

Le continuum des violences

Dans cette affaire, la culture du viol s’illustre par le continuum de violence, dont témoignent Gisèle Pelicot et Caroline Darian. Comme souvent, les violences ont été enracinées dans le cadre familial et subies par les victimes, femmes et enfants, pendant des années. Caroline Darian parle ainsi du climat incestueux qui existait dans sa famille. Son cas n’est clairement pas isolé, les enquêtes récentes de la CIVIISE (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) nous rappellent que l’inceste, présent dans de nombreuses familles, est la plupart du temps caché pendant des dizaines d’années. Or, lorsque les victimes osent enfin parler, elles ne sont en grande majorité crues ni par leur famille, ni par la police, ni par la justice. 

Dominique Pelicot n’a pas uniquement fait preuve de violence dans le cadre familial : il a été arrêté après avoir été pris en flagrant délit dans un supermarché où il photographiait sous les jupes des femmes. Les victimes sont donc très certainement nombreuses.

Ce procès met également en lumière une pratique répandue mais peu abordée : la soumission chimique. Ce phénomène touche massivement les femmes : dans des contextes conjugaux et familiaux, comme dans les cas de Gisèle Pelicot et Caroline Darian mais aussi dans les espaces « festifs » (boîtes de nuit, bars, soirées d’intégration…). Nous sommes nombreuses à craindre d’être droguées à notre insu ce qui nous amène à une vigilance permanente (surveiller nos verres, les commander nous-mêmes), qui nous empêche de profiter librement de nos vies. 

La culture du viol s’exprime aussi à travers les profils de Dominique Pelicot et des autres violeurs : ce sont des messieurs Tout-le-Monde. Il ne s’agit ni de monstres ni de personnes déviantes ou marginalisées. C’est ce que le mouvement féministe tente de faire reconnaitre depuis de nombreuses années : les violences sexuelles sont en écrasante majorité le fait d’hommes parfaitement intégrés, biens sous tout rapport selon les normes bourgeoises, patriarcales et racistes, qu’on pense à PPDA ou plus récemment à l’abbé Pierre, par exemple. 

La culture du silence 

C’est aussi la culture du viol qui déshumanise les femmes et les personnes minorisées par le système de genre, en les objectifiant et en leur retirant la possibilité de parler pour elles-mêmes. Ainsi on peut entendre de la part de la défense de certains accusés que le consentement du mari vaut pour celui de sa femme. En résumé, une femme est encore aujourd’hui considérée comme la propriété de son mari, un objet à sa disposition, avant d’être un être libre. 

On assiste aussi au fameux deux poids, deux mesures lorsqu’un avocat de la défense explique que « quand même, il y a viol et viol » argumentant que ces hommes n’avaient pas l’intention de commettre un viol alors même qu’ils étaient face à une femme inanimée. Peu importe l’intention réelle ou supposée des accusés : ce qui doit primer c’est l’absence de consentement.

Mais on ne retrouve pas seulement ces éléments de défense sur le banc des accusés et de leurs avocats. Depuis le début du procès, une partie de notre classe se range du côté des agresseurs en invisibilisant les témoignages des femmes. En effet certain·es choisissent de mettre toute leur énergie à lever ce qui semblerait être le premier malentendu de toute cette histoire : tous les hommes ne seraient pas des agresseurs, mettant encore une fois en avant le vécu et la sensibilité des hommes cisgenres plutôt que de rappeler par exemple que 93 000 viols ont lieu en France par an. 

La culture du viol c’est aussi ce qui a permis que, durant 10 ans, aucun homme contacté par Dominique Pelicot sur le forum nommé « à son insu » où il recrutait les futurs agresseurs ne donne l’alerte, ne se préoccupe du destin de Gisèle Pelicot, faisant ainsi d’eux des complices silencieux.

La culture du viol s’exprime aussi dans l’appareil juridique qui expose les victimes à toutes ces violences. Nous remercions Gisèle Pelicot et sa fille pour le courage qu’elles ont eu d’affronter — de surcroît publiquement — leur mari – père – organisateur de viols et tous les accusés, afin de faire reconnaître la violence de ce système qui profite aux violeurs. Courage d’autant plus nécessaire vu le traitement judiciaire et médiatique de ces violences. En effet, ce procès nous montre que cette violence ne sera pas reconnue dans les tribunaux, ce n’est pas à ça qu’ils servent. Depuis le début, malgré les preuves accablantes, la sincérité de Gisèle Pelicot est sans cesse remise en question, mettant en doute son absence de consentement et allant même jusqu’à sous entendre une forme de complicité de sa part. À titre d’exemple, une avocate a eu l’indécence de demander à Gisèle Pelicot si elle n’avait pas des penchants exhibitionnistes. Après être passée à travers ce rouleau compresseur, elle a déclaré qu’elle comprenait les raisons pour lesquelles de nombreuses femmes ne portaient pas plainte : une inversion des rapports conduisant les victimes à prouver leur absence de culpabilité et l’humiliation que cela représente.

Organisons-nous partout contre la culture du viol 

Gisèle Pelicot a récemment pris la parole pour remercier toutes les personnes qui se sont rendues dans la rue pour témoigner et pour s’organiser le samedi 14 septembre. Nous le savons : c’est dans la rue que nous nous reconnaissons, que nous nous comptons. Nous ne donnerons plus nos colères en pâture à une justice sexiste, bourgeoise, et raciste. 

Des rassemblements se sont tenus dans plusieurs villes comme à Paris, Nantes, Rennes, Nice et Marseille. Des camarades d’A2C sont intervenues à Rennes et à Marseille, et elles ont été impressionnées par le nombre de personnes, organisées ou non, qui se sont saisies du micro ouvert pour témoigner dans l’espace public de violences sexistes et sexuelles dont elles avaient été victimes, et notamment d’inceste.  

À Rennes, le rassemblement a fini par converger avec un rassemblement contre le génocide en Palestine, et à Marseille, les prises de paroles se tenaient devant un drapeau palestinien sur lequel était inscrit « Solidarité avec les femmes du monde entier ». Nous voyons que depuis la première vague du mouvement metoo, le mouvement féministe contre les violences sexistes et sexuelles par en bas s’est distingué du féminisme raciste et impérialiste porté par l’État d’une part mais aussi par les fascistes. Par ailleurs, beaucoup de prises de paroles ont témoigné d’une vigilance quant aux récupérations racistes des VSS et ont clairement pointé du doigt le collectif Némésis comme des ennemies directes à dégager partout où elles essaient de s’implanter. Ces discours, pseudo-féministes, nous coupent non seulement d’une partie de notre classe, mais protègent les violeurs blancs, les bons pères de famille violents. 

Pour mettre fin au VSS, continuons de briser le silence et de nous organiser sans aucune concession avec le racisme ! Notre force, c’est notre mobilisation, c’est la parole et le collectif face à la culture du viol et aux violences. Pour que les responsables des violences n’aient plus jamais le confort de nos silences ! Faisons vibrer la ville de nos revendications pour le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les VSS et commençons dès aujourd’hui à préparer la grève féministe du 8 mars. Le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule !

Juliette Bonneterre (Marseille) et Kim Attimon (Rennes)

Lors du rassemblement à Marseille, une de nos camarades a pris la parole. Nous avons voulu profiter de cet article pour la retranscrire :

« Il faut répéter qu’il n’y a pas de monstre. Et dans un contexte de montée de l’extrême droite qui veut nous faire croire que les agresseurs se sont les personnes réfugiées, racisées… c’est important de le dire et le redire : c’est le système capitaliste, patriarcal et raciste qui est monstrueux ! 

Avec le procès Mazan, c’est cet argument qu’il va falloir gagner. Le gagner autour de nous, le gagner auprès de nos potes, auprès de nos collègues, auprès de nos familles. 

Si certains en doutent et cherchent à singulariser le cas de ces hommes : parlons de l’abbé Pierre qui a mis en place pendant plus de 50 ans un système pour agresser et violer des femmes et des personnes mineurs, que ce système n’était pas isolé mais connu et couvert par l’église et par le mouvement Emmaüs. 

J’aimerais poser une question étrange : À quoi ça sert cette violence ?

Ça sert à nous casser, à casser notre confiance en nous (ça, beaucoup de victimes le savent), mais aussi à casser notre confiance en nous toustes ensemble, casser et épuiser nos forces collectives.

Nos forces devraient être tournées vers la lutte contre toutes les oppressions : contre des patrons qui nous exploitent et contre un État qui se fout de notre gueule. 

Ces violences qui nous cassent individuellement et collectivement, ça a été dit, ça se joue sur un continuum. Cette année avec Marseille 8 Mars on propose de prendre cette date pour affirmer qu’on ne nous aura pas avec le réarmement démographique pendant qu’on stérilise de force à Mayotte et qu’on laisse des enfants mourir en méditerranée… Qu’on ne nous aura pas avec la constitutionnalisation de l’IVG (qui garantit une “liberté” mais n’assure en rien un véritable droit avec des moyens d’accès associés)… leur dire on vous voit avec vos propositions de lois transphobes, quand une partie d’entre nous est visée, c’est nous toustes qui sommes visé·es. 

N’attendons pas de l’État : organisons-nous nous-mêmes ! Lutter ça prend de l’énergie mais ça fait aussi du bien de se sentir nombreuses/nombreux, de se sentir puissantes ensemble. »