Après une mobilisation réussie le 5 décembre, l’attentisme des directions syndicales : quels enjeux pour la suite ?

Début octobre, le gouvernement Barnier avait présenté son plan budgétaire 2025 dans l’objectif de réaliser une économie de 60 milliards d’euros. Il s’agissait donc de prévoir une augmentation d’impôts et des coupes budgétaires colossales dans les dépenses publiques avec des suppressions de postes, un gel des salaires et une diminution des indemnisations des arrêts maladies. Face à cette tentative de faire payer la crise aux travailleurs et aux travailleuses, les syndicats ont appelé à une grosse mobilisation de la fonction publique le 5 décembre.

Face au manque de soutien dans l’hémicycle, Barnier a annoncé faire l’usage d’un 49-3 pour faire passer son plan budgétaire sans avoir à négocier à nouveau avec le Rassemblement National. Cette décision a valu la chute du gouvernement à la suite d’une motion de censure votée conjointement par le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement National.

Cette chute du gouvernement aurait pu provoqué une démobilisation des travailleurs et travailleuses puisqu’elle pourrait laisser penser que la loi sur le budget n’est plus à l’ordre du jour pour le gouvernement.

Pourtant, la mobilisation du 5 décembre a été une véritable réussite et notamment dans le secteur de l’éducation. La grève a été un indéniable succès au niveau national avec 54 % de grévistes dans le Secondaire et 65% dans le primaire. Cette mobilisation traduit à la fois l’ampleur de la colère face aux attaques majeures que subit l’Éducation : jours de carences, suppression massives de postes, approfondissement du tri social par la réforme du choc des savoirs mais elle a traduit aussi la conscience que la chute du gouvernement ne signifie en rien l’arrêt de ces attaques mais qu’au contraire la classe dirigeante prépare le prochain round. Nous avons ici recueilli les retours de nos camarades d’A2C impliqués dans les grèves du 5 décembre, notamment dans le secteur de l’éducation :

A Paris et Marseille, des assemblées générales combatives le 5 décembre

Comme dans de nombreuses régions, une AG s’est tenue à Paris, à la fin de la manifestation. Elle a rassemblé 150 personnes à la Bourse du travail, essentiellement des enseignant.es du secondaire d’îles de France et quelques lycéen.nes (150 lycées ont été bloqués dans la journée).

A Marseille, une AG de grévistes appelée par l’ensemble des syndicats de l’éducation, à la fin de la manifestation a rassemblé une centaine de personnes à la Bourse du Travail. Comme à Paris, beaucoup des profs avaient participé dans les jours précédents ou dans la matinée à des Assemblées Générales de villes, rassemblant chaque fois plusieurs dizaines d’enseignant.es du primaire et du secondaire afin d’élaborer collectivement la suite de la mobilisation. Ainsi, ils ont pu faire remonter les chiffres de grévistes toujours enthousiasmants et donner une impression sur la motivation actuelle.

Dans les AG, le climat actuel de crise du pouvoir, de mobilisations qui se développent dans de nombreux secteurs (fonction publique le 5 décembre, dockers les 9 et 10 décembre , SNCF à partir du 12, contre les plans de licenciement également le 12) a imposé l’idée que c’est le moment d’y aller et de construire maintenant un rapport de force pour gagner. Personne n’a envie d’attendre qu’un nouveau gouvernement s’organise pour lancer de nouveau ses attaques.

Dans les AG, à Paris comme à Marseille, plusieurs sont revenue.es sur le bilan de la mobilisation contre les retraites de 2023 . La mobilisation, conçue par les directions syndicales comme une succession de “temps forts” alignés sur le calendrier parlementaire, sur la seule revendication des retraites, avait été un frein à l’auto activité des grévistes, l’approfondissement et l’élargissement de la grève. La volonté de construire une autre stratégie s’appuyant sur les AG a abouti à un appel à plusieurs jours de grève active la semaine prochaine, dès le 10 et le 11 décembre pour préparer un “ tous ensemble “ le 12 décembre. Lorsque, au cours de l’AG, quelqu’un annoncé que l’intersyndicale de la Fonction publique n’appelle à rien à l’issue de cette journée, cela n’a en rien remis en cause la stratégie qui se discutait à l’AG. Un appel plus restreint ( CGT, FSU, Solidaire) de la Fonction publique appelle sans conviction à poursuivre la mobilisation y compris par la grève le 12 décembre.

A Paris, la question de la nécessité de se mobiliser contre le racisme a été ouvertement abordée. Plusieurs AG de villes, en particulier dans le 93 ou le travail avait déjà été fait l’an dernier, portaient la revendication de l’abrogation de la loi Darmanin et la mobilisation du 14 et 18 décembre.

Malgré la détermination du 5 décembre, un reflux lié à la posture attentiste des directions syndicales

A la suite de la mobilisation du 5 décembre, pourtant, à l’inverse de la combativité de notre classe, les directions syndicales font preuve d’une posture attentiste, appelle mollement au 12, avec un appel à « construire des temps forts jusqu’au 12 ». Dans une perspective de négociation avec le futur gouvernement, les directions font les sourds de la combativité de nos grèves.


Un camarade prof à Paris : 

« Au lycée Voltaire, nous étions 35 en AG hier sur la pause midi ( sans heure syndicale – pas mal!). Ça a longuement débattu de la situation post 5 et post démission du gouvernement. On avait voté la grève de 3 jours la semaine précédente à 37 collègues mais pas mal ont reculé face au manque de détermination des syndicats. Chacun s’inventait des arguments genre : Il n’y a plus de gouvernement, donc plus personne pour négocier, donc la grève ne sert à rien, où à l’opposé : on a dit 3 jours de grève, donc on arrête jeudi donc on n’est pas déterminés, donc ça sert à rien… Mon sentiment est que tout ça reflétait un manque de confiance dans notre propre initiative. On a argumenté sur l’absence de solution par en haut, contre l’attentisme et la nécessité de prendre nos affaires en main. Du coup, on est 15 à s’être déclarés grévistes à partir de ce matin et 12 se sont déclaré indécis (peut être en grève jeudi).
Après un piquet de grève à 9 ce matin, on est parti à l’AG des grévistes de Paris Est (il y avait plusieurs AG de grévistes dans Paris appelées par l’intersyndicale hors SNES hélas). Nous étions une petite 20aine mais nous nous sommes organisés, à l’initiative du collège particulièrement mobilisé, pour partir en tournée dans une trentaine de lycée et collèges ce matin avec un très bon accueil par endroit. C’était d’autant plus important que beaucoup n’était pas au courant du 12 : les appels ne circulent pas ou ne sont pas vraiment discutés si ça ne s’organise pas par en bas. »

Une camarade prof dans le 93 :

« Entre temps, [depuis le 5 décembre] la sauce est un peu retombée dans les échos que je peux avoir à la fois au niveau départemental et national (par exemple au collège d’à côté, iels étaient 90% en grève le 5 et il n’y aura personne le 12). Cette histoire « de temps fort pouvant aller jusqu’à la grève » a beaucoup démobilisé. Je ne sais pas comment les prochains jours vont se passer mais pour l’instant, chez nous, ça risque de ne vraiment pas être aussi suivi. C’est vraiment bizarre parce qu’il y avait une vraie détermination le 5 et tout à coup, il y a une forme d’attentisme. Pour l’instant, il y a des discussions syndicales pour savoir si on manifeste, si on organise juste des rassemblements ou si on rejoint celui de la CGT région parisienne qui à la base est consacré à l’emploi et à la réindustrialisation. »

Une camarade AED à Marseille :

« Malgré l’appel à reconduire issue de l’AG de grévistes et la détermination des prises de parole, peu ont réellement saisi la nécessité de s’organiser pour construire la grève en AG et en tournées d’établissements. Les possibilités à construire la grève se sont révélés reposer sur quelques dizaines de militant.es sur la ville et des difficultés à remobiliser les collègues dans mon établissement. Si peu d’espoir sont placés en un nouveau gouvernement, peu d’espoir sont désormais placés dans la perspective d’une grosse mobilisation cette semaine. A quelques un.es, ce mardi nous avons fais une tournée des établissements, la plupart des collègues n’étaient pas informées de cette nouvelle date de grève et encore moins de la grève reconductible votée en assemblée générale. »

Encore une fois, c’est toujours plus dur de devoir prendre en charge les choses soi-même lorsque l’on sait que personne d’autre ne le fera vraiment à notre place. L’initiative et la détermination à essayer de poursuivre vont compter triple dans les prochains jours…Pour réussir à faire changer la donne, nous devrons être plus de militant.es organisé.es autour de la nécessité de renforcer l’auto-organisation de notre classe et d’argumenter dans les AG et sur les établissements sur des mots d’ordre politique qui révèlent les impossibilités de la classe dirigeante à répondre à nos intérêts et qui pousse sur la nécessité de s’opposer au racisme et au danger fasciste par en bas, en dehors des magouilles politiciennes qui nous désarment de notre véritable pouvoir et de la véritable solution et ne font que renforcer les dangers qui nous guettent.  

Les camarades A2C dans travailleurs de l’Education.