Nous sommes des activistes parce que nous refusons d’être des commentateurs des tempêtes qui s’annoncent.
La classe dirigeante est déterminée : le monde qu’elle dirige est en train de s’écrouler, et elle sera prête à tout pour le préserver. Pour l’instant, face à la crise économique et la chute des taux de profit, les plans d’austérité qu’elle utilise ne marchent pas. Face à la perte de consensus idéologique et à la crise politique qu’elle produit, l’autoritarisme ne suffit pas. La crise est profonde, et les solutions pour y remédier sont lourdes de danger pour l’humanité. Notre classe est dans une situation instable : la multiplication et l’intensité des attaques, sociales, racistes, sécuritaires ou militaires produisent des effets différenciés chez celles et ceux qui les subissent. L’adhésion ou la révolte sont les deux pôles entre lesquels la majorité de notre classe oscille et n’a pas encore tranché. En deux ans, le racisme et le nationalisme se sont développés, le nombre d’électeurs du FN a augmenté, des groupes fascistes ont cherché à s’implanter, leurs initiatives se sont multipliées contre les migrant.e.s ou les étudiants mobilisé.e.s ; en deux ans, des centaines de milliers de personnes ont fait l’expérience de grèves, manifestations (déclarées, ou pas), cortèges de têtes, occupations, blocages, assemblées, construction de collectifs, pour riposter. Parce qu’il y a une course de vitesse entre ces deux pôles, nous devons accroître la détermination à renforcer le second. Nous sommes dans le mouvement, au sens où nous sommes impliqué.e.s, avec d’autres, dans la construction de résistances collectives, qu’il s’agisse de luttes, collectifs, syndicats, etc. Cela nous engage à participer à toutes les phases de son évolution, à faire face aux situations de flux comme de reflux, aux discussions qu’elles suscitent, à la mise en œuvre pratique des décisions collectives. Mais nous voulons aussi renforcer le mouvement, ce qui implique d’élaborer une stratégie qui trace un chemin pour gagner.
Nous voulons élaborer parce que nous refusons de laisser à d’autres, souvent extérieurs aux luttes, la théorisation de nos pratiques.
De fait, les mouvements sont divers et nombreux, et produisent une effervescence de débats stratégiques : que voulons-nous ? comment l’obtenir ? devons-nous créer des alliances, avec qui, sur quelles bases ? cherchons-nous à regrouper les personnes en accord avec nous ou à aller convaincre celles qui ne le sont pas ? Qu’elles soient le résultat de débats spontanés ou le produit de la participation de militant.e.s de différentes traditions, les stratégies proposées sont multiples.
La stratégie que nous proposons est celle de l’autonomie de notre classe.
D’abord, parce que nous pensons qu’il n ‘y a pas de raccourci à l’émancipation : elle ne peut être l’œuvre que des premier.e.s concerné.e.s. Cette stratégie ne cherche donc pas d’abord à se démarquer, mais à convaincre et entraîner la majorité. Chaque personne qui reprend confiance dans sa capacité à agir, chaque personne qui s’organise, est une personne qui renforce notre capacité collective à gagner. C’est donc la première des batailles à mener. Nous ne sous-estimons pas les difficultés – le nationalisme, le racisme et le développement d’organisations fascistes qui gangrènent notre classe et contre lesquels nous militons, ce qui nous permet de mieux voir les potentialités – la multiplication des collectifs, des initiatives ou des convergences possibles. Ensuite, parce que nous pensons que la trajectoire du Capital ne pourra pas être changée, et qu’il faut donc le supprimer. C’est pour cela que nous voulons renforcer l’autonomie de notre classe, c’està-dire tout ce qui lui permet de se penser comme le seul pouvoir politique alternatif possible. Voilà pourquoi nous refusons aussi de regarder les luttes en termes binaires, victoires ou défaites, illimitées ou terminées, éparpillées ou convergentes. Parce que nous ne serons pas des spectateurs des tempêtes qui s’annoncent, les expériences et les débats stratégiques accumulés nous servent à penser dynamiques, accumulation de forces, nombre tout autant que contenus : sommes-nous plus forts ou moins fort.e.s pour les confrontations à venir ? comment progresser ? C’est avec cette boussole que nous voulons faire les expériences, mener les discussions, nous regrouper, élaborer. Dans le mouvement, et pour le mouvement.