Depuis de nombreuses semaines, plusieurs centaines de jeunes migrants campaient dans le parc de Belleville, à Paris, avec le soutien de nombreux collectifs, avant d’en être expulsés le 29 octobre dernier. Nous publions, ci-dessous, le communiqué de protestation et d’appel à la solidarité des jeunes du parc de Belleville et du collectif 20e solidaire avec tou·te·s les migrant·e·s.
Les Cahiers d’A2C #10 – Novembre 2023
La préfecture de Paris a organisé jeudi 19 octobre avec le soutien de la mairie une opération de « mise à l’abri » des jeunes migrants mineurs qui, faute de prise en charge, campaient dans le parc de Belleville depuis juin 2023. À la date de l’évacuation, ils étaient 475.
Cette opération, évidemment prévue depuis plusieurs semaines par la préfecture, n’a pourtant été annoncée que la veille aux jeunes du parc, aux associations et aux habitant·e·s solidaires. Elle a tout de suite été présentée par la mairie comme, au mieux une bonne nouvelle, au pire une opération de routine.
Si c’est une opération de routine, alors pourquoi tant d’improvisation et de désinformation ?
Si c’est une bonne nouvelle, alors pourquoi tant de mensonges, d’invisibilisation et de maltraitance ?
Nous disons plutôt que ce jour-là, nous avons assisté à une rafle dont l’objectif était d’isoler et d’humilier les jeunes du parc alors qu’ils commençaient à casser l’invisibilisation, à s’organiser et à rassembler autour d’eux de plus en plus d’habitant·e·s solidaires.
Et de le faire de manière à imprimer dans la tête de toutes celles et ceux présent·e·s ce jour-là que c’est l’État, sa préfecture et sa police qui décident de tout et qu’il n’y a pas d’alternative.
Mise en danger
Dès 3 heures du matin, les premiers jeunes se sont réveillés pour commencer à organiser leur mise à l’abri à partir des informations qui leur avaient été données la veille : 250 d’entre eux partiraient dans plusieurs bus à partir de 6 heures par la sortie en haut du parc, pour être répartis dans plusieurs hébergements en Île-de-France jusqu’à examen de leur dossier. Le problème le plus urgent à régler : ils sont bien plus que 250.
Dès 4 heures du matin, les premiers policiers entrent dans le parc et perturbent la préparation des jeunes qui parviennent à organiser une file. Les premiers d’entre eux sont alors pressés contre les grilles fermées. Le choix de n’ouvrir les grilles du parc qu’au dernier moment était aussi humiliant pour les jeunes, que dangereux du point de vue des règles de sécurité.
7 h 30, alors qu’ils s’attendent enfin à sortir d’une minute à l’autre, la préfecture annonce que les cars arriveront finalement aux portes qui sont en bas du parc. L’annonce n’est pas faite directement aux jeunes du parc, la préfecture les ignore, mais les premiers commencent tout de suite à se précipiter par peur de ne pas avoir de place.
En bas, la lente montée dans les cars de la préfecture se déroule jusqu’à 14 heures. Après leur avoir imposé de se préparer à laisser 200 d’entre eux dehors, la préfecture finit de traiter les jeunes comme une masse informe, qu’on fluidifie, qu’on manipule et qu’on contrôle.
Humiliation et autorité
Les cars emmènent 428 jeunes dans 8 centres différents : La Villette (Paris 19), Boulevard Ney (Paris 18), Sarcelles, Clichy, Vaux-le-Penil, Ris-Orangis, Évry-Courcouronnes et Melun. Tout comme la préfecture n’a jamais expliqué aux jeunes pourquoi les 250 places qu’il fallait célébrer la veille comme un miracle sont finalement devenues 428 places, il n’y a jamais eu d’explication fournie aux 47 jeunes qui ne sont pas partis en car ce jour-là et qui ont dû trouver d’autres solutions pour dormir puisque le parc allait être fermé pour plusieurs jours.
L’annonce des 250 places visait à obliger les jeunes du parc à choisir entre se trier eux-mêmes ou prendre le risque de bousculade.
Le refus de trouver une solution pour 47 d’entre eux permettait de rappeler à tout le monde que c’est la préfecture qui a le pouvoir de tout.
Ces pratiques de manipulation (par la désinformation, les injonctions contradictoires et l’arbitraire des quotas) n’ont qu’un but : briser les solidarités et maintenir les jeunes dans la passivité.
À l’arrivée dans chacun des centres, tous sont obligés de signer un règlement qui stipule qu’ils sont mis à l’abri pour une période de 30 jours. Contrairement à ce qui leur avait été dit, ils risquent tous de se retrouver de nouveau à la rue à partir du 17 novembre.
Pas de ticket de transport. Condamnés à l’immobilité et l’impossibilité de se rendre à leurs divers rendez-vous (médicaux, juridiques, associatifs, …). Plusieurs ont déjà été verbalisés et tous craignent la détention.
Alors qu’ils sont mineurs et qu’ils ont déjà des procédures en cours, sous prétexte qu’ils sont hébergés dans un centre pour demandeurs d’asile, ils sont harcelés par le personnel des centres pour qu’ils se rendent à la préfecture demander un titre de séjour. Les mineurs hébergés au centre de la Porte de la Villette ont même reçu des convocations pour s’y présenter le mercredi 25 octobre et ils ont été menacés d’expulsion du centre s’ils ne le faisaient pas. Ils ont refusé collectivement. En tant que mineurs, ils ne sont pas concernés par une procédure de demande d’asile ou de titre de séjour. Ces manœuvres odieuses de la préfecture et de ses agents visent à expulser les jeunes du territoire. D’autres voix se sont déjà levées contre ce piège dressé contre les jeunes (voir le communiqué signé par le Collectif d’avocats d’Aide aux Étrangers et plusieurs associations sorti mercredi 25 octobre).
D’où que l’on vienne, où que l’on soit né·e , notre pays s’appelle solidarité
Comme nous l’avons affirmé dans une réunion animée par les jeunes du parc de Belleville, quelques jours avant la rafle, en présence de nombreuses associations, collectifs et habitant·e·s, ainsi que de représentant·e·s de la mairie du 20e : Nous sommes toutes et tous des habitant·e·s du 20e. Des solutions d’hébergement à la hauteur des demandes et des droits des jeunes du parc de Belleville auraient dû être proposées.
Parce que le fond de l’air est raciste, il faudrait se satisfaire de ce que la préfecture veut bien accorder ?
Nous disons que c’est le contraire, il faut justement ne plus laisser passer l’intolérable, combattre l’invisibilisation par une solidarité qui encourage et favorise les capacités de lutte et la proclamation collective de la dignité.
Parce que la loi Darmanin veut faire basculer toute la société vers un renforcement intolérable des moyens de contrôle et d’oppression des étranger·e·s, il faudrait se satisfaire de ce que la préfecture veut bien accorder ?
Nous disons que c’est le contraire, il faut par tous les moyens affirmer notre engagement pour l’égalité des droits et pour la solidarité.
Pour ces raisons, nous exigeons ensemble pour les 475 jeunes du parc de Belleville, sans condition :
– prolongation de la mise à l’abri pour tous et hébergement des 47 jeunes abandonnés le jour de « l’évacuation » du parc, dans des centres où d’autres jeunes du parc de Belleville sont déjà hébergés,
– présomption de minorité et protections médicale, juridique et psychologique ainsi que conditions d’hébergement adéquates,
– prise en charge immédiate des tickets de transport pour tous afin de se déplacer en Île-de-France et levée des amendes,
– des repas adaptés en qualité et en quantité aux besoins des jeunes.
Malgré leur séparation, les jeunes du parc de Belleville restent un collectif et cet appel participe à visibiliser leur résistance pour la dignité et leurs revendications les plus immédiates. Le collectif 20e solidaire avec tou·te·s les migrant·e·s rassemble des habitant·e·s de différents quartiers du 20e.
Ensemble nous signons ce texte commun et lançons cet appel à la solidarité. Pour le soutenir, relayez-le. Nous organiserons très bientôt une réunion publique, pour en être informé·e·s contactez-nous par mail à 20emesolidaire(at)gmail.com
Les jeunes du parc de Belleville et le collectif 20e solidaire avec tou·te·s les migrant·e·s
Dimanche 29 octobre 2023