Retour sur les origines de la constitution de l’Assemblée antifasciste de Marseille en janvier 2022 et sur les expériences qui ont été menées depuis sa création avec deux de ses membres.
Les Cahiers d’A2C #05 – noveMBRE 2022
Quand cette assemblée a-t-elle été créée ? Combien de personnes réunit-elle ? Qui en a été à l’initiative et à partir de quels constats ?
À partir de l’automne 2021, une assemblée révolutionnaire a été lancée et se réunissait une fois par mois. Elle était plutôt composée du milieu autonome du centre-ville marseillais, des gens qui se présentaient comme individus plutôt que comme appartenant à une organisation. L’idée de ces assemblées révolutionnaires, c’était d’avoir des temps de discussions collectives et puis petit à petit on s’est dit qu’on pourrait aussi imaginer des actions. C’était enthousiasmant car il y avait quand même beaucoup de monde. Mais il faut dire que ça partait un peu dans tous les sens car même si les personnes venaient d’un milieu politique proche, les envies étaient très diverses.
Fin novembre 2021, Zemmour décide de venir passer deux jours à Marseille. L’information fuite de la part de journalistes une semaine avant sa venue. À partir de là, grosse réaction dans l’urgence : l’information est diffusée sur Mars-infos autonomes, un site militant local, avec un appel à se réunir en assemblée le lendemain pour réagir. On se retrouve pour discuter deux jours avant l’arrivée de Zemmour à 80, entassé·es dans un local squatté qui héberge d’habitude un atelier vélo. Déterminé·es à ne pas laisser un fasciste de son genre tranquillement parader dans notre ville, on décide de le harceler : l’idée c’est d’être là partout où il se trouve, dès qu’on a l’information (le tout retransmis en direct sur Mars-Infos), pour l’empêcher de s’exprimer 1.
Le jour de son arrivée, on est une bonne cinquantaine à l’attendre à la gare Saint-Charles, mais finalement il décide de s’arrêter juste avant à Aix-en-Provence, et de finir son trajet plus discrètement en voiture. Le soir même, une manifestation prévue à 18 h réunit un bon millier de personnes dans les rues du centre-ville. C’est inattendu et incroyable d’être autant à se mobiliser en si peu de temps ! On marche vers l’hôtel où il est censé passer la nuit puis devant le bistrot où il va manger. Toute cette séquence, c’est un moment super fort !
Cet épisode a redonné beaucoup de force collective, et lors de l’assemblée révolutionnaire qui a suivi, plusieurs personnes ont exprimé l’envie de s’organiser spécifiquement sur les questions antifascistes, d’autant plus avec le personnage de Zemmour qui polarise encore plus les débats.
De plus, la séquence électorale allait bientôt s’ouvrir et on était quelques un·es à se dire que c’était important d’avoir un cadre antifasciste à proprement parler, au-delà de l’assemblée révolutionnaire : de là est née l’assemblée antifasciste en janvier 2022. On était une cinquantaine lors de la première. Sur le reste de l’année, les effectifs ont fluctué mais on est en moyenne une trentaine à venir régulièrement.
Quel est le fonctionnement de l’assemblée ?
En janvier, lors de la première assemblée, on a discuté du cadre et des objectifs qu’on se donnait.
C’était clair qu’il y avait une volonté de mélanger action et réflexion. On souhaitait à la fois ouvrir un espace de formation politique en revenant sur des bases théoriques comme la définition du fascisme. Pour autant, on ne voulait pas se limiter à parler : on voulait aussi agir concrètement. De plus, on voulait éviter d’être uniquement dans la réaction et pouvoir proposer des choses constructives à moyen et long termes.
C’était aussi clair qu’on considérait que l’antifascisme est l’affaire de tou·tes et c’est pour cela que l’assemblée devait être ouverte à tout le monde, en garantissant un cadre avec un minimum de bienveillance et qui évite autant que possible des codes du milieu militant, par exemple en revenant sur les termes utilisés afin d’éviter les fausses évidences. Au début de chaque assemblée, on fait un point agenda qui permet de se partager les informations sur des événements militants qui vont avoir lieu dans le mois.
Depuis sa création, l’assemblée a lieu une fois par mois (à l’exception de la pause estivale) et l’information est diffusée sur Mars-Infos, le compte Instagram de l’assemblée et sur une liste de diffusion signal. Pour les événements qu’on organise dans l’espace public, on colle des affiches et parfois on tracte en amont.
Les assemblées ont lieu à Dar, un lieu culturel loué et qui soutient pas mal d’événements militants, ou au Snack, un squat d’activité ouvert depuis 2 ans. Ces deux endroits sont quand même marqués politiquement : c’est les endroits où se retrouvent généralement les militant·es autonomes du centre-ville de Marseille. On le dit parce que ça pose des limites concernant l’ouverture réelle des assemblées.
Qu’avez-vous fait ces derniers mois ?
Suite à la première assemblée de janvier, on a décidé de créer des groupes de travail. Un de ces groupes s’est centré sur l’ aspect théorique : on se donnait rendez-vous la semaine précédant l’assemblée pour arpenter des textes sur le fascisme afin de faire des restitutions de ces lectures en grand groupe. Malheureusement ça n’a pas tenu dans la durée car c’était assez lourd en termes de charge de travail car on n’était pas beaucoup et puis c’était chronophage lors des assemblées. La nécessité de réagir à l’actualité a pris le pas en termes d’énergie.
En termes d’événements publics, on a notamment organisé une projection du film « Un racisme à peine voilé » de Jerôme Host. C’était au moment où le collectif des Hijabeuses se mobilisait contre l’amendement interdisant le port du voile en compétition sportive. Une cinquantaine de personnes sont venues et notamment des gens extérieurs à l’assemblée. Les discussions étaient intéressantes.
Au printemps, on a organisé plusieurs contre-rassemblements contre la venue de figures de l’extrême droite locale comme Stéphane Ravier et Gilbert Collard. C’était aussi la période très tendue de l’élection présidentielle, on a donc organisé les manifestations de l’entre-deux tours et post-résultats. À cette période, il y avait une réflexion au sein de l’assemblée de se concentrer sur un appel large pour un 1er Mai combatif et massif autour du mot d’ordre « nos luttes sont vitales » mais au final pas mal de personnes se sont mises sur l’organisation des manifestations de l’entre-deux tours et post-résultats plutôt que sur celle du 1er Mai donc on est retombé·es dans une dynamique de court terme et pas très massive car on était en réaction et on a agi dans l’urgence.
On a quand même organisé une assemblée spécifique sur le sujet du 1er Mai en appelant d’autres organisations à venir pour en parler. On souhaitait sortir du centre-ville pour que d’autres personnes puissent se joindre à nous dans l’organisation. On est donc allé·es à l’Après M, un lieu occupé dans les quartiers Nord de Marseille. Au final,on était une cinquantaine mais quasiment personne du quartier ne s’est joint à nous car on n’avait pas fait le travail de communication nécessaire. Le 1er Mai on a tenu un cortège antifasciste et antiraciste, ce qui était déjà bien mais on aurait voulu être plus nombreux·ses.
Lors de l’assemblée suivante, en mai, on a discuté de la pertinence de se rallier à la campagne Antiracisme et Solidarité qui avait débuté le 18 décembre. On trouvait ça important d’organiser une mobilisation antiraciste. Quelques membres de l’assemblée ont donc appelé un certain nombre d’organisations, associations, collectifs et syndicats à se réunir pour organiser quelque chose de commun le 11 juin. Comme il y a peu de cadres unitaires à Marseille, ça a intéressé les gens. Une manifestation s’est tenue, avec diverses prises de paroles devant des lieux symboliques du racisme structurel dans le centre-ville : violences et crimes policiers, mort·es aux frontières et en mer, statues coloniales, absence d’hébergement pour les mineur·es isolé·es étranger·es… 2
Tout ça a eu lieu en dehors de l’assemblée antifasciste à proprement parler, mais des militant·es de l’assemblée ont été à l’initiative de ce cadre unitaire et s’y sont présenté·es comme tel·les. Le 11 juin était une réussite et cette inter-organisation existe d’ailleurs toujours.
Quelles sont les perspectives pour votre assemblée dans les temps à venir ?
Depuis sa création, l’assemblée antifasciste a permis que des militant·es déjà organisé·es se retrouvent, échangent et lancent des initiatives sur un temps donné et un espace limité. Mais on souhaiterait s’ouvrir davantage sur d’autres milieux en se mettant en lien avec des associations et des collectifs avec qui on n’a pas forcément l’habitude de travailler. Par exemple, on aimerait se rapprocher des associations qui travaillent sur la mémoire des luttes, comme le collectif Ibrahim Ali, jeune tué par des colleurs du FN en 1995 ; ou bien aborder des groupes de supporters de l’OM, connus pour leur convictions antiracistes et antifascistes.
Ça va avec cette idée d’arrêter de n’agir qu’en réaction aux événements organisés par l’extrême droite : on a envie de construire des choses avec notre agenda propre, qu’il s’agisse de manifestations ou d’un tournoi de foot antifascistes et antiracistes, ou plein d’autres types d’évènements.
On a aussi constaté que c’était difficile en termes d’organisation d’être une assemblée et pas un collectif car on perd en continuité. On a aussi décidé de modifier la régularité des assemblées et de passer à un rythme de 2 fois par mois. Cela nous permet d’alterner les discussions organisationnelles et les discussions de fond. Avec ce format, on peut aussi revenir plus facilement sur les choses qu’on a organisées et avoir une approche plus réflexive et critique. Ça nous permet de pousser plus loin les discussions. En septembre on était 35 personnes à l’assemblée de rentrée et depuis on est une vingtaine à s’investir régulièrement.
Propos recueillis par Kim Attimon, Rennes
1 – Tout est encore disponible sur cet article https://mars-infos.org/c-est-la-chasse-au-fascisme-6041
2 – Lire le compte-rendu de cette journée marseillaise du 11 juin ici : https://mars-infos.org/retour-de-la-manifestation-6414