Café débat, projection, collage… faire ensemble et se donner confiance !
Les Cahiers d’A2C #02 – MARS 2022
En juin 2021, une manifestation unitaire « contre l’extrême droite et ses idées » est organisée à Paris et dans plusieurs autres villes, notamment à Toulouse. Dans ce cadre, l’assemblée féministe Toutes en grève 31 appelle à un cortège féministe contre le fascisme qui ne fonctionne pas.
Lors de l’assemblée qui suit, le constat suivant est fait : pour un certain nombre d’entre nous, il est urgent d’organiser une riposte féministe face à l’usage fallacieux de nos combats par l’extrême droite, le développement de Némésis à Toulouse et le danger que représentent les groupes fascistes pour les féministes, les femmes et les personnes minorisées par la structure patriarcale. Pour autant, la nécessité de s’opposer à l’extrême droite en tant que féministes ne semble pas être une idée qui convainc largement, vu l’échec de la manifestation précédente. Nous décidons alors de créer un groupe de travail sur cette thématique.
Ce groupe de travail propose rapidement d’organiser un café féministe intitulé « Zemmour, Le Pen : pourquoi lutter face à ces dangers en tant que femmes et/ou féministes ? » pour aborder la question du danger fasciste et réfléchir collectivement sur les manières de combattre l’extrême droite, en s’appuyant notamment sur l’exemple du Brésil. Ce café a pour objectif de s’auto-former et de convaincre de la nécessité de participer aux mobilisations antifascistes à venir. Vingt-cinq personnes sont présentes et des retours très positifs sont faits vis-à-vis de l’initiative.
Quelques semaines plus tard, une autre manifestation, cette fois avec une dimension nationale, est organisée à Perpignan contre le Rassemblement national qui y tient son congrès. Un cortège féministe plus conséquent se forme pendant la manifestation mais il n’est tout de même pas à la hauteur des attentes vu l’ampleur et la dangerosité de la situation.
À la rentrée scolaire 2021 est organisé un deuxième café féministe sur le même modèle que le premier. Il rassemble une trentaine de personnes.
En décembre, nous décidons d’organiser la projection du documentaire Populisme au féminin, réalisé en 2012, qui traite de l’arrivée de femmes à la tête de plusieurs partis d’extrême droite en Europe et de l’utilisation politique qui en est faite. Le documentaire comporte plusieurs biais et l’analyse qui y est présentée n’est pas toujours en accord avec la nôtre, pour autant nous décidons de le projeter car c’est une des rares contributions de ce format sur cette thématique et que le film se veut surtout être un support et un prétexte à la discussion. Soixante personnes y participent et plus de cinquante s’inscrivent pour la suite de la dynamique.
Ces trois moments – les deux cafés et la projection – avaient vocation à ouvrir un espace de discussion au-delà des collectifs déjà existants, mais non à créer un cadre dans lequel nous partagerions l’ensemble de nos analyses ou de nos pratiques. L’idée était de rassembler différentes composantes féministes autour du constat suivant : la montée de l’extrême droite dans le paysage politique représente pour nous un danger. En tant que femmes, trans, gouines, en tant que féministes, nous avons une responsabilité politique à nous opposer au fait que nos luttes et les violences que nous vivons au quotidien servent à justifier les discours xénophobes et racistes. Cette urgence est d’autant plus flagrante qu’un mouvement identitaire se revendiquant féministe, proche de Zemmour et de l’Action française, fleurit sur internet et dans plusieurs villes de France, dont Toulouse, sans qu’une opposition ferme ne se fasse entendre.
L’objectif de ces trois soirées étaient donc de construire ce constat commun pour ensuite passer à l’action, pour éviter de tomber dans trois écueils :
1 – Une forme d’attentisme, qui considère que l’initiative devrait être prise par d’autres, en l’occurrence par le mouvement antifasciste, ou alors qu’il n’y aurait pas de raisons d’agir spécifiquement en tant que sujets politiques femmes et minorités de genre.
2 – Une forme de déni, consistant à ne pas prendre au sérieux les attaques répétées des fascistes contre les féministes 1 Par exemple, l’attaque par Némésis de la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles à Paris le 20 novembre 2021., la possibilité de l’accession au pouvoir d’un parti fasciste ou encore la minimisation de la spécificité de l’extrême droite dans l’échiquier politique en argumentant que les idées racistes et misogynes sont aussi défendues par le gouvernement actuel et une partie de la gauche.
3 – Une forme d’impuissance dans le contexte actuel.
Il s’agissait donc de redonner de la confiance collective en passant par l’action. Nous nous sommes donc inspirées des collages contre les féminicides car il nous a semblé que c’était un moyen d’action large et rassembleur, facile à mettre en place techniquement et à s’approprier.
Ainsi à l’issue de la projection du film, nous avons proposé trois affiches réalisées en amont afin que les personnes présentes puissent se projeter dans la suite de la dynamique. Ces affiches ont servi de base de discussion pour l’élaboration d’autres affiches. Nous avons choisi de créer une unité visuelle en nous inspirant des affiches réalisées par la campagne antiraciste allemande Welcome United. Les affiches conservaient donc le même fond coloré en présentant des slogans différents. Ce soir-là, nous avons proposé deux rendez-vous dans les jours qui venaient, pour éviter que la dynamique ne s’essouffle : un premier moment de création d’autres affiches sur le fond commun, et une soirée collage. Dix personnes étaient présentes pour l’élaboration des affiches, aboutissant à dix nouveaux modèles, malgré le fait que nous étions pour la majorité d’entre nous totalement novices.
Pour l’organisation logistique du collage, nous avons créé un groupe signal qui a rapidement réuni 60 personnes.
Le lundi, 400 affiches ont été imprimées avec le soutien du syndicat Solidaires et d’étudiant·e·s des Beaux-Arts. Le soir-même, pour le premier collage, nous étions 35 au rendez-vous : sept groupes ont été constitués afin d’aller coller dans différents quartiers de Toulouse. Pour la plupart des gens, il s’agissait de leur première expérience de collage. Les retours des participant·e·s suite à l’action ont été très positifs en pointant que c’était une occasion conviviale de se rencontrer tout en agissant ensemble, en reprenant la rue et en laissant une trace.
Un deuxième collage réunissant une petite dizaine de personnes a eu lieu deux semaines plus tard. L’objectif de départ à travers les collages féministes contre l’extrême droite était d’en faire un outil commun de mobilisation entre différents collectifs et associations : le Planning familial 31, les Collages féministes Toulouse, Retentissantes (association féministe locale), Toutes en grève 31, Clar-T (asso trans locale). Cet objectif n’a pas pu aboutir car il a été difficile de relancer la machine au retour des vacances de Noël. Cette période correspondait également au lancement de la campagne Antiracisme et Solidarité dans laquelle de nombreux·ses militant·es se sont engagé·es. De manière très minoritaire mais bruyante, des critiques morales ont été formulées autour de l’usage du mot femme sur certaines affiches, considérant qu’il invisibilisait les personnes transmasculines et non-binaires, sans pour autant proposer d’alternatives. Ce problème peut paraître mineur mais nous a pris beaucoup d’énergie et conduit malheureusement souvent à l’épuisement de nombreuses personnes qui entrent dans leurs premiers collectifs.
KIM ET SOLEN (TOULOUSE)
Notes
↑1 | Par exemple, l’attaque par Némésis de la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles à Paris le 20 novembre 2021. |
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