Comment combattre le fascisme ? Faire une critique de la stratégie du Nouveau Front populaire (NFP) est insuffisant. Il faut élaborer et construire une autre voie. Mais est-ce possible ?
Les Cahiers d’A2C #14 – septembre 2024
Nous avons fait le choix ici de publier de manière détaillée l’expérience d’une Assemblée de quartier (Rennes-sud) pendant l’été au travers du témoignage de Kim Attimon, membre de Nous toutes 35 et d’A2C (version complète sur le site).
Nous avions récolté plusieurs témoignages sur Rennes — notamment sur le lancement de deux autres assemblées. Il y a aussi un témoignage passionnant sur la mise en place, après la dissolution, de barbecues solidaires dans des villages au sud de la ville. Pour montrer que des choses sont possibles, en tenant compte des spécificités, sur tous les territoires. À consulter en audio sur le site.
Rennes est un véritable laboratoire car parallèlement aux assemblées de quartier, un cadre s’est mis en place sur la ville en faisant converger plusieurs réseaux, le collectif de soutien aux sans-papiers et les Soulèvements de la terre. Ce cadre où se retrouvent aussi des membres des Assemblées a pris le même nom que ce qui s’est mis en place à Saint-Brieuc (voir la revue précédente ou le site d’A2C).
Comment cela va-t-il évoluer, qu’est-ce qui se passe ailleurs, comment cela peut-il contribuer à un front généralisé contre le fascisme et le racisme. Autant de questions ouvertes mais qui seront nourries aussi par les expériences. N’hésitez donc pas à nous transmettre vos témoignages, questions, quels que soient les supports. Sur les quartiers, villages, villes mais aussi sur les lieux de travail.
Merci à Manu pour la réalisation des podcasts. Merci à Kim, Maxime, Olivier, Victor, Maelig pour les témoignages et discussions.
Ce qui existe avant : un gain de temps et d’énergie
L’Assemblée Rennes sud mobilisée est née au moment du mouvement contre la réforme des retraites (en 2023). Elle s’est relancée après l’annonce de la dissolution.
Le quartier Rennes sud est un quartier populaire, une ZUP comme ils disent, avec un tissu associatif dense et divers, éducation populaire, aide aux devoirs… Il y avait déjà plusieurs camarades d’A2C qui vivaient là ou y travaillaient. Il y avait aussi un groupe de camarades de Nous toutes 35 avec lesquelles on avait commencé à organiser des choses. Et puis il y avait aussi une cantine, un peu clandestine, la Table commune. L’idée des camarades de cette cantine c’est justement de proposer un lieu où se rencontrent des gens qui ne se rencontreraient pas forcément autrement, syndicalistes, associatifs… mais qui ont pourtant des choses à partager. Et pendant le mouvement des retraites il y avait pas mal de gens qui trainaient là.
Et il y avait des discussions. Avec cette idée partagée que les seuls appels par en haut, pour de simples journées, ça ne suffit pas.
C’est à partir de ça que se lance l’Assemblée. Il y aura des réunions toutes les semaines, parfois plus quand ça s’accélère et on organise pas mal d’activités. Déjà toutes les semaines, les jours de grandes manifestations, on va occuper un rond-point, celui qui accède au quartier par Rennes sud. Et on fait des barrages filtrants. En fait l’idée commune et générale qu’on a c’est qu’il faut s’adresser aux gens, qu’il n’y a pas d’espaces, ni sur Rennes et encore moins sur le quartier, où on peut échanger. Il y a un paradoxe dans ce mouvement entre le nombre de gens qui sont contre la réforme et le niveau d’implication. C’est un mouvement avec un niveau d’auto-organisation faible. L’assemblée est une tentative de répondre à ça.
On va faire aussi d’autres activités ponctuelles mais très chouettes, une déambulation dans le quartier, un barbecue « contre Macron et son monde » où il y aura beaucoup de monde. Et puis quand le mouvement s’arrête, vers juin, sans qu’on le décide, tout cela s’arrête aussi. Mais il reste quelque chose. C’est le groupe Whatsapp où il y a une centaine de personnes. Dans les mois qui suivent il n’est pas très actif mais peu de gens le quittent. Et ce n’est pas que virtuel. Des liens se sont établis, on continue de se croiser sur le quartier. Le groupe Nous toutes se développe sur le quartier et on continue de développer les liens avec les associations du quartier.
Comme tout le monde je suis surprise par la dissolution. Mais on n’est pas désarçonné·es très longtemps. Parce que tout ce qu’on a élaboré, autour notamment de cette question de l’assemblée de quartier, c’est là que ça prend son sens. Quand la situation s’accélère avoir déjà construit des cadres là où on est au quotidien c’est un gain de temps et d’énergie faramineux.
Prise d’initiative
Ce qui se passe concrètement c’est que sur le quartier il y a un groupe qui s’appelle Rennes commune avec des militant·es associatifs, des membres de LFI, qui veut présenter une liste aux municipales. Dès la première semaine après la dissolution ils invitent à une assemblée avec un visuel très simple qui dit « que faire face à l’extrême droite sur notre quartier ? » Et ils le partagent notamment sur le Whatsapp de Rennes mobilisée. Moi je me dis c’est exactement ça qu’il faut faire. Et ils donnent rendez-vous sur une place du quartier, à côté du conservatoire. Il y a une quarantaine de personnes ce qui est super pour un visuel qui a circulé en trois jours. Je retrouve des gens de Rennes mobilisée mais aussi des militant·es historiques du quartier, des gens engagés dans la solidarité avec la Palestine et des gens que je ne connais pas. Et cette assemblée est très intéressante.
Il y a deux tendances qui s’expriment de manière visible. Il y a la tendance des gens qui sont là pour faire la campagne du NFP. Le centre de leur argument c’est de dire que Rennes sud est un quartier dans lequel le vote RN est faible. Du coup notre rôle est de s’organiser pour pouvoir aller dans les circonscriptions au sud de Rennes, dans la campagne. Aller là-bas pour expliquer pourquoi il faut voter pour le NFP.
Il y a une autre partie qui dit que nous on habite ici donc qu’il faut qu’on agisse ici. On critique le paternalisme vis-à-vis de nos quartiers donc on ne va pas aller le reproduire à la campagne. Et même si le vote RN est soi-disant faible, la préoccupation concernant le racisme et les conséquences de l’extrême droite au pouvoir est très forte à l’échelle de notre quartier. Parce que c’est un quartier d’immigration avec des personnes sans-papiers qui y habitent. Et on sait que les trois semaines qui viennent vont être encore plus difficile qu’auparavant, qu’il risque d’y avoir plus d’agressions racistes parce qu’il y a une prise de confiance des fachos. Et donc il y a plein de choses à créer qui dépassent la question du vote et posent la question de l’organisation, de notre capacité de riposte populaire face au racisme et au fascisme.
Du coup ces deux tendances discutent dans l’assemblée. On n’arrive pas trop à trouver de convergence mais c’est intéressant. Et ça raconte en fait des discussions qui ont lieu partout. Alors on va vite s’axer sur l’action. L’assemblée a lieu le mercredi ou le jeudi et on dit retrouvons-nous sur le marché samedi. Unetelle amène une table, untel amène du café. Et on fait ça on est une petite dizaine à se retrouver au marché. On n’a même pas de tract parce qu’on n’a pas eu le temps de discuter de ce qu’on mettrait sur un tract. On a des feuilles blanches où on écrit « contre le racisme et le RN ». Mais comme on est là devant nos gobelets, ça paie pas de mine, on demande aux gens qui passent devant « comment ça va pour vous », « qu’est-ce que vous pensez de la situation politique », « est-ce que vous êtes stressé·es »… parce qu’en fait on est là pour ça. Et ça va être l’ADN de l’assemblée qui va naître ensuite. Parce que le premier truc qu’on fait et qu’on dit c’est qu’il faut sortir de l’isolement. Dans une situation comme celle-là personne n’a la réponse tout·e seul·e et donc ce qu’il faut faire d’abord c’est se retrouver et, à partir de là on pourra réfléchir à la suite.
Moi j’avais jamais fait ça. J’avais plus une pratique du tract. Là se retrouver à poil, sans tract, ça fait qu’il se passe autre chose. Et en fait c’est une super matinée. On a des grosses discussions. Et forcément il y a plein de gens du quartier qui racontent leur expérience du racisme. Et le fait qu’iels sont confronté·es de manière de plus en plus grande aux propos racistes ouverts et sans vergogne dans l’espace public. Et également hyper fort la peur d’être expulsé·es pour pas mal de gens. Qu’on remette en question leur droit de rester ici même s’iels ont des papiers. Donc plein de peurs. Et il y a plein de gens qui sont touché·es et convaincu·es par la proposition qu’on fait de la solidarité comme réponse à ça. Et ça aussi ça va vite devenir une boussole de l’assemblée.
Assemblée : occuper l’espace, être visibles
Comme il n’y a pas d’autre canal on va relancer les discussions sur Rennes sud mobilisée. Parce que c’est le seul groupe dans lequel il y a un peu tout le monde. Et donc on rajoute sur cette liste, les gens de l’assemblée du mercredi, les gens du marché. Et c’est comme ça que se relance l’Assemblée mais on n’est plus Rennes sud mobilisée contre la réforme des retraites mais Rennes sud mobilisée contre le racisme et contre le Rassemblement national. Et donc on va recommencer à échanger sur ce groupe.
Rennes commune ne relance pas de nouvelle assemblée. On leur demande. Mais ils sont déjà dans des réflexions qui ne sont pas celles d’une assemblée de quartier, comment peser sur les organisations, toutes les tractations qui vont avoir lieu au sein du NFP. Quels député·es vont être présenté·es dans les circonscriptions, de quelles organisations. Ils sont dans des bails comme ça. Donc on va reprendre l’initiative à quelques personnes qui étions à la première réunion et aussi à Rennes sud mobilisée. On re-propose une assemblée la semaine suivante. Et ça va être super. On sera à nouveau une trentaine de personnes. Il va être décidé qu’on va tenir un banquet populaire le soir du premier tour le 30 juin sur la place du Banat pour faire que personne ne se retrouve seul·e à vivre les résultats du premier tour parce qu’on sait que ça va être probablement un score record pour le RN. Et qu’on se dit que c’est une manière d’occuper la rue sur des codes plus faciles à s’approprier pour des gens qui n’ont pas l’habitude de faire des manifs ou des rassemblements.
Mais aussi parce qu’on y croit vraiment, que la solidarité, le fait de partager un repas, le fait de s’entraider à tous les niveaux, ça contribue à créer le type de politique qu’on veut pour toute la société. Plusieurs groupes de travail se mettent en place. Cette première assemblée c’est un peu le pot-pourri de toutes les idées que les gens ont, des initiatives qu’ils voudraient prendre. Le banquet est ce qui va rassembler tout le monde mais il y a aussi d’autres propositions. Il y a notamment l’idée de reprendre l’espace public et de marquer dans notre quartier le fait qu’on est contre le racisme et l’extrême droite, pour la solidarité. Et il y a donc un groupe de travail communication qui va émerger et qui va produire plein de petites affichettes avec écrit « lieu solidaire contre le racisme et l’extrême droite ». Et l’idée de ces affichettes c’est d’aller démarcher plein de lieux publics, les institutions ou les commerces du quartier, pour leur demander s’ils veulent bien afficher ces panneaux sur leurs vitrines.
C’est un moment où l’ambiance est délétère, ou la parole raciste est démesurée dans les médias donc il faut tenir bon, garder la tête droite. Et une manière de le faire c’est de réaliser que dans les espaces qu’on fréquente tout le monde n’est pas devenu un sale facho. C’est donc important que les espaces du quartier se positionnent.
La politique dans le concret
C’est intéressant parce que ça va faire débat. Par exemple il y a un endroit, une coopérative alimentaire qui vient de s’installer sur le quartier où un camarade est impliqué, qui est un truc un peu bobo, de gens qui ne sont pas forcément habitant·es du quartier. Lui il va les interpeller, dire j’aimerais bien qu’on mette une banderole sur le local pour dire qu’on est contre le racisme, contre l’extrême droite. Et à sa grande surprise ça va faire débat. En fait il y a un certain nombre de lieux qui sont considérés comme « de gauche » qui, en réalité ne vont pas se positionner. Ça va nourrir nos débats dans l’assemblée pour comprendre pourquoi c’est aussi compliqué de se positionner contre le racisme.
À l’inverse il y a un endroit dans le quartier, c’est une halle où il y a plein de kebabs, où il va y avoir un accueil de ouf, sur le mode mais bien sûr, évidemment. Et quasiment tous les commerces de cette halle vont prendre l’affiche en disant c’est important, merci de faire ça. Et avec le collectif Nous toutes aussi on a produit des affiches, féministes contre le racisme, féministes contre le fascisme, qu’on va coller sur tout le quartier. C’est un visuel très simple mais on les fait sur des affiches de couleur hyper flashy. On en a mis partout, mais vraiment partout. Et ça crée des super discussions. Les gens disent merci, ça fait trop plaisir de voir ça, de voir que les féministes ne sont pas contre les femmes musulmanes… Cette période fait ressortir tous les sujets, à gauche, à l’extrême gauche, qui ne sont pas des évidences et notamment sur le racisme, sur l’islamophobie, c’est un moment où il est encore plus nécessaire d’être clair·es sur le fait qu’on est contre le racisme et particulièrement contre l’islamophobie. Car il y a les stigmates de la gauche blanche qui nous courent après. Donc il faut tenir. Et c’est ce qu’on va dire dans l’assemblée, qu’il faut tenir les deux choses ensemble, le racisme et l’extrême droite.
Le banquet
Le jour même on est plus d’une centaine. Et là il va y avoir des trucs trop beaux qui vont se passer. Dans la préparation on avait mis en place une team animation, des personnes qui devaient penser à comment faire pour que ce moment soit vivant, qu’on ne laisse pas les choses flotter. Donc cette team avait réfléchi à plein de trucs mais notamment des panneaux avec des post-it avec des questions très simples auxquelles les gens pouvaient répondre, du style « qu’est-ce qui me fait peur », « de quoi j’ai besoin », « qu’est-ce que je pense qu’on peut faire » qui mettaient les gens dans la dynamique de partage, de réflexion. Et ça a super bien marché, les gens discutaient quand ils étaient devant le panneau à coller leurs post-it ou à réfléchir. Il y avait un atelier pour les enfants avec du maquillage.
Et elles ont fait quelque chose que je trouve courageux et pas facile. On avait un micro et une sono et elles sont allées voir chaque personne qui était là en demandant, est-ce que tu veux dire quelque chose, est-ce que tu as quelque chose à partager. Forcément au début les premières personnes elles sont un peu timides mais à la fin, quasiment tout le monde a dit quelque chose au micro. Il y avait des témoignages, des chansons… Il y avait pas mal de paroles d’enfants et c’est rare dans les espaces militants. Avec des niveaux de conscience politique qu’on ne soupçonne pas. Il y avait une bande de petits gars de 9-10 ans qui ont pris le micro et la première chose qu’ils ont fait c’est des slogans pour la Palestine. Pour eux c’était évident que c’était l’espace pour faire ça alors que dans le banquet on n’avait pas spécialement mis de drapeau palestinien, etc.
Tout le monde est sorti de là convaincu·es qu’il fallait continuer, que ça avait du sens, qu’on avait des choses à faire ensemble. On s’est dit qu’il fallait remettre ça la semaine suivante pour le deuxième tour. Bon on n’a pas fait un banquet parce que c’était pas mal d’organisation mais on a fait un goûter.
Réactivité et approfondissement
On est en train de prévoir en octobre une fête de quartier contre le racisme et l’extrême droite, donc en gardant cette spécificité. Parce qu’on a eu aussi ces discussions-là. Mais c’est ce qui fait commun. Le travail politique, le plus ardu, mais aussi le plus intéressant, c’est comment maintenir un cadre comme celui-là quand le niveau d’urgence paraît plus faible. Pour moi le niveau d’urgence est le même mais les échéances extérieures sont d’une autre nature qu’au mois de juin. En même temps il n’y a pas de raccourci et ce travail doit être mené dès maintenant. Ça a déjà été discuté dans l’Assemblée mais je pense qu’on a un outil incroyable pour recréer une culture antifasciste et des moyens d’action antifascistes réellement populaire à partir de nos conditions réelles d’existence, comment notre quartier est organisé…
Après il y aura la question du rythme, est-ce qu’on reste avec une assemblée par semaine, ce qui est un peu exigeant. Moi je pense que ce qui va permettre de maintenir c’est d’avoir des objectifs qui peuvent être à plus ou moins long terme. Par exemple je pense que ce serait bien qu’on ne perde pas cet objectif de positionnement des lieux publics dans le quartier, que ça devienne une affiche plus pérenne, en plus grand format, une banderole qui apparaîtrait de manière régulière, il y a plein de choses à imaginer.
Il y a aussi l’idée d’inviter des camarades d’Angleterre pour venir parler de ce qui s’est passé cet été, des émeutes racistes, des organisations mises en place contre les fachos. Parce qu’on n’est pas à l’abri de ce type d’événement en France aujourd’hui et typiquement notre quartier serait le type de quartier visé par des émeutes racistes. Et donc il faut tout de suite discuter de ce qu’on pourrait faire dans un tel cas, qu’on ait déjà réactivé des réflexes communs, des boussoles communes. Qu’on soit capables dans le quartier de répondre, d’avoir donc une Assemblée, qui n’aura peut-être pas un niveau d’intensité, de pratique hebdomadaire mais qui, au long cours, propose des choses et qui, dans des moments d’accélération, est capable de répondre. Donc réactivité et approfondissement, ça va être les deux choses à creuser.
Propos retranscrits par Denis Godard (Paris 20e)