A Strasbourg aussi, les migrantEs s’organisent

Migration et frontières

La solidarité avec les migrantEs est une lutte politique. Les premierEs concernéEs, les migrantEs, s’affrontent au régime des frontières depuis le début de leur migration. Du Mali, au Niger ou en Turquie, les frontières européennes sont externalisées.1https://www.contretemps.eu/ grece-frontiere-europe-forteresse/ Dans les pays de transit comme la Libye, iels affrontent l’enfermement, l’esclavage et les persécutions.2https://www.bbc.com/news/world-africa-42038451 A l’intérieur de l’espace Shengen, iels doivent contourner, duper les différents systèmes de contrôle, de répression et d’enfermement mis en place par les États européens depuis ce qu’ils ont appelé la « crise migratoire » en 2015. Mais la mobilité humaine – le phénomène naturel qu’on nomme migration en régime capitaliste – a son autonomie3http://isj.org.uk/the-crisis-of-the-european-border-regime-towards-a-marxist-theory-of-borders/ qu’aucun renforcement militaire ou policier des frontières n’arrêtera. Le meilleur exemple en est l’adaptation quasiment quotidienne des routes migratoires au fur et à mesure du renforcement des frontières et la poursuite de ces migrations malgré les conditions extrêmement dangereuses. La migration en elle-même est donc toujours déjà une lutte contre les frontières, ce rapport social qui crée une hiérarchie entre êtres humains, entre le sujet « légal » et celui qui peut se faire déporter à tout moment. Une bonne appréciation du rôle socio-économique des frontières pour la bourgeoisie est donné par le Think Tank libertarien CATO qui désigne les migrantEs comme « le lubrifiant de notre économie capitaliste ». Et pour cause, le ou la migrantE est toujours avant tout unE travailleurE potentielLE qu’on peut exploiter plus et payer moins. Les frontières continuent donc à jouer leur rôle bien après que leur incarnation physique soi-disant naturelle soit franchie. A ce titre, la lutte contre les frontières continue une fois arrivéE en Europe, en France et dans nos villes. Demandes d’asile, procédure Dublin, rendez-vous en préfecture, contrôle policier, centres de rétention, interdiction de travail légal font tous partie intégrante du système des frontières. Et pourtant, la lutte consciente contre les frontières s’arrête souvent après leur franchissement et le dépôt d’une demande d’asile. Cette procédure de régularisation rarement accordées (36% en 2018)4https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/actualites/les-donnees-de-l-asile-a-l-ofpra-en est systématiquement très longue et désarme potentiellement les migrantEs à un moment où leur statut d’illégalité et de déportabilité est pourtant loin d’être fini.

La situation à Strasbourg

A Strasbourg, aucune structure autonome des migrantEs n’existaient jusqu’à récemment pour mener la nécessaire lutte pour l’égalité des droits et la régularisation. Et quand elle était menée, c’était principalement par des collectifs de soutien. De notre côté, on intervenait avec D’ailleurs nous sommes d’ici 67 de manière suivie sur les campements de migrantEs (principalement des familles d’Europe de l’est) qui existent à Strasbourg depuis 3 ans maintenant. Notre but était, à la fois d’apporter l’aide concrète nécessaire à la survie des personnes vivant dans ces camps et d’interpeller les pouvoirs publics et les médias sur leur conditions de vie. Cette activité n’impliquait cependant que très rarement les migrantEs eux- et elles-même. Les manifestations et rassemblements que nous organisions se faisait donc sans les premierEs concernéEs. Et lorsqu’il y avait des échéances nationales, nous montions à Paris sans arriver à mobiliser plus loin que notre collectif. Cette situation n’était pas acceptable pour qui pose l’autonomie des migrantEs comme objectif et stratégie de lutte contre les frontières.

Premières actions

La lutte pour l’auto-organisation étant un processus conscient, notre rôle de soutien a consisté pour l’essentiel à présenter les possibilités de lutte et à en donner les outils pour que les migrantEs s’en emparent, notamment en mettant en avant les initiatives qui existaient déjà autre part, comme les Gilets Noirs ou la Marché des Solidarités. On a donc continué à intervenir sur les camps, dans les structures d’accueil de jour et dans les foyers d’immigréEs en apportant l’assistance qu’on pouvait, des tentes aux contacts d’avocats tout en menant toujours le débat avec les migrantEs pour qu’ils s’organisent entre elles et eux pour l’ensemble des problèmes qu’iels peuvent rencontrer. Un événement charnière dans cette direction a malheureusement été le suicide d’un jeune migrant afghan sur un campement.5https://reporterre.net/A-Strasbourg-le-suicide-d-un-jeune-Afghan-souligne-la-detresse-des-migrants Bien qu’on le connaissait tous, il était isolé et en grande détresse. La colère était grande et les responsables, l’Etat et collectivités, clairement identifiés. En son honneur, deux manifestations furent organisées aux slogans de « Un toit, c’est un droit » et « Ouvrez les frontières, fermez les centres, libérez les sans-papiers ». Pour la première fois depuis plus de dix ans, des migrantEs prenaient la parole sur la place centrale de Strasbourg et parlaient de leurs histoires, de leurs besoins et de la nécessité de donner un sens à la devise française de « liberté, égalité, fraternité ». Un début de mouvement de solidarité s’est créé à cette occasion, rassemblant maraudes solidaires, gilets jaunes, zadistes et organisations politiques de gauche.

Le squat de l’Hôtel de la Rue

Ce mouvement a notamment permis l’occupation solidaire d’un immense bâtiment vide appartenant à la mairie de Strasbourg. Cette mairie, qui fait partie de l’ « association nationale des villes et territoires accueillants6https://villes-territoires-accueillants.fr/, a réagi en portant plainte : une assignation en expulsion a été notifiée. Néanmoins, ce sont plus de 150 migrantEs adultes et enfants vivant dans la rue auparavant qui ont retrouvé un lieu d’hébergement, de vie et de socialisation grâce à ce squat et grâce à la mobilisation de nombreux bénévoles. Pourtant, face au constat que ce squat, malgré toutes ses qualités, conservait des relations de pouvoir entre bénévoles et migrants, procédait d’une gestion par en haut et devenait notamment un terrain de jeu pour tout type d’opportunisme politique, nous disions alors que : « En tant que soutiens,[…] il est important de ne pas dériver vers le substitutisme (et sans même le vouloir, l’endossement des suivis, l’apport d’aide humanitaire peut y amener). Notre rôle en tant qu’associations et militant.e.s indépendantes est de participer activement à la construction d’un projet autonome à visée émancipatrice, et cela par le biais des informations et de l’audience que l’on peut avoir grâce à nos réseaux militants et associatifs, à travers les discussions et arguments que l’on peut apporter, à travers l’écoute et l’étude des problèmes concrets auxquels font face les migrant.e.s, et par notre participation dans les actions entreprises par elles et eux. »7https://www.facebook.com/notes/dailleurs-nous-sommes-dici-67/pourquoi-le-combat-avec-les-migrantes-est-il-un-combat-politique-/1137208449800910/ Ce squat aurait pu devenir un tremplin vers l’activité autonome des migrantEs pour leur régularisation ; au lieu de ça, sa gestion substitutiste l’a focalisé sur l’assistance humanitaire en éludant le caractère politique de l’occupation.

La lutte ne fait que commencer

Depuis, le collectif SOS Infos Migrants 678https://www.facebook.com/SOS-infos-Migrants-67-109570283729292/ a vu le jour. Décidé en assemblée générale, ce collectif veut rassembler tou.te.s les sans-papierEs et demandeurEs d’asile de Strasbourg dans une plate-forme revendicative qui a pour but de s’organiser pour les défis quotidien des migrantEs et de mener la lutte politique pour la régularisation de tou.te.s. Avec déjà plus de 60 membres, la première action sera probablement une manifestation devant les bureaux de l’OFII contre le projet de changer la carte de retrait des demandeurEs d’asile en carte de paiement. Quoi qu’il en soit, et sans que cela nous empêche de polémiquer même durement avec eux sur les questions stratégiques et tactiques, axer notre activité autour de celle de ce collectif est pour nous plus précieux qu’une dizaine de programmes.

Gabriel Cardoen

Notes

Notes
1 https://www.contretemps.eu/ grece-frontiere-europe-forteresse/
2 https://www.bbc.com/news/world-africa-42038451
3 http://isj.org.uk/the-crisis-of-the-european-border-regime-towards-a-marxist-theory-of-borders/
4 https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/actualites/les-donnees-de-l-asile-a-l-ofpra-en
5 https://reporterre.net/A-Strasbourg-le-suicide-d-un-jeune-Afghan-souligne-la-detresse-des-migrants
6 https://villes-territoires-accueillants.fr/
7 https://www.facebook.com/notes/dailleurs-nous-sommes-dici-67/pourquoi-le-combat-avec-les-migrantes-est-il-un-combat-politique-/1137208449800910/
8 https://www.facebook.com/SOS-infos-Migrants-67-109570283729292/