(Texte rédigé mi avril 2017)
Dimanche 23 avril. C’est le premier tour des présidentielles. Dehors ça calcule et ça vote. Ca nous demande de nous en remettre à l’un ou à l’autre, à ses bonnes ou mauvaises idées.
Ce soir, demain, le cirque reprendra, quel que soit le résultat. La nomination d’un nouveau président visera à relégitimer un pouvoir branlant en lui donnant le vernis démocratique de l’expression du « peuple ».
Mais la seule cohésion possible, la seule concrétisation possible du « peuple » c’est la nation et cette cohésion ne peut se faire qu’au prix de sa passivité, de la négation de ses stratifications sociales et politiques. Dans le renforcement des exclusions que celles-ci génèrent.
Attention ! Cette passivité ne durera pas tant toutes les contradictions réelles se développent. Alors, selon les mêmes dynamiques, le peuple à qui on donne cette cohésion pour se ranger derrière les flics, le drapeau, la République sera mis en branle contre les ennemis intérieurs, les migrantEs, les étrangerEs, les MusulmanEs, les gauchistes, sera mis en guerre contre les ennemis extérieurs qui se décideront sur la scène géopolitique.
C’est pour cela qu’il faut revenir sur la marche du 19 mars, pour la justice et la dignité, contre le racisme et les violences policières.
Pas seulement parce que ce jour-là nous avons été 10 000 ou 15 000 à prendre la rue. C’était bien sûr significatif. Le double au moins de tout ce qui s’est fait sur ces questions depuis plusieurs années.
Après tout, la veille du 19 mars, dans les mêmes rues, ils et elles étaient 4 fois plus pour acclamer Mélenchon nourrissant l’idée que c’est quand même là que ça se passe.
Mais parce que cette mobilisation était, dans sa dynamique potentielle, à l’exact opposé de la dynamique électorale. Dans sa forme et dans son contenu. Et qu’elle est donc la seule alternative à ce qui vient.
Dans sa forme parce qu’elle ne venait pas s’agenouiller devant un quelconque sauveur. C’est en lutte et en revendications, pas en victimes mais en combattantEs et en collectif que sont venuEs les premierEs concernèEs, des familles de victimes des violences policières, des sans-papiers, des travailleurs des foyers, des syndicalistes, des associations et collectifs de quartier, des anticapitalistes, des antifascistes, des solidaires avec le peuple palestinien, des zadistes, des jeunes des quartiers. En convergence.
Et en contenu. Ce n’était pas un « peuple » se revendiquant de la France et de son drapeau. Ce n’était pas non plus notre classe au sens large, nous étions bien trop peu pour cela. Mais un embryon, un appel à ce qu’elle est en réalité, avec ou sans papier, dans son antagonisme contre l’Etat, sa justice et ses flics, contre ses lois et mesures racistes. Un appel à ce qu’elle pourrait être.
Cette mobilisation ne vient pas de nulle part.
Elle montre d’abord que le temps est heureusement fini de l’hégémonie de l’antiracisme traditionnel de la diversion : un antiracisme moral d’un mouvement ouvrier blanc dénonçant le racisme pour appeler les Arabes et les Noirs à rejoindre ses combats. L’écroulement de cet antiracisme n’a pas laissé place au vide. Des organisations se sont créées, modestes et contestables peut-être mais poussant le débat et, surtout, une myriade de luttes et de collectifs, éphémères parfois, souvent locaux, centrés sur des luttes spécifiques et animées par les premierEs concernéEs, collectifs des sans-papiers jaloux de leur autonomie, collectifs de résidents des foyers, comités de familles de victimes des violences policières, collectifs contre l’islamophobie, associations de quartiers. Tout cela est parcouru de contradictions, de débats, de conflits, d’anciennes questions toujours non résolues.
Cela ne se présente pas comme un tout unifié. Mais n’est-ce pas comme cela qu’un mouvement se construit quand il ne cherche pas à s’aligner derrière un chef ?
Elle s’est ensuite nourrie du mouvement du printemps dernier contre la loi travail et son monde. Notamment parce que ce mouvement a fait l’expérience que s’opposer au Capital c’est s’opposer aussi à l’Etat, et inversement. Et que ce qui a été expérimenté dans les quartiers comme ce qui se légitime dans la chasse aux migrantEs a une logique qui touche toute la société. Tout cela a joué pour donner plus d’ampleur aux révoltes contre l’assassinat d’Adama puis contre le viol de Théo. Tout cela a nourri la mobilisation du 19 mars, la convergence avec le cortège de tête, la ZAD de Notre Dame des Landes, l’implication de syndicats et de syndicalistes.
Cela ne signifie pas que la mobilisation du 19 mars a été uniquement la continuité de ces luttes. Cette mobilisation avait des intentions, elle a aussi été pensée et produite par des acteurs et des actrices.
Les organisatrices et organisateurs de la marche contre le racisme et la dignité de 2015, la Mafed et le PIR notamment, cherchaient depuis des mois à refaire une marche de ce type. Avec la volonté de construire un mouvement antiraciste hégémonisé par leurs thèmes indigènes. Des associations regroupées dans « reprenons l’initiative », dont le FUIQP, voulaient une campagne qui permettrait de construire dans les quartiers et de se coordonner en liant lutte contre le racisme d’Etat et préoccupations sociales. Les collectifs de sans-papiers, abandonnés de fait par l’essentiel de la gauche sociale et politique, cherchaient à retrouver l’initiative autour de l’échéance de la journée internationale contre le racisme du 21 mars comme ils l’avaient fait en 2014 et 2015. Des associations et collectifs de familles victimes des violences policières voulaient manifester, comme chaque année, à l’occasion de la journée contre les violences policières du 14 mars. Des courants liés à la solidarité avec les migrantEs et à la lutte contre le fascisme voulaient reprendre l’appel lancé de Grèce pour la journée internationale contre le racisme. Et tout cela se combinait avec l’idée que ce combat devait être porté au plein milieu d’une campagne pourrie par les thèses racistes et sécuritaires.
Rien ne peut garantir, a priori, que ces différentes stratégies s’unifient simplement. Elles portent aussi en elles des conflits et des contradictions. C’est au moment, mi-décembre, où s’ouvrait la possibilité d’un appel lancé conjointement par des familles, des collectifs de sans-papiers et des associations de quartier, sur la date du 19 mars, que l’appel a été lancé, signé par plusieurs familles victimes des violences policières, pour une « marche de la dignité et de la justice ».
Il n’est pas question ici de remettre en cause la légitimité de cet appel, cela n’aurait aucun sens. Simplement d’expliquer ainsi des tensions qui ont continué pendant la mobilisation des mois suivants.
Ces tensions sont le résultat de questions ouvertes pour et par le développement du mouvement : Est-il possible de lutter contre les violences policières sans la lier à la lutte contre le racisme ? Comment articuler mobilisation de masse et construction sur la durée ? Comment articuler diversité des tactiques dans le mouvement et unité ?
Ces tensions ne sont pas extérieures au mouvement. Elles sont le propre de tout mouvement qui cherche sa voie et se construit. C’est pourquoi elles doivent être posées ouvertement et débattues en son sein. C’est aussi pourquoi nous y reviendrons dans une deuxième partie. Ce n’est pas le moindre des mérites de la mobilisation du 19 mars que de les avoir posées à une échelle plus large.
Et nous disons que la mobilisation pour la marche du 19 mars fait partie, comme le mouvement contre la loi travail et son monde, la lutte de Notre-Dame des Landes ou des manifestations contre les meetings du FN de ce qui construit l’alternative contre le monde qui vient, contre la catastrophe en cours. Qui refuse obstinément d’attendre, de qui que ce soit sinon de nous-mêmes, la possibilité d’un autre monde. Une alternative à l’illusion électorale.
DG, le 22 Avril 2017