Les mobilisations à l’occasion de la journée internationale des migrant·e·s qui auront lieu partout dans le pays (et dans beaucoup d’autres1) du 14 au 18 décembre seront le 1er acte d’une campagne qui va se développer dans les mois qui viennent pour obtenir la régularisation massive de sans-papiers, lutter pour les droits des mineur·e·s isolé·e·s et l’hébergement des migrant·es à la rue et enfin pour se donner les moyens de renverser le climat raciste. De la réussite de ces mobilisations du 14 au 18 décembre dépendront nos capacités à construire cette campagne pour gagner.
À travers son implication et ses interventions dans la préparation de ces mobilisations, la CGT a posé concrètement la grève comme un des moyens à travers lequel la lutte pourra se développer dans cette campagne, notamment pour obtenir des régularisations. Les dernières grèves massives de travailleur·euses sans-papiers remontent à octobre 2023 : Dès le 17 octobre, partout en Ile de France des travailleur·euses sans-papiers occupent leurs lieux de travail. Soutenus par la CNT-SO, les collectifs de sans-papiers et la Marche des Solidarités, des travailleur·euses en grève occupent un site des Jeux Olympiques. Et soutenu·es par la CGT, plus de 500 travailleur·euses occupent 33 entreprises, pour la plupart des agences d’intérim. Tous les piquets de grève soutenus par la CGT parviendront à obtenir quelques mois plus tard un accord de la part de Darmanin pour que tous·tes les grévistes soient régularisé·es avec plusieurs dizaines de leurs camarades du Nord, de la Marne et de Seine-Maritime en lutte à Emmaüs, Amazon ou encore en tant que saisonnièr·es agricoles.
Entre le début de cette grève et l’obtention des régularisations, la loi Darmanin avait été votée par la majorité présidentielle et les député·es fascistes du Rassemblement National. Déjà pour les grévistes de 2023, les accords ont été plus difficiles à obtenir que lors des mouvements précédents et ils n’ont pas concerné les grévistes du chantier des JO. Comme pour d’autres luttes récentes telles que celle soutenue par le syndicat Solidaires à Chronopost, cela illustrait déjà un durcissement en cours du pouvoir sur les questions de régularisation. L’Etat met désormais en application la loi Darmanin et impose à tout mouvement pour la régularisation d’élever le rapport de force requis pour gagner.
La bascule raciste de la loi Darmanin
A la suite du mouvement de grève de milliers de travailleurs sans-papiers de 2008 à 2010, l’objectif principal des grèves de travailleur·euses sans-papiers qui ont suivi étaient d’obtenir l’ensemble des pièces éxigées par la circulaire Valls établie en 2012. Cette circulaire précise tout un ensemble de critères donnant droit à une régularisation : Il faut disposer d’un certain nombre de fiches de paie, de justificatifs, de preuves de présence ainsi que la reconnaissance de l’emploi par les patron·nes, à travers des CERFA ou des certificats de concordance selon que les travailleur·euses sans-papiers travaillent sous de faux papiers ou sous l’identité d’une autre personne.
La circulaire Valls précisant des critères de régularisation, un des enjeux de la lutte consistait à arracher l’ensemble des preuves aux patrons et d’imposer aux préfet·es d’y répondre positivement car celleux-ci ont toujours eu sur cette circulaire Valls un pouvoir discrétionnaire. Le rapport de force devait s’établir au niveau des patron·nes afin de remplir l’ensemble des critères et vis-à-vis des préfectures pour qu’elles traitent les dossiers.
L’application de la loi Darmanin a changé la situation et impose un rapport de force d’un niveau supérieur. Les collectifs de sans-papiers, les réseaux de solidarité, les syndicats, les associations sont unanimes sur l’ensemble du territoire : le nombre de refus de demandes de régularisation ou de renouvellements de carte de séjour est en train d’augmenter fortement et rapidement et cela concerne toutes les préfectures. Les délais sont encore plus longs qu’avant et, même quand les récépissés sont parfois obtenus, ils ne se transforment que trop rarement en titres de séjour effectifs. Et quant aux refus, ils s’accompagnent systématiquement d’OQTF.
Cette situation concerne directement des millions de personnes avec et sans-papiers parmi nous. Darmanin avait annoncé la couleur de cette loi qu’il qualifiait lui-même de « texte le plus ferme avec les mesures les plus dures depuis ces trente dernières années. »2 dont il ne cachait pas les ambitions : « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent »3 et le ministère de l’Intérieur met désormais tout cela en œuvre en exigeant des préfet·es de réduire l’immigration légale comme illégale par tous les moyens à leur disposition4. Et ces nouvelles conditions s’accompagnent d’une situation générale où 143 député·es fascistes siègent à l’assemblée et le RN qui semble de plus en en capacité de prendre le pouvoir.
Nécessité de la grève politique
Pour qu’une prochaine vague de grèves de sans-papiers arrache des régularisations, il faudra évidemment en premier lieu que les grévistes sans-papiers soient les plus nombreuses et nombreux, qu’il y ait des piquets dans le plus de villes et de quartiers différents, que les locaux des entreprises soient occupés, que les piquets soient organisés par les grévistes et ouverts sur les quartiers alentours. Un des points notables des grands mouvements de grève de travailleur.se.s sans-papiers jusqu’à maintenant, est que les grévistes ont été très majoritairement des hommes. La diversité des secteurs impliqués dans le prochain mouvement de grèves sera un atout pour donner la capacité à un nombre important de femmes sans-papiers de faire grève : l’hôtellerie, la restauration, l’aide à domicile, la santé, le médico-social…
Mais plus encore que d’étendre la grève parmi les sans-papiers, il faudra aussi se donner les moyens que ça puisse être une grève de toutes et tous. Et partout où cela sera rendu possible, ce sera aussi bien des exemples pour la suite que des forces pour tout de suite.
Dans les entreprises où des travailleur·euses sans-papiers feront grève, il faudra encourager que leurs collègues « avec papiers » fassent également grève ! Il faudra également saisir toutes les opportunités pour développer la grève dans les secteurs où des luttes sont déjà engagées en solidarité avec les migrant·es et contre le racisme, comme les écoles, les collèges et les lycées ou le travail social, etc. Et enfin dans les secteurs qui seront déjà engagés dans des grèves au moment où celles des travailleur·euses sans-papiers se déclenchent. Faire grève pour l’égalité des droits, pour la solidarité, pour imposer la régularisation, pour créer les conditions de l’unité de notre classe et un rapport de force général plus propice à gagner également sur d’autres revendications, qu’elles soient pour des salaires, de nouveaux droits, contre des réformes ou pour les retraites.
LA RUE, LA RUE, LA RUE
Avant les grèves de travailleur·euses sans-papiers de 2008-2010, le mouvement des sans-papiers avait déjà développé d’autres modalités de lutte que la grève, qui ont perduré notamment à travers les collectifs de sans-papiers et les réseaux de solidarité : occupations, manifestations, actions, marche nationale, etc. Les victoires des collectifs de mineur·es isolé·es récemment constitués sont des exemples du potentiel de ces modes d’action.
Une grève qui veut gagner des régularisations pour des travailleur·euses devra se battre pour l’égalité des droits de toutes et tous et se combiner avec des revendications et des modes d’action d’un mouvement plus large. En plus des grèves, il faudra lancer des occupations pour réclamer un logement et la reconnaissance des mineur·es isolé·es, organiser des rassemblements de soutien dans les quartiers où des grèves et des occupations seront organisées, des grandes manifestations qui rassemblent l’ensemble des collectifs en lutte et appellent toutes celles et tous ceux qui veulent se battre contre le racisme et qui veulent faire reculer les fascistes à se joindre à la bagarre.
A ce stade de développement du racisme d’État en France, un mouvement de grève pour la régularisation se retrouvera nécessairement à devoir se hisser à des niveaux de confrontation sociale qu’il ne pourra affronter que s’il est partie prenante d’un mouvement plus large qui se bat pour l’égalité des droits, pour la reconnaissance de minorité, pour un logement pour tous·tes, contre les CRA et contre le racisme. Seul un tel mouvement pourrait permettre de renverser la vapeur et le fond de l’air raciste, de commencer à faire reculer les fascistes.
Mathieu Pastor – A2C Paris20
- London Calling : action mondiale contre le racisme et le fascisme ↩︎
- Franceinfo, Projet de loi sur l’immigration : Gérald Darmanin défend le « texte le plus ferme depuis ces trente dernières années », dans un entretien au « JDD » ↩︎
- BFMFV, « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent »: Gérald Darmanin défend le projet de loi immigration ↩︎
- Le Monde, Bruno Retailleau annonce deux circulaires pour réduire l’immigration ↩︎