D’est en ouest et du nord au sud, de Rouen, Caen, Le Havre à Grenoble, Annecy ou Nice, de Quimper ou Lannion à Strasbourg, Nancy ou Lons-le-Saunier, de Beauvais, Amiens à Montpellier, Perpignan, Bayonne mais aussi à Limoges, Poitiers, Le Mans ou Clermont-Ferrand, Moulins, Montauban et Valence, de cent à plusieurs centaines de manifestantEs ont défilé dans les centres-villes, rendant hommage aux victimes des frontières et criant leur rage et leur détermination. À Foix près de 500 personnes ont manifesté, 300 à Perpignan, 1 000 à Rennes et plusieurs milliers à Paris.
Signe d’une avancée vers un mouvement coordonné, des appels à manifester avaient été recensés en amont dans plus de 50 villes sous un même mot d’ordre : « Égaux, égales, personne n’est illégal » et avec les mêmes revendications : la liberté de circulation, la régularisation des sans-papiers, la fermeture des centres de rétention.
Autre avancée, la présence de sans-papiers et migrant·e·s s’est propagée dans de nombreuses villes avec même des cortèges de femmes exilées et du syndicat des travailleurs sans-papiers en tête à Rennes. À Grenoble la manifestation a eu lieu l’après-midi pour impliquer un collectif de jeunes migrant·es et des associations de quartier populaire.
Comme l’an dernier l’appel était lancé par des collectifs de sans-papiers, des syndicats et de nombreux collectifs locaux et associations. À Montpellier, Extinction Rebellion a bloqué la mappemonde de la place de la Comédie tandis qu’un die-in géant était organisé. Sur Paris les appels à manifester relayés dans des assemblées de grévistes dans le 18e et le 20e arrondissement ont été ovationnés.
Pas d’impact du mouvement ?
Pour autant, à part exception comme à Foix ou Perpignan, la participation aux manifestations a été plus faible que l’an dernier. Surtout dans les grandes villes. Pire, à notre connaissance il n’y a pas eu du tout de manifestation dans des villes comme Marseille, Lyon, Lille ou Nantes tandis que des rassemblements symboliques avaient lieu à Bordeaux ou Toulouse.
Certain·es avancent l’argument du mouvement actuel et des grèves pour le justifier. Il est évident que, techniquement, la grève des transports dans certaines grandes agglomérations, comme à Paris, peut expliquer qu’une partie des manifestant·es de l’an dernier n’ont pas pu facilement se déplacer jusqu’au lieu de manifestation.
Il n’en reste pas moins que c’est un argument étrange. Nous plaidons plus souvent l’inverse : la grève et les luttes en général créent des dynamiques de politisation, de prise de conscience et de confiance qui ouvrent à des généralisations. En bref le mouvement actuel devrait plutôt être un atout, compensant largement les obstacles techniques créés par la grève. D’ailleurs l’an dernier les manifestations de Gilets jaunes, bien qu’à leur début, avaient été un des ressorts à la mobilisation du 18 décembre.
Lutte politique ou lutte par étape
Il nous semble plutôt que cela ouvre un débat de grande importance pour le mouvement actuel. Beaucoup de militantEs politiques, y compris parmi celles et ceux qui se disent révolutionnaires, argumentent actuellement sur l’idée que le mouvement doit se focaliser sur la question des retraites, les autres luttes étant des diversions.
« Nous avons besoin d’une victoire » est le grand argument. Mais sera-t-il possible d’obtenir une victoire contre un pouvoir qui veut casser toute solidarité de classe sans armer celles et ceux qui luttent d’une conscience de classe de base ? Et cette conscience de classe ne se construit pas uniquement sur la base du conflit économique. Son niveau le plus clair est politique : quand des hommes luttent pour les droits des femmes, des blancs pour ceux des noirs, des Français·es pour ceux des immigré·es. Cela ne se proclame pas ni ne se fait en un jour, une lutte. Mais chaque pas fait en ce sens renforce tout le mouvement. Tout refus d’avancer en ce sens ne fait que préparer le trou dans lequel le pouvoir plongera demain le mouvement.
La Journée internationale des migrant·es s’est tenue, en plein mouvement de grève. La situation faite aux migrant·es montre l’abjection des appels que fait le pouvoir à toutes celles et ceux qui luttent à faire trêve. Alors qu’il continue de nous canarder. Alors que la machine à broyer les migrant·es tourne à plein. Entre marche ou trêve, grévistes, migrant·es et sans-papiers ont choisi de continuer de marcher. Le 17 ET le 18 décembre comme le dit un tract du NPA de Rennes. Le mouvement continue, fait ses expériences, avance et parfois recule. C’est seulement ainsi qu’il peut apprendre à se mettre en mesure de tout renverser et tout changer.