Pas de JO sans papiers : empêchons Darmanin de faire sa loi !

Loi Asile et Immigration

Ce mardi 17 octobre, le jour commence seulement à se lever sur la Porte de La Chapelle au nord de Paris. En plusieurs vagues, une centaine de sans-papiers et une cinquantaine de soutiens réussissent à entrer sur un des plus gros chantiers des jeux Olympiques à l’heure de l’embauche, le chantier de l’Arena. Il s’agit d’une grève de travailleurs sans-papiers des chantiers.

Les Cahiers d’A2C #10 – Novembre 2023

Le donneur d’ordre de ce chantier, Bouygues, est tout de suite en panique. À la porte, la direction du chantier ordonne de renvoyer tous les travailleurs des entreprises sous-traitantes qui constituent la main-d’œuvre.

Seuls restent les membres de l’encadrement. Parmi ceux-là, aucun sans-papiers… et principalement des blancs, ce qui permet à Bouygues, et au pouvoir, de ­prétendre qu’il n’y a pas de sans-papiers sur ses chantiers.

Le chantier est mis à l’arrêt. Au même moment, une trentaine de piquets de grève de sans-papiers, organisés par la CGT démarrent sur toute la région parisienne essentiellement dans des boîtes d’intérim concernant des entreprises de multiples secteurs.

Une victoire éclair

Dans les médias, ce mardi 17 octobre, circule l’annonce d’une « vague de grèves » de sans-papiers. L’occupation d’un chantier des JO y devient emblématique. 

Les négociations démarrent très rapidement avec la direction et la mairie de Paris. Bouygues convoque alors les dirigeants des sous-traitants concernés pour les sommer de signer un protocole d’accord.

La victoire est — presque — totale1, les grévistes obtiennent les documents qui reconnaissent qu’ils sont des travailleurs salariés sur les chantiers de Bouygues et qui ouvrent à régularisation. Ceux qui ont été licenciés durant la préparation de l’action ou dont l’embauche n’a pas été renouvelée sont réintégrés. Ceux qui bossent chez les sous-traitants, en majorité des sans-papiers, ont trois mois pour se signaler à un syndicat et être intégrés à l’accord.

Dans la soirée les occupants du chantier sortent en cortège sous les ovations de plusieurs centaines de manifestant·es qui se sont rassemblé·es devant le chantier dès la fin de l’après-midi.

Une longue préparation 

L’idée de cette action remonte à loin : plus d’un an auparavant, au sein de la Marche des solidarités avec les collectifs de sans-papiers. Pour « accompagner » le versant ultra-répressif et raciste de son projet de loi, Darmanin a parlé de régularisations dans ce qu’il appelle des « métiers en tension ». Cette « carotte » qui continue, encore aujourd’hui, de fonctionner jusque dans la gauche et les syndicats, crée alors des illusions parmi les sans-papiers. Ça se comprend. L’espoir de toute régularisation est un levier puissant pour les sans-droits absolus qu’ils sont.

Il faut beaucoup de discussions pour démontrer que cette « carotte », par ailleurs dérisoire en nombre de régularisations annoncées, n’en est même pas une. Il n’y a pas besoin de nouvelle loi pour régulariser des sans-papiers, quel que soit le secteur concerné. En réalité, derrière ce projet il s’agit de rendre encore plus précaire le titre de séjour lié au travail. Et, plus généralement, sur le dos des immigré·es, il s’agit de faire entrer dans le droit, des conditions de travail et de salaire encore plus dégradées. Dans la même logique que les heures d’activité imposées aux allocataires du RSA ou l’obligation d’accepter un contrat au rabais pour les chômeurs et chômeuses. Raison pour laquelle nous dénonçons le terme « métiers en tension » : il s’agit en réalité de « métiers de haute exploitation ».

Alors naît l’idée d’une grève sur les chantiers des JO. Nous sommes dans la période des polémiques sur les milliers de travailleurs migrants morts sur les chantiers au Qatar.

L’idée est simple. Une grève de sans-papiers, si elle est bien organisée, bien soutenue, révèlerait tellement l’hypocrisie du pouvoir et menacerait tellement la vitrine des JO, qu’elle pourrait gagner très rapidement. Et ce serait une triple victoire. Victoire pour les sans-papiers concernés, dans une période où les régularisations sont de plus en plus difficiles. Brèche ouverte pour obtenir d’autres régularisations. Enfin victoire contre les arguments utilisés par Darmanin : pas besoin d’une nouvelle loi pour régulariser les sans-papiers. Comme nous l’écrirons dans le communiqué de la Marche des solidarités un an plus tard, le roi serait nu.

Entre une idée et sa réalisation il y a… la réalité. Ce ne sont pas les idées qui changent le monde, c’est l’action. Mais la volonté d’agir est déjà riche d’enseignements. En l’occurrence sur la réalité des sans-papiers. Si la grève comme mode d’action est difficile pour tous les travailleurs et travailleuses, elle l’est plus encore pour les sans-papiers. À la perte du salaire, la menace d’être placardisé comme « fouteur de merde », s’ajoute tout simplement le risque de perdre son emploi, tout revenu voire même s’ajoute le risque d’une expulsion. La plupart des sans-papiers travaillent masqués non seulement vis-à-vis des patrons, de leurs collègues mais aussi… des autres sans-papiers.

De la volonté d’agir à l’action

Au sein des collectifs, l’objectif de trouver des travailleurs sur les chantiers piétinne. D’autant que la bagarre commence pour mobiliser contre la loi Darmanin. En plus, va débuter la bataille sur les retraites qui, pour la Marche des solidarités et les collectifs de sans-papiers, est aussi notre bataille. Et que, hélas, elle nécessite aussi une bataille contre les directions syndicales et la plupart des forces de gauche pour imposer l’idée que la lutte sur les retraites ne doit pas être dissociée de la lutte contre le racisme et contre le projet de loi Darmanin.

C’est finalement le collectif des Gilets noirs avec le soutien du syndicat CNT-SO qui va trouver la stratégie qui rouvre les possibilités. Les Gilets noirs organisent avant l’été des diffusions de tracts syndicaux à la sortie de plusieurs chantiers invitant à des permanences syndicales. Le contact commence à se développer avec des sans-papiers sur les chantiers. Devant l’ampleur de la tâche les Gilets noirs font appel aux autres collectifs de sans-papiers et à la Marche des solidarités. Le temps presse, car les premiers sans-papiers qui commencent à s’organiser sont très vite sous pression. Certains se font virer ou ne voient pas leurs missions renouvelées chez les sous-traitants qui les emploient. Et les chantiers avancent, il va falloir agir.

Sans que ce soit public, la décision est prise lors d’une réunion de la Marche dès la mi-septembre que nous lancerons la grève mi-octobre, quel que soit le nombre de sans-papiers grévistes. Cela donne plusieurs semaines, avec la détermination que donne la décision d’agir, pour augmenter le nombre de sans-papiers concernés directement par la grève, impliquer plus largement les collectifs de sans-papiers et élargir la mobilisation de soutien.

Sur la base du travail fait pendant le mouvement des retraites, le succès de la « marche des Tirailleurs » du 14 Juillet, de la commémoration de Saint-Bernard le 26 août, la Marche appelle à une assemblée publique le 2 octobre en annonçant une « assemblée d’action ». Le cœur de cette assemblée sera de lier préparation de la grève (dont le projet devient public mais pas les détails) et lutte contre le projet de loi Darmanin.

Des assemblée d’organisation massives

Nous savons aussi que depuis des mois la CGT prépare des piquets de grève de sans-papiers. Et même si elle les organise sur des bases très identitaires (refus de toute coopération avec d’autres forces ou syndicats) nous considérons que cela est très positif. Il s’avèrera de plus que, sans concertation aucune, la date choisie est la même : tant mieux ! L’image donnée publiquement sera bien meilleure (et plus saine !) que les intérêts boutiquiers des directions syndicales.

L’assemblée accélère la dynamique tout en montrant le potentiel qui existe : 300 personnes remplissent la salle de la Bourse du travail le 2 octobre. Chaque lundi à partir de cette date, les réunions de la Marche des solidarités ne désemplissent plus avec une centaine de participant·es. Des réseaux s’ajoutent à la dynamique : syndicalistes, Soulèvements de la Terre, féministes…

C’est ce qui aboutira au succès du 17 octobre. C’est aussi ce qui oeuvre à accélérer la dynamique contre la loi Darmanin. Car le 17 octobre est un début de bascule à développer activement. La lutte des sans-papiers, la lutte contre le racisme peut chambouler un champ public jusque-là dominé par la surenchère raciste, relayée complaisamment par les médias, entre le pouvoir, la droite et les fascistes. Modifiant potentiellement le terrain sur lequel se mènent les débats. Des étranger·es comme menace à l’immigration comme partie prenante de notre société, du nationalisme à la solidarité internationale, du racisme à la solidarité.

Confirmer ce basculement, en faire un mouvement de lutte de masse, est la condition pour gagner contre Darmanin, le racisme décomplexé qui gangrène toute notre société et briser les fascistes.

Denis Godard (Paris 20e)

NOTES
  1. La mairie de Paris s’est engagée à faire pression sur la préfecture pour ouvrir un guichet unique pour les grévistes. Mais il n’y a pas à ce jour d’engagement de la préfecture. ↩︎