Pourquoi castrer Genet et Baldwin ? L’Indigène et les pédés

Cette petite contribution aux débats autour du livre « les Blancs, les Juifs, et Nous. Pour une politique de l’amour révolutionnaire » se veut une forme de réponse d’un point de vue pédé à la proposition d’Amour Révolutionnaire que formule Houria Bouteldja. Elle a été inspirée d’une  lecture croisée avec l’« Histoire de la violence » d’Edouard Louis. Complétée de la lecture de l’édition de poche d’«Une morale du minoritaire » de Didier Eribon (et de quelques autres).

Nègres blancs

Fusiller Sartre ? L’anticolonialiste qui n’a pas su déceler le colonialisme dans le sionisme, est rejeté dans les poubelles de l’Histoire (avec une grande Hache). « Si la gauche actuelle était à l’image de ses engagements, nous ne pourrions que nous en féliciter. ». La gauche actuelle ne mérite même pas d’être fusillée. Fusille-t-on un cadavre ? « Parce qu’elle est le partenaire indispensable des indigènes, la gauche est leur adversaire premier ». Il faut donc être partenaire et adversaire d’un cadavre. Et si l’adversaire est désigné, le Blanc, pas tout à fait cadavérique bien que moribond, le partenaire a du mal à émerger.

« Sartre n’a pas su être radicalement traître à sa race. Il n’a pas su être Genet… ». L’adversaire c’est Sartre, le partenaire (le mot est intéressant) c’est Genet. « Saint Genet » pour Sartre, qui nous « permet de penser les mécanismes sociaux de la domination et les possibilités pratiques qui s’offrent aux dominés pour réinventer leurs subjectivités » selon Didier Eribon. Genet, le coupable, l’orgueilleux, « Lucifer ferraillant avec Dieu ». Genet, le Nègre Blanc.

Genet est traitre à sa race, il est pédé. Ne pas le dire c’est comme ne pas dire que Baldwin est noir. John Irvin raconte comment, dans l’AmeriKKKe du milieu du siècle dernier, deux adolescents blancs mettent des mots sur la « puanteur de l’amour » dans la « chambre de Giovanni »[1]. Et leur stupeur, quand ils apprennent que celui qui a écrit avec tant de force leurs tourments est noir.

Le pédé est traitre à sa race, à son clan, « nos hommes ne sont pas des pédés ». Si Genet tue le Blanc en lui, c’est qu’il est pédé, donc déjà plus Blanc. Déjà insulté, violenté, nié par le Blanc. Ce que fuient Didier Eribon et Edouard Louis, c’est n’est pas tant le Prolo, que le Blanc, « le père raciste et homophobes »[2]. C’est le même que fuit la lesbienne bergère, exilée des beaux quartiers parisiens, que j’ai rencontré sur un plateau du Vercors. Genet lui même écrivit Les Nègres « contre les Blancs »[3].

Si « est Nègre une grande part de l’humanité qui est tenue pour subalterne »[4], est Nègre, à des degrés divers et variables dans l’histoire, l’Indigène, le Prolo, le Pédé, le Juif, la Femme. Et le Noir. Et la Noire. Et la Noire Indigène[5] Lesbienne Précaire. Ou, pour le dire comme Didier Eribon[6], « tout ce que la société considère comme son négatif ».

Ce qui donne une forme de définition du Blanc : est Blanc celui qui n’est pas Nègre. A partir de Genet, Didier Eribon nous en donne une autre : « le Blanc comme colonisateur et oppresseur, comme pensée de la colonisation et de l’oppression ». Baldwin, dans une interview en français, explique qu’il lui a fallu, pour ne pas tomber dans la « folie, le crime, la mort », qu’il « décide pour lui-même qui est Blanc » et précise « qu’on ne peut pas décider avec la couleur de la peau »[7].

« Les Gay sont blancs, bourgeois, intégrés. Les autres sont des pédés, et j’en suis » disait un militant marocain, il y a une dizaine d’années dans Têtu. Le Pédé n’est pas intégré à la société blanche qui le rejette à sa marge… Où il croise fatalement l’Indigène. Ce qui nous permet de dire : « la convergence, elle se fait dans ma chambre ».

« La classe ouvrière, je l’unis dans mon lit ! »

C’est  aussi ce que répond, à ceux qui l’accusent de diviser la Classe, Maurice Cherdo, candidat ouvrier et pédé aux législatives de 81 à Nanterre (soutenu notamment par le Comité Anti-Raciste de Nanterre, le Comité Homosexuel de l’Ouest-Parisien, le Comité d’urgence Anti-répression homosexuelle, l’Organisation Communiste des Travailleurs). Le message de cette candidature face à une députée communiste médecin, Jacqueline Fraysse, est clair : « celui qui s’est battu avec vous à l’usine est atteint de ce que vous appeliez il n’y a pas si longtemps le « vice bourgeois ». Oui, celui qui s’est occupé de vos enfants en organisant des tournois de sport, celui-là est un pédé »[8].

Dans le même article, en forme de bilan de la campagne[9], il est écrit « il y a bien une liaison entre le racisme anti-immigrés et le racisme anti-homos ». La candidature est définie comme « ouvrière, homosexuelle et anti-raciste » [10]. Et pose une question, toujours d’actualité : « mais comment articuler tout ça concrètement? ».

Et pour articuler tout ça concrètement, il faut partir de ce qui concrètement nous unit : la société nous considère comme son négatif, nous nie, nous blesse, nous insulte, nous rejette à sa marge, nous tient pour subalterne. Bref, nous opprime et nous oppresse.

Le premier mouvement est de découper dans la réalité sociale des catégories supposées homogènes à partir d’une caractéristique commune (le genre, l’orientation sexuelle et affective,  l’apparence physique, l’appartenance supposée à une aire culturelle ,… ). Se dégage alors une série de stigmates dont on afflige la catégorie ainsi créée, au delà des autres déterminations sociales, donc universellement partagées au sein de cette catégorie (« Les pédés, c’est comme les juifs, quand on en connait un, on les connait tous » écrit, Paul Maurand, « un jeune mondain tenté par l’homosexualité » qui fut ambassadeur de Vichy[11]). Ces stigmates sont censés marquer l’infériorité de cette catégorie de personnes par rapport aux standards de la société dominante, avec comme effets, de « minoriser » ces personnes, de faire de leur vie à la fois une abjection (le « bruit et l’odeur », la perversion,…) et une quantité négligeable (Black Lives Matter crie-t-on aux USA, Gay Lives Matter pourrait-on crier au Bangladesh ou des miltantEs LGTBI se font assasinéEs à la machette, ou à chaque fois qu’un adolescent gay se suicide dans sa chambre d’une banlieue pavillonnaire).

Ce qui nous unit, pédés, indigènes, femmes, prolos, c’est donc d’être Nègres, c’est d’être considérés comme fondamentalement illégitimes par la société dominante (blanche, bourgeoise, hétérosexuelle, masculine) et donc violentés par elle. C’est ce qui fait que l’on « se situe par la force des choses, des représentations et des fantasmes du coté de la  destruction de l’ordre social [12]»

Tout le monde déteste la Police !

Ce qui nous unit, c’est un même mécanisme de domination, d’oppression. Ce qui nous divise, c’est les effets de ces oppressions sur nos subjectivations et leur instrumentalisation pour nous diviser, voire nous opposer les unEs aux autres. Ce qui peut (et doit !) nous ré-unir, c’est la lutte contre l’ennemi commun, cette société blanche, hétérosexuelle, masculine bourgeoise, contre les insultes qu’elle nous hurle à la face en permanence, contre les institutions de maintien de son ordre différencié et hiérarchisé. Contre les divisions qu’elle insinue entre nous et en nous.

Edouard Louis ne dit pas autre chose. Ou plutôt il le fait dire à sa sœur. « Edouard, il joue tellement bien son rôle que ceux qui lui ressemblent l’attaquent en pensant qu’il est du camp adverse ». On se ressemble et on a un adversaire commun entre la prolote picarde, le pédé exilé à Paris et le zonard kabyle né en banlieue, entre l’agresseur et l’agressé. Dans le livre, l’adversaire, au-delà de la figure du Bourgeois évoqué par Clara, c’est la Police. Et plus généralement les institutions (que l’on pense au passage où Edouard Louis sent dans le regard du docteur à l’hôpital toute l’homophobie de l’institution et de la société qui l’a instituée). La Police raciste et homophobe (comme le père). La Police qui rappelle à l’ordre : « Non tout le monde ne fait pas ça » (faire monter chez soi un amant potentiel – surtout s’il est arabe). La Police qui méprise la victime, l’infantilise, la renvoie à son infériorité et son illégitimité fondamentale : T’es qu’un sale pédé (et qui en plus se fait baiser par des arabes).

A la question de savoir si le fait que l’agresseur est Indigène influe sur le livre[13], Edouard Louis répond page 99 : « Reda ou Sylvain, peu importe ».  En effet, à part nous permettre de nous moquer gentiment de la prétention naïve du jeune sociologue pensant connaitre la Kabylie parce qu’il a lu le Bourdieu anthropologue en Algérie,  Reda ou Sylvain peu importe. Certes, le récit aurait un peu changé si Reda/Sylvain avait fuit la ferme familiale du Lot pour échapper à des parents violents et que, sans ressources à Paris, devenu galérien des rues de la capitale et toxico, il avait volé l’i-phone de son coup d’un soir avant de le violer. Le récit, mais pas l’Histoire. Et ce que dit le livre d’Edouard Louis c’est que l’Histoire de la violence, n’est en rien l’histoire de « l’arabité » de Reda[14], mais celle de la misère, matérielle (« cet argent,  il en a besoin ») et subjective (« il désir et il hait ce désir »). L’Histoire de la pauvreté et de l’homophobie et du racisme. L’Histoire de la société dominante, blanche, bourgeoise, hétérosexuelle, masculine. L’Histoire du capitalisme et des oppressions qu’il articule.

Les amitiés particulières

On « bricole » toutes et tous nos identités comme le dit si bien Houria Bouteldja. On compose avec nos subjectivités mutilées, insultées, stigmatisées. On se réapproprie l’insulte, on renverse le stigmate pour se donner de la force. Le caractère insultant de l’injure est toujours dépendant de celui qui la profère, jamais de celui à qui elle s’adresse (même si celui qui la reçoit y fait face avec sa propre histoire). Qu’une copine gouine me traite de « petite pédale » me fait marrer, qu’un amant m’appelle « artaïl » m’amuse, qu’un pote hétéro me dise que je suis une « grosse tapette », je trouve ça moyen, que mon employeur déclare « c’est un pédé », c’est inadmissible, intolérable. Même si je suis coiffeur. Et quoi qu’en disent les Prud’homme de Paris.

Je ne me suis jamais senti insulté par ce que dit ou écrit Houria Bouteldja. Elle n’est pas homophobe. Même si son positionnement tend à exclure l’homosexualité du champ politique Indigène pour le renvoyer exclusivement au champ politique Blanc, ce qui est, de mon point de vue, une erreur. Ce texte n’aurait pas de sens si elle l’était : avec les homophobes on ne débat pas, on les combat. Et d’ailleurs me reviens en mémoire cette jolie, mais incomplète et donc trompeuse, formule de Daniel Bensaïd[15] : « Je suis Juif face à l’antisémite et au sioniste». On est pédé face à l’homophobe et au Pinkwasching, certes. Mais pas que, pas seulement. Face à nos partenaires aussi. Pour faire valoir nos exigences. Pour qu’ils prennent en compte nos agendas, nos ordres du jour. Pour commencer à « négocier »[16] comme le propose un tract du PIR distribué à Nuit Debout. C’est le sens que je donne à la formule de Sadri Khiardi que cite Houria  Bouteldja sur les partenaires /adversaires : « Parce qu’ils sont  les partenaires indispensables des [rayez les mentions inutiles], la gauche et [ajoutez les autres partenaires] sont leurs adversaires premiers ». Et c’est une des leçons politiques que nous donnent les Indigènes. L’histoire des mouvements de libération des femmes et des homosexuelLEs, et leur rapports conflictuels avec le mouvement ouvrier aurait pu (dû ?) nous amener à cette conclusion….

On veut des thunes en attendant le Communisme !

On n’accède à l’universel qu’en passant par le particulier, au risque de se perdre dans un universalisme abstrait donc Blanc, Masculin, Hétérosexuel, bref Bourgeois [mettez dans l’ordre que vous voulez]. Pas plus que notre universalisme, notre communautarisme ne doit être abstrait donc Blanc, Hétérosexuel, Masculin, Bourgeois [mettez dans l’ordre que vous voulez]. Il ne doit pas nier que nos communautés sont traversées de tensions, de lignes de force, de clivages. Pas oublier que la référence communautaire n’efface pas les conflictualités qui la travaillent. Affirmer que chaucunE est inscritE dans une pluralité d’identités pour faire face aux binarités qu’impose la société dominante différenciée et hiérarchisée. Et qu’arméE de ses identités, chacunE affronte des relations sociales qui vont la/le positionner, en fonction des situations, des interactions et des sujets, tantôt du côté des dominéEs tantôt du côté des dominantEs. Et souvent à la fois du côté des dominéEs et des dominantEs. C’est pourquoi nous voulons détruire la domination, la différenciation qui produit des hiérarchies. C’est pourquoi on est du coté de la destruction de l’ordre social. Et qu’en attendant, faut bien survivre. Se rattacher à une communauté, dont on sait qu’elle est le fruit de la domination que nous subissons, de l’ordre social dont nous sommes le négatif et que nous devons détruire pour vivre pleinement. C’est à la fois un acte de survie et de rébellion contre cette société divisée et hiérarchisée. On veut des thunes en attendant le Communisme !

ChacunE fait ses choix tactiques (porter plainte ou pas [17], la non-mixité, les alliances,…) qui lui permettent de survivre à partir d’un positionnement social.  D’une position sociale et de la signification politique qu’on lui donne (défendre la communauté que je représente en mettant en avant l’une de celles qui me constituent dans une situation donnée). « Les homos des quartiers ne souhaitent pas politiser leur sexualité ». Hum ? Bon. Mettons que ce cela soit vrai[18]. Et ? Et alors ? Avant que n’émerge la proposition et donc la possibilité de politiser sa race sociale on pouvait dire des Indigènes qu’ils ne souhaitaient pas la politiser. Si effectivement  les Gays sont Blancs, Bourgeois, intégrés, alors la tâche est de (re)construire une identité TRANS/PD/GOUINE. Homosexuelle, ouvrière, et anti-raciste, ai-je envie de proposer. Une identité qui soit capable de poser, comme en son temps le Black Feminism, que si « tout les Gay sont Blancs et tous les Indigènes sont Hétéros, certainEs d’entre nous sont des braves ! »[19].

Stratégiquement cela veux dire que la construction d’autonomies alimente (et s’alimente de) la constitution d’alliances dans la guerre (aux fronts toujours mouvants) pour l’hégémonie. Notre autonomie commune, pour se concrétiser, passe par nos autonomies respectives : on s’émancipe par la lutte, on est émancipé par l’oppresseur qui veut garder le contrôle de nos destins. Edouard Louis nous offre une belle définition de l’autonomie « dans sa figure la plus spectaculaire » : « Il n’avait pas besoin de répondre à un conflit. Il était en mesure de le créer, de le produire, de l’inventer. C’était lui le maitre du temps, lui qui choisissait quand le conflit devait avoir lieu et l’intensité qu’il devait revêtir, les autres devaient se définir par rapport à lui ». De ce point de vue, il y a fort à faire pour construire une identité et un mouvement, un «MOGAI LGBTQI+ », comme on dit à Nuit Debout, autonome, en mesure de créer le conflit, d’obliger les autres à se définir par rapport à lui, à ses enjeux.

Le mariage, on s’en fout, on veut plus d’homophobie du tout !

Là encore, Didier Eribon résume parfaitement, dans une note de bas de page[20], les enjeux du débat : « C’est d’ailleurs, sans doute l’aspiration profonde, chez certains homosexuels, à conjurer les « incertitudes » liées […] à la vie homosexuelle et à fuir l’impossibilité d’être « totalité » pour soi-même, jointe à une volonté de s’installer dans les structures confortables de l’ordre social pour échapper à cette nécessité de réinventer sa vie chaque jour, ainsi que la « mélancolie »  d’être exclu des formes instituées de la stabilité sociale qui expliquent la véhémence passionnée, et souvent pathétique, avec laquelle est avancée la revendication du droit au mariage et à la parentalité pour les couples du même sexe. Ce qui permet de comprendre la manière souvent sinistre dont ceux qui portent cette revendication s’évertuent à donner aux dominants des gages de leur normalité, de leur conformité aux normes et aux attentes majoritaires, de leur soumission à l’ordre social et culturel ». Cette lecture rétrospective[21] peut nous aider à interpréter la séquence Mariage/Manif pour tous.

La violence du déferlement, médiatique et physique, homophobe a eu des conséquences très concrètes et dramatiques : agressions homophobes spectaculaires (et hausse des agressions, hélas quotidiennes),  mort de Clément Méric (il faut se souvenir du climat créé par l’occupation de la rue par la droite et l’extrême droite, qui ouvre la possibilité de l’assassinat d’un jeune militant antifasciste par des nervis néo-nazis). Face à cela l’impuissance des tentatives, salutaires, de résistance à cet air du temps nauséabond, tient tant au coté « pathétique » et « sinistre » de la défense d’une loi en deçà d’une promesse déjà faible, qu’à notre incapacité pratique à faire exister une identité « gay » capable de porter la défense de l’égalité législative comme point d’appui pour nouer des alliances sur les questions d’égalité des droits. Capable de nommer ses adversaires, la droite et l’extrême droite Blanche de la manif pour tous, et là aussi ouvrir la possibilité d’alliances plus larges contre l’ennemi commun.

Houria  Bouteldja nous explique dans son livre qu’elle aurait pu participer à un mouvement indigène autonome en opposition au mariage homosexuel. L’argument est principalement rhétorique (comme on pourrait le dire des miens, j’en conviens), ce mouvement n’ayant pas existé. Peut être, entre autre, car les habitants des quartiers ne souhaitent pas politiser les questions de sexualité. Et/ou qu’ils sentent intuitivement que l’opposition à l’égalité des droits, c’est la défense de l’ordre social dominant, donc contraire à leurs intérêts. Mais, si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, il s’en est fallu de peu que l’on se retrouve face à face au lieu de côte à côte. Houria du coté d’une improbable dénonciation indigène autonome du mariage gay, moi, de celui d’une chimérique défense « de gauche » du mariage pédé. ChacunE fait ses choix tactiques, accompagne et défend sa communauté ; et la rhétorique a ses limites. Mais cela aurait été pour le moins dommage. Et cela indique comment, à force de rendez-vous manqués pour parler stratégie et amour révolutionnaire, pour construire le Parti, pour l’instant Imaginaire, on peut se retrouver piteusement séparés.

Car en termes de construction, cela veux dire que le Parti, pour l’instant Imaginaire, est l’endroit où nos autonomies se rencontrent pour ébaucher le programme révolutionnaire (et sa playlist[22]). L’endroit où l’on se constitue en force unie et autonome face à ce monde immonde de domination et d’oppression, de violence. Le lieu où se « négocient » les alliances entre groupes sociaux opprimés, où les exigences de chacun deviennent des exigences de tous, où nos agendas particuliers s’articulent en un plan stratégique commun. Le lieu où s’inventent, en positif, celles et ceux que la société considère comme son négatif, où se forme la force politique de celles et ceux qui sont par la force des choses du coté de la destruction de l’ordre social – ce qui constitue en propre une définition du prolétariat, forcément Nègre, PD et féminin. Pour le dire en léniniste[23], le Parti, et à travers lui, la Classe, doit, par la lutte politique, « contester aux classes dominantes leur prétention à la représentation de l’intérêt général » [24]. Et bien entendu, un intérêt général qui ne soit pas abstrait. Qui parte des intérêts de celles et ceux que la société opprime, considère comme son négatif, pour les condenser dans le mouvement général de destruction de l’ordre établi.

Mazel Tov,  Inch’Allah !

Né sous la bonne étoile, si Dieu le veut ! Et si nous aussi, nous le voulons, nos alliances, nos Partis, naitrons sous de belles étoiles. Pour « sortir ensemble du ghetto » comme nous y invite Houria  Bouteldja. Pour briser le règne totalitaire (« tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaitre » [25] ) de la domination. « La violence première de la situation [est] d’abolir l’extérieur, de condamner à exister dans les limites qu’elle trace, contraints à rester dans le cadre de l’interaction, dans la scène installée par la situation »[26]. Il nous faut donc créer un extérieur commun qui nous permette de sortir des interactions marquées du sceaux de la domination, de jouer d’autres scènes que celles que nous imposent les oppressions, d’inventer d’autres rapports, d’autres histoires que celles de la violence des échanges en milieu tempéré.

Et pour cela, il faut se connaitre et se reconnaitre. Comme on dit chez les blancs, « il n’y a pas d’Amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Alors, oui, Houria, pourquoi castrer Jean et James? Pourquoi taire leur sexualité, qu’ils n’ont jamais cachée, et qui est un des carburants de leurs œuvres et de leurs engagements ? Pourquoi ne pas y déceler la possibilité d’une alliance à saisir, renouant ainsi avec nos glorieux ainés ? Pourquoi ne pas en profiter pour nous désigner comme partenaires potentiels, comme tu le fais  pour les juifs ? Pourquoi nous nier en tant que catégorie sociale et politique, comme groupe opprimé, en somme, pourquoi te comporter en Blanc avec nous ?

Bien sûr, on a plein de travail à faire à l’heure où l’impérialisme enrôle la défense formelle de nos droits et de notre sécurité dans les guerres contre ses ennemis intérieurs et extérieurs, à l’heure du pinkwashing et de l’homonationalisme, à l’heure où « les gays sont passés à droite »[27], où la vague contre-révolutionnaire contamine particulièrement notre communauté, pour faire advenir cette identité « homosexuelle, ouvrière et anti-raciste ». Et bien sûr d’un anti-racisme politique, qui comprend, analyse et combat le racisme d’Etat et particulièrement la stigmatisation au nom de la lutte contre l’homophobie des musulmans et de tous les Nègres : Noirs, Prolos, Indigènes (de la République et d’ailleurs). Et  pour cela, un mouvement TRANS/PD/GOUINE doit saisir et dénoncer les mécanismes de domination, doit y déceler les possibilités d’alliances, parfois conflictuelles, inventer et proposer des médiations qui rendent ces alliances possibles (ce que j’appelle le Parti). Et donc doit lire ton livre et y apporter des réponses.
Que tu te présentes dans la continuité de Huey Newton et de son discours sur « les mouvements de libération des femmes et des gays » plus que dans la fascination pour Ahmadinejad nous aurait sans doute facilité la tâche. ChacunE fait ses choix tactiques. « La tactique n’est pas écrite une fois pour toute sur les tables de la Loi ; c’est une invention quotidienne qui colle à la réalité et qui s’affranchit en même temps de toute idée préconçue, bref une sorte d’imagination productive seule capable de rendre opératoire la pensée et de passer réellement à l’action » nous dit Mario Tronti[28]. Je ne t’en veux pas. Mais je me devais de te le dire. Car « impossible de s’entendre si l’on renonce à danser ensemble ».

TPP

Vers le 15 Mars 2016.
[1] John Ivrin, A moi seul, bien des personnages.
[2] Didier Eribon, Retour à Reims
[3] « Plutôt que pour les Noirs » précise-t-il, J. Genet, préface pour une réédition des Nègres, cité par D. Eribon.
[4] Comme le dit Achille Mbembe
[5] Ici entendu comme : vivant en occident, donc dans une société Blanche.
[6] Dans Une morale du minoritaire.
[7] https://www.ina.fr/video/I09211837/james-baldwin-a-propos-de-son-enfance-…
[8] Maurice a été, entre autre, délégué et trésorier de la CGT, membre d’amicales de locataires, d’associations pour les sports et les loisirs des jeunes dans les HLM.
[9] Histoire d’une candidature, paru dans Gai pied en 81.
[10] La campagne produira même, « sur le ton de la plaisanterie, un mot d’ordre qui va réunir pédés et immigrés : à Nanterre, les bains-douches municipaux ont été fermés ; et pourtant une partie de la population, surtout immigrée, ne dispose pas de salle de bains : nous demandons donc la réouverture des bains-douches et leur transformation en hammam! ».
[11] Selon sa fiche Wikipedia – cité par Didier Eribon, Une morale du minoritaire.
[12] Encore et toujours, Didier Eribon, Une morale du minoritaire.
[13] Celle de savoir si le récit est vrai, est encore plus absurde, « les livres, on ne les lit pas pour en extraire quelque chose en quoi croire » nous prévient Nanni Balestrini dans sa Violence illustrée.
[14] Le livre, lui, peut en dire des choses. Et il en dit. Et de belles.
[15] Expliquant son positionnement « en tant que Juif » contre les crimes de l’Etat d’Israël.
[16] Entre nous, bien évidemment, pas avec le pouvoir ventriloque.
[17] La question est abordée, par rapport au viol, par Edouard Louis et Houria  Bouteldja.
[18] Mon expérience personnelle et les rencontres qu’elle m’amène à faire ne me poussent pas à prendre cette affirmation pour argent comptant…
[19] Voir Angéla Davis, « une lutte sans trêve ».
[20] De l’importance des notes de bas de pages…
[21] La première édition d’Une morale du minoritaire date de 2001.
[22] Car si je ne peux pas danser, cela n’est pas ma révolution !
[23] Besaïdien, donc libertaire….
[24] Voir la chouette introduction à la nécéssaire réédition de Stratégie et Parti de Daniel Bensaïd par Ugo Palheta et Julien Salingue.
[25] Première page d’En finir avec Eddy Bellegueule.
[26] Histoire de la violence.
[27] Comme le constate Didier Lestrade.
[28] Ouvrier et capital.