Le mouvement présent (contre la loi travail) nous a redonné foi et courage. A tout point de vue il nous a réveilléEs ou du moins changéEs. Il a aiguisé nos impatiences et révélé nos limites. Il a testé les individus comme les collectifs. Ce n’est pas un problème car c’est le cours normal de la révolution de révéler ce qui lui fait obstacle, ce qu’il y a à dépasser et d’en fournir les outils.
Nous savons aussi que rien n’a encore vraiment changé. Le pouvoir du Capital est un peu ébranlé certes mais il est encore là, pratiquement indemne, comme le sont les monstres qui ne sont pas tapis dans l’ombre, ces figures du Capital que sont l’Etat policier, le nationalisme ou le fascisme.
La catastrophe est déjà là et depuis longtemps. Mais l’histoire passée nous enseigne qu’elle a encore des réserves. Et l’histoire qui se fait a plus d’imagination que l’histoire passée. Nous n’avons encore rien vu du fascisme et de la guerre.
Nous voulons conjurer la catastrophe parce que nous ne la pensons pas comme une fatalité et décidons que c’est en son sein que se construit ce qui la conjure et que nous ne savons pas nommer, autre monde ou communisme. Les mots eux-mêmes viendront avec le feu.
Ce n’est pas la difficulté des temps ni la difficulté des tâches ou même les risques à prendre qui désespèrent. C’est l’absence d’horizon et l’impuissance, l’attente imbécile de lendemains qui chantent.
Le mouvement présent a révélé l’impuissance des organisations politiques. En surface certaines réoccuperont la scène au moindre reflux apparent du mouvement. Cela même devrait suffire à les condamner. Mais cela ne change rien au constat sur le fond et pour l’avenir. Nous ne parlerons pas ici de celles dont nous ne faisons pas partie. Mais si de nombreux et nombreuses camarades du NPA sont impliquéEs activement dans ce mouvement et y jouent un rôle, le NPA en tant qu’organisation collective n’y a joué aucun rôle un tant soit peu consistant. Nous disons que ce n’est pas pour des raisons d’efficacité organisationnelle mais pour des raisons politiques de fond.
Nous refusons d’être des révolutionnaires sans révolution, ne pensant chaque mouvement que comme des parenthèses qui se refermeront tôt ou tard pour un retour à la « normale » du cours de la période. Nous refusons d’être des révolutionnaires sans révolution occupant l’aujourd’hui de préoccupations mathématiques sur la virgule de programmes inaudibles et dépassés avant même d’être imprimés, la dénonciation du voisin et les débats sans fin sur des tactiques sans boussole. La révolution est un processus. Elle ne peut être réduite à un Grand Soir. Elle ne se prépare pas, elle se fait.
Nous ne voulons pas être des moines sacrificiels dans l’attente, fût-elle active, d’un au-delà de la révolution. Il n’y a pas d’en-deçà de la révolution. Il existe certes des sauts, des moments d’accélération et de changements qualitatifs. C’est le capitalisme qui a théorisé le temps comme un absolu linéaire et neutre. Tout dans nos expériences sensibles le réfute : le temps du plaisir ou de la souffrance n’est pas le temps de l’ennui ou de l’attente. Mais la révolution est déjà là à se construire dans chaque contradiction du système et dans tout ce qui résiste et cherche un chemin contre le Capital. Dans chaque temps, qu’il soit effervescent ou apparemment immobile, il y a quelque chose à faire avancer.
Nous ne voulons pas être des moines sacrificiels parce que nous sommes persuadés qu’aucune minorité ne détient la vérité du mouvement, la clef de l’avenir. La tristesse militante est le produit d’un manque de modestie dramatique de révolutionnaires auto-proclaméEs dirigeantEs ainsi que d’un manque de confiance dans les capacités d’apprentissage et d’émancipation collective de notre classe.
Nous décidons de nous regrouper pour arrêter de nous sentir impuissantEs et risquer d’être désespéréEs. Nous voulons nous regrouper parce que nous savons que si l’impuissance peut être collective, à coup sûr elle est individuelle. C’est aussi la raison pour laquelle nous ne faisons pas sécession du NPA, nous faisons tendance.
Nous ne nous regroupons pas en fraction ou en tendance interne du NPA. Nous faisons tendance au vrai sens du terme. Nous ne nous regroupons pas pour faire bloc sur toutes les questions, adopter des positions communes sur des tactiques et/ou occuper des postes. Ce fonctionnement interne qui paralyse du NPA relève d’une conception proclamatoire du parti détenteur de la vérité que nous refusons. Chaque courant, fraction, plateforme permanente du NPA se conçoit comme l’embryon de ce parti identifiant dans chaque position et divergence tactique sa vérité propre au nom de laquelle il faut mener un combat impitoyable contre l’autre, le/la déviantE.
On ne peut se regrouper que sur une stratégie, l’élaboration d’une stratégie, une boussole, une direction au sens géographique. En sachant aussi que la stratégie n’est jamais figée, elle est fluide. Elle s’expérimente. Et ses chemins et applications tactiques peuvent être divers, rarement en ligne droite. A l’image du cours d’un fleuve à partir de sa source, en zig zags, retours en arrière, flux souterrains, multiplication des cours, torrent tempétueux, force tranquille et raz de marée.
Cette stratégie n’est pas celle de la construction d’une organisation collective. Elle se pense et se teste comme celle du mouvement général de notre classe au sens large, contre l’exploitation et l’oppression. C’est dans l’élaboration, la défense et le test de cette stratégie, au sein du mouvement, que se construit une organisation collective.
Tant que cette stratégie ne peut être défendue et testée à l’échelle de la classe il ne peut exister de parti révolutionnaire. Le proclamer hors de ces conditions ne peut mener qu’à des sectes qui mettent en priorité leur propre construction divorcée du processus de construction du mouvement. Il faut lire à ce sujet le texte de Hal Draper appelant, dans les années 70 à construire des centres politiques plutôt que des substituts de parti.
Nous décidons donc de nous regrouper sur une stratégie à développer et à défendre. Sur cette base nous ne nous retrouverons pas tout le temps sur de mêmes conclusions tactiques, au sein du mouvement comme au sein du NPA. Ce n’est pas de la tactique que nous tiendrons notre cohérence mais de la conception stratégique élaborée en commun. Parce que la même boussole peut amener à choisir de passer, temporairement, par des chemins différents et que seul le test de la réalité, le test fait par le mouvement, peut les valider. A condition que ces chemins soient discutés selon les mêmes principes stratégiques, les arguments échangés dans ces débats sont aujourd’hui plus importants que leur résultat. Parce qu’ils éclairent la route et les leçons à tirer de l’expérience faite. Les divergences tactiques ne sont alors plus considérées systématiquement comme des fossés séparant les « vrais » révolutionnaires des potentiels traîtres mais des moments nécessaires de la construction du processus révolutionnaire.
Nous disons que la base d’une stratégie pour la période actuelle est la construction d’une autonomie de classe et que c’est autour de cette idée, de la volonté de l’argumenter, de l’élaborer, de la défendre, d’en chercher les conséquences pratiques au sein du NPA et du mouvement en général que nous nous regroupons. C’était, de fait, la base du texte que quelques-unEs d’entre nous ont écrit il y a quelques mois « Un candidatE du NPA, une évidence, vraiment ? »
La période actuelle est caractérisée par l’antagonisme ouvert des trajectoires du Capital et de la classe des oppriméEs et des exploitéEs.
La trajectoire du Capital est fondamentalement autonome des mouvements de révolte de notre classe. Les attaques sociales, le renforcement de l’Etat policier et l’impérialisme (le nationalisme, le racisme, la guerre…) ne sont pas d’abord des réponses du Capital aux résistances de notre classe ou, a fortiori, à son potentiel d’émancipation. Elles sont, du point de vue du Capital et donc de la classe dirigeante, des nécessités imposées par la phase actuelle du capitalisme, sa crise de croissance, la crise de ses taux de profits.
C’est une des expressions des contradictions de la lutte de classe. Les résistances à cette trajectoire dominante du Capital sont et seront utilisées par celui-ci pour renforcer et légitimer cette trajectoire et les formes qu’elle prendra. C’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Le renforcement de l’Etat policier se légitime dans la lutte contre les manifestations du mouvement. L’impérialisme, le nationalisme et le racisme se légitiment dans la guerre contre le terrorisme, les migrantEs, l’islamisme, etc. Les attaques sociales se légitiment dans la crise de valorisation du Capital. Bref, les exigences du Capital trouvent leur légitimité dans les conséquences même de ce qu’elles imposent.
Tous ceux et celles qui refusent de concevoir cette autonomie de la trajectoire du Capital et cherchent à la concilier sont amenés à limiter et canaliser le développement du mouvement de notre classe comme cause du renforcement de l’Etat policier, des attaques sociales, de l’impérialisme, du nationalisme et du racisme. Le chômage c’est le coût du travail ou l’afflux de migrantEs, la violence des flics ce sont les casseurs, l’impérialisme c’est Daesh, le racisme ce sont les Indigènes, etc.
Or cette trajectoire autonome du Capital ne cessera d’entrer en confrontation directe avec notre classe. Qu’elle résiste de manière spontanée et/ou organisée ne changera rien de ce point de vue.
Nous en déduisons que la seule stratégie possible est le développement de tout ce qui construit une réponse autonome de notre classe, dans ses analyses comme dans ses formes d’expression et d’organisation. Autonomie vis-à-vis non seulement de la classe dirigeante mais aussi des exigences de valorisation du Capital, de la compétitivité, de l’idée nationale, autonomie vis-à-vis de l’appareil de contrôle, de surveillance et de répression de l’Etat mais aussi autonomie vis-à-vis des directions « traditionnelles » du mouvement.
Construire l’autonomie de notre classe, autonomie des oppriméEs et des exploitéEs, c’est faire le pont entre ce que nous construisons et détruisons aujourd’hui et ce que nous voulons pour demain. C’est ce qui permet de conjurer la catastrophe.
Cela ne signifie pas le refus de toute forme de médiation dans les revendications, les alliances ou les formes d’organisation. Tout mouvement est parcouru par les contradictions de classe, par la domination des idées de la classe dirigeante. L’autonomie de classe ne se proclame pas, elle se construit. Mais ces médiations doivent être évaluées selon le critère de la construction d’une autonomie de classe. Elles devront être combattues à chaque fois qu’elles mettent le mouvement en contradiction avec cet objectif. Elles devront être construites à chaque fois qu’elles sont des points d’appui pour l’autonomie de classe.
C’est à cela que nous appelons à travailler.