Ce texte est une réponse aux arguments avancés par une tribune appelant la gauche parlementaire à voter en faveur d’une loi abrogeant la réforme des retraites proposée par le Rassemblement National (RN). Il rejette ses trois principaux arguments : d’abord, que le RN ne souhaiterait pas réellement voir sa loi adoptée pour ne pas contrarier la bourgeoisie ; ensuite, que la gauche élargirait sa base sociale en votant avec le RN ; enfin, que ce dernier ressortirait affaibli de cette séquence.
1- Le mythe de l’élargissement de la base sociale de la gauche : Les fâchés par fachos
Le RN est un parti fasciste, dont la base sociale est la petite bourgeoisie, ce qui lui rend impossible de produire une politique économique cohérente. Comme tous les partis d’extrême droite, le FN n’a aucune difficulté à défendre des positions contradictoires en fonction de son intérêt tactique immédiat. C’est ainsi que le FN est passé d’une politique économique ultra-libérale inspirée de Reagan à une politique plus « sociale » dans les années 2010. Plus spectaculaire encore, sentant se rapprocher la possibilité de gouverner et souhaitant apparaître crédible aux yeux du MEDEF, le RN a abandonné l’essentiel de ses mesures « sociales » entre les européennes et les législatives de 2024.
Or, ce revirement complet de politique économique ne s’est pas traduit par une défection des électeur·ice·s, bien au contraire : le RN est passé de 7,7 millions de voix au premier tour des européennes à 9,4 millions au premier tour des législatives. Ce phénomène n’a rien de surprenant. Comme l’ont montré les sociologues Benoît Coquard et Félicien Faury, les principaux déterminants du vote RN sont le racisme et notamment l’islamophobie, ce qui met à mal le deuxième argument de la tribune.
En effet, la politique “sociale » du RN s’appuyant sur un seul élément : « les français d’abord », il ne s’agit donc pas de promouvoir une quelconque justice sociale mais bien d’exclure une partie de la population, celle qui n’est pas blanche, celle qui est racisée, celle qui est musulmane, celle qui est immigrée. De plus, le développement du RN se fait sur un fond de passivité politique généralisée. Les racistes continueront de voter RN, quelle que soit la politique économique de ce dernier, car ils sont convaincus d’améliorer leur situation en s’en prenant aux migrant·e·s et aux musulman·e·s. Dès lors, prétendre que la gauche pourrait élargir sa base en votant avec le RN est une erreur.
2- Le faux espoir d’un affaiblissement du RN
L’idée que le RN ressortirait affaibli d’une alliance tactique avec la gauche relève de la pensée magique. Au contraire, il en ressortirait renforcé, en étant à l’initiative d’une importante victoire symbolique contre Macron, reléguant la gauche à un simple rôle de force d’appui alors qu’elle pourra proposer sa propre loi d’abrogation dans quelques semaines.
C’est plutôt la gauche qui a tout à perdre à s’allier avec le RN : toutes celles et ceux qui ont participé au barrage contre l’extrême droite pourraient s’en détourner, si elle rompait avec sa tradition de ne jamais s’allier, quelles que soient les circonstances, avec l’extrême droite. Le risque est d’autant plus grand que les organisations du NFP, partis et syndicats, n’ont fait qu’appeler à voter ou à faire campagne. Sans chercher à mobiliser dans la rue et sur la durée contre l’extrême droite et le racisme, ils poussent à la passivité en délégant aux seul·e·s élu·e·s la capacité de vaincre le danger fasciste.
3 – Quelle stratégie pour affaiblir le RN… et la macronie ?
Ce n’est pas la première fois qu’existe une proposition d’alliance tactique entre la gauche et les fascistes pour affaiblir un gouvernement bourgeois. C’était notamment l’orientation du KPD, ce qui l’a amené par exemple à mener une grève à Berlin en décembre 1932 avec les nazis. Quelques semaines après, Hitler était nommé chancelier. Quelques semaines plus tard encore le KPD était interdit, puis vint le tour des syndicats le 1er mai suivant. Éclatante victoire contre l’État et les fascistes…
Pour affaiblir un parti fasciste comme le RN, la gauche doit exacerber les contradictions internes de cette organisation et combattre toutes les politiques qui le légitiment. L’extrême droite est toujours divisée entre une partie convaincue par la stratégie institutionnelle de conquête du pouvoir et une autre partie convaincue de la nécessité de s’appuyer sur une mobilisation active des masses pour la conquête violente du pouvoir. Pour exploiter cette contradiction, la gauche doit marginaliser constamment le RN, en le traitant comme un paria de la scène politique (ce qui exclut toute forme d’alliance, même limitée). Et elle doit travailler sans relâche au développement d’un mouvement antiraciste de masse, capable de barrer la rue à toute présence fasciste et d’empêcher la tenue de congrès et autres meetings d’extrême droite, à l’image de la mobilisation spectaculaire cet été en Angleterre qui a mis fin aux émeutes racistes.
Les cadres antifascistes, antiracistes, internationalistes doivent être investis et renforcés tels que celui de la Marche des solidarités aux côtés des collectifs de sans-papiers ou le mouvement de solidarité avec la Palestine et le Liban. Dans ces deux contextes, la question de l’antiracisme joue un rôle central, et ces cadres, déjà organisés, ont le potentiel de mettre des dizaines de milliers de personnes dans la rue et d’empêcher le développement des forces fascistes de rue. Enfin, les syndicats de lutte doivent s’emparer de la question antiraciste et se donner pour objectif de lancer des grèves politiques antiracistes. Le sujet est d’autant plus brûlant qu’une proportion considérable d’adhérent·e·s à Solidaires et à la CGT ont voté RN lors des deux élections de 2024.
C’est bien dans les luttes antiraciste et antifasciste que résident le potentiel d’affaiblir Macron et le RN et la possibilité de l’émancipation de notre classe.