Dans l’édito du dernier Monde Diplo, Serge Halimi utilise une belle formule pour célébrer la « renaissance d’un courant contestataire » : « A une époque où la droite extrême occupe bien souvent le rôle de dépositaire de toutes les colères, ce rayon d’espérance pourrait bien lui disputer les saisons qui viennent ».
Nous sentons bien que « quelque chose » se passe, qu’il y a dans l’air les prémisses d’un mouvement de révolte générale. Nous ne pouvons en prédire aujourd’hui ni les rythmes, ni les formes. Mais, parce que la trajectoire actuelle des politiques dominantes ne changera pas, nous pouvons prévoir que la tendance fondamentale de ce mouvement sera à l’antagonisme et l’affrontement social, politique, idéologique et « physique » avec ces politiques, les forces qui les portent et celles qui ne s’en démarquent pas. Nous pouvons aussi prévoir, alors, que ce mouvement ne pourra se développer que s’il déjoue ceux et celles qui voudront le canaliser dans les cadres et formes traditionnels. C’est un peu un quitte ou double : soit une alternative émerge de ce mouvement, ou le mouvement reculera.
Il y a eu, ces derniers jours, la belle manif de Notre Dame des Landes avec ses dizaines de milliers de manifestantEs si divers où les organisations traditionnelles, même présentes, sont une goutte d’eau. Il y a eu Calais, symbole d’une polarisation extrême à venir et question pourtant désertée par les organisations dites « du mouvement ouvrier » et, au-delà de Calais, les rues de Paris où la même guerre se joue, largement dans l’indifférence de ces mêmes organisations. Et puis il y a la riposte à la loi El Khomri dont la poussée est née hors des cadres habituels.
Tout cela ne vient pas de nulle part. Cela fait désormais un an, au moins, que, dans notre organisation, Jacques Chastaing alerte et envoie les listes de conflits et grèves multiples, largement invisibles parce que fragmentés, locaux, spécifiques. Le débat n’était pas entre « optimistes » et « pessimistes », entre ceux et celles qui se mettaient à parler de grève générale et ceux et celles qui relativisaient ces données. Il s’agissait surtout d’analyser ce qui se passait et ce que ça pouvait annoncer : l’offensive du pouvoir n’allait pas sans résistance. Idem sur ce qui s’est passé depuis 9 mois dans la lutte des migrants et la solidarité ou à plus long terme sur le développement de formes de luttes antiracistes et de quartier, locales, fragmentées, très spécifiques mais impliquant les premierEs concernéEs tandis que les organisations traditionnelles sur ce terrain périclitent. Idem avec Notre Dame des Landes et la Cop21. Et puis malgré le rouleau compresseur apparent un début de riposte à l’état d’urgence.
Il ne faut pas hésiter à dire que, du coup, c’est l’avenir du NPA qui va se jouer dans les prochains mois. S’il est un acteur utile pour le développement de ce mouvement, s’il est capable d’être un pôle pour aider à déjouer ces tentatives de canaliser ce mouvement, s’il permet de faire le lien entre révolte sociale et luttes politiques, alors le NPA a un avenir et peut se régénérer. A défaut, s’il ne joue pas ce rôle, s’il participe – même avec une rhétorique radicale – à la canalisation du mouvement dans ses anciens moules, alors il disparaitra. Sans doute dans des tempêtes internes, ces tempêtes d’autant plus violentes qu’elles agitent un microcosme… dans l’indifférence générale. Car il n’y a pas de test plus impitoyable pour les anticapitalistes et les révolutionnaires que celui du mouvement.
Les enjeux ne sont pas uniquement, pour le NPA, de se retrouver marginalisé. Il en va de l’avenir de ce qui se joue. Car le temps nous est compté. Et les monstres, qu’ils s’appellent Etat policier, nationalisme ou fascisme, ne sont pas tapis dans l’ombre. Ils sont là, bien là, et agissent à visage découvert.
Dans cet embryon de riposte une alternative pourrait se construire à condition de comprendre d’où elle vient, les formes qu’elle prend et ce qui s’y exprime. Le plus simple, certes, c’est de ne rien remettre en cause, de continuer comme avant, de penser qu’il s’agirait de « chevaucher le tigre ». De proposer le « bon » programme à ceux et celles qui participent à ces mouvements. Le risque serait alors, avec des discours plus ou moins radicaux et propagandistes, de participer à canaliser ce qui est possible et, tout simplement, de se retrouver durablement marginalisés d’un mouvement qui porte beaucoup plus loin.
C’est cette conviction, accompagnée de doutes innombrables, qui nous pousse à écrire aujourd’hui alors que se profile la CN sur les présidentielles. Alors que la plupart d’entre vous auront déjà voté ou s’apprêtent à le faire. Parce qu’il nous semble que ce qui domine ce débat et se cristallise, toutes motions confondues, dans l’affirmation incontestée de la nécessité de présenter un candidat NPA, nous entraine dans une fausse dynamique.
Nous avons longuement hésité, par manque d’énergie peut-être, par sentiment d’isolement, aussi parce que la tête et les forces qui nous restent sont prises aux côtés des migrantEs, contre l’état d’urgence, etc.
Nous avons longuement hésité. Pour ne pas rajouter de la division à la division dans notre parti, du doute et du manque de confiance. Parce qu’il y avait une telle unanimité, au moins sur ce point, au dernier CPN… qui n’a traité que de ça alors que la construction d’une réponse à l’état d’urgence posait tellement de questions, alors qu’on était censé préparer une manifestation à Calais dont les derniers évènements démontrent a posteriori toute l’importance.
Nous avons entendu les arguments des différentes plateformes. Il y a ces arguments « internes » cherchant à expliquer combien, derrière les plateformes, se cachent des orientations radicalement différentes qu’il faudrait trancher sur le dos du choix d’unE candidatE. Il n’en reste pas moins que, même les débats internes, ne progressent jamais en vase clos et dans l’obscurité des couloirs, mais en pleine lumière et au test des orientations dans et pour le mouvement.
Quant aux arguments qui disent qu’on disparait quand on ne se présente pas aux élections présidentielles, ils nous ont toujours étonné dans un parti où les débats tournent souvent à la surenchère révolutionariste. Dans la situation présente et concernant ces élections il nous semble, de plus, que c’est l’inverse qui est vrai.
Dans le même numéro du Monde Diplomatique, Frédéric Lordon écrit : « Le comble de l’engluement, c’est bien sûr de ne plus être capable de penser au-delà du monde dans lequel on est englué. » Et plus loin : « La seule chose dont nous pouvons être sûrs, c’est qu’aucune alternative réelle ne peut naitre du jeu ordinaire des institutions de la Ve République et des organisations qui y flottent entre deux eaux le ventre à l’air. Cet ordre finissant, il va falloir lui passer sur le corps. Comme l’ont abondamment montré tous les mouvements de place et d’occupation, la réappropriation politique et les parlementarismes actuels sont dans un rapport d’antinomie radicale : la première n’a de chance que par la déposition des seconds. »
Alors pouvons-nous simplement décider de présenter unE candidatE aux élections présidentielles comme d’habitude, comme si rien ne se joue d’exceptionnel, à la fois dans l’évolution des formes autoritaires du pouvoir et dans les formes de la résistance ? Comme si de rien n’était ?
Comme si le président n’était pas le cœur du régime d’exception qui s’instaure. Comme si nous ne menions pas campagne contre cette évolution. Comme si ceux et celles dont ce candidat serait – selon les termes des différentes motions proposées à nos votes – la « représentation » n’étaient pas des « fichéEs S » en puissance, des « déchuEs » en puissance, syndicalistes, activistes du mouvement, zadistes, migrantEs, habitantEs des quartiers populaires, musulmanEs, etc.
Comme si l’on pouvait, dans les circonstances actuelles, dénoncer de manière uniquement propagandiste les tendances dominantes en œuvre, nationalistes, militaristes, racistes, antisociales, sécuritaires et liberticides. Ces tendances qui concentrent les pouvoirs aux mains de l’exécutif symbolisé par le pouvoir présidentiel. En faisant, dans la forme, la même campagne que les partis dominants qui mettent en œuvre l’état d’urgence. Pour n’en contester la logique que dans le discours… d’unE candidatE.
Comme si le rejet des partis, la défiance envers les élections n’avait pas, dans ces conditions, même d’une manière confuse, une portée politique. Comme si l’exclusion de cette campagne des étrangers vivant en France mais aussi l’exclusion – pour l’instant menaçante – des musulmanEs et des activistes fichéEs ne signifiait rien.
Participer à cette campagne, dans le cadre fixé par les institutions, dont l’enjeu est, uniquement, l’illusion démocratique… quand tout le pouvoir passe aux procureurs, aux préfets et à la police. Et au Medef ?
Tout ça pour dire qu’une campagne présentant un candidat du NPA ne risque pas seulement d’être à côté de la plaque. Elle risque surtout de nous placer sur un terrain, et des dépenses d’énergie, hors de ce qu’il faut contribuer, urgemment à développer.
Il ne s’agit pas de se mettre hors du calendrier électoral : il s’agirait de réfléchir comment ce moment sera extrêmement politique si nous contribuons à révéler, à l’occasion de cette séquence, l’antagonisme radical entre toutes les tendances antidémocratiques (racistes, antisociales, militaristes, etc.) mises en œuvre (ou non combattues) par les forces qui se présentent et ce qui émerge et peut émerger du mouvement.
L’état d’urgence est la tentative par l’Etat d’étendre son contrôle de l’espace public et de limiter toute possibilité de prise de contrôle de cet espace par « la société ». Bref de réduire encore l’espace de la démocratie. D’où le droit de manifester mis sous tutelle par l’Etat. D’où les assignations à résidence qui imposent le cantonnement de militantEs dans l’espace privé, celui où les individus sont atomisés et sous la dépendance du discours dominant, hors de l’espace public et collectif, de ses débats et conflits. D’où le symbole, l’enjeu, sous état d’urgence des luttes comme Notre-Dame-des-Landes, des manifestations et campements de migrantEs, des grèves, des luttes dans les quartiers populaires… Toutes luttes dont la stratégie est justement une prise de contrôle collectif de l’espace… contre l’Etat et les patrons.
La campagne à imaginer, collective, serait l’autre campagne qu’a commencé à évoquer Olivier B., la campagne « S », « S » comme Sans-culottes, Sans-dents, Sans-Voix, Sans-Papiers, Sans-Abri. « S » comme FichéEs « S » mais aussi « S » comme Solidarité, Socialisme, Syndicalisme, Sortir du Colonialisme…
La campagne à imaginer, à construire, serait une campagne visant à re-prendre le contrôle de l’espace public, à donner de la visibilité à tous les combats et résistances qui contestent la logique de l’état d’urgence, à soutenir les occupations de lieux de travail, les ZAD, à combattre toutes les entraves aux possibilités de circuler, de manifester…
Vanina Giudicelli, Denis Godard, Alain Pojolat
11 mars 2016