Un article écris pour le journal du SEK (Parti Socialiste des Travailleurs- Grèce) le 10 décembre.
S’il y a une évidence dans la révolte des Gilets Jaunes en France c’est, socialement, sa nature de classe.
Mobilisés au départ contre la hausse des taxes sur l’essence, sur tout le territoire des ronds point sont filtrés, des péages d’autoroute ouverts et gratuits, des stations essences bloquées mais aussi des ports ou des raffineries. Sur ces piquets les gens se rencontrent, discutent, s’organisent, quittent un endroit quand la police intervient pour se rassembler sur un autre et y revenir. Partout il est question de fins de mois impossibles, de frigo vide, des riches qui se gavent quand les pauvres se serrent la ceinture.
Les Gilets Jaunes ont gagné une première victoire. Macron a annulé les hausses de taxes. Mais c’est déjà trop tard, trop peu. Les revendications de base sont devenues l’augmentation des revenus, en premier lieu du salaire minimum et le rétablissement de l’impôt sur les grandes fortunes pour les riches.
Chaque samedi depuis un mois, les Gilets jaunes viennent des banlieues éloignées et des villes moyennes, pour assiéger les quartiers riches du centre des grandes villes et notamment Paris, ses Champs-Elysées et ses magasins de luxe. Ils sont rejoints désormais par les jeunes des quartiers pauvres des banlieues qui viennent se servir dans les vitrines.
Ce samedi 8 décembre, le monarque-président, Emmanuel Macron était terré à Paris dans son palais de l’Elysée. Le pouvoir avait mobilisé toutes ses forces de répression réquisitionnant 89 000 policiers et gendarmes sur tout le territoire dont 8 000 rien qu’à Paris, des voitures blindées, des camions à eau, des hélicoptères de combat. Médias et dirigeants politiques avaient annoncé que, cette fois, il y pourrait y avoir des morts de la part de la police. II y a eu 2000 interpellations.
Il y a pourtant eu autant de manifestants que la semaine précédente. Comprenez bien, ces journées n’ont rien à voir avec une manifestation traditionnelle. Il n’y a pas réellement de manifestation. Ou plutôt il y a des manifestations incessantes partout. Ca commence très tôt le matin et ça finit avec la nuit. Des cortèges se forment en un endroit et se disloquent devant un barrage policier pour se reformer ailleurs après avoir parfois monté une barricade.
Ce samedi, tout Paris était devenu libéré, sans voitures, avec des groupes de manifestants partout. Alors qu’à l’ouest, sur les Champs Elysées, des Gilets jaunes s’affrontaient à la police, à l’est plusieurs dizaines de milliers de manifestants dont certains en gilets jaunes manifestaient pour le climat derrière une banderole disant « Fin de mois et fin du monde, changeons le système pas le climat ». Regroupés sur une autre place des milliers de Gilets jaunes repoussés par les policiers ont convergé avec la manifestation climat sur la place de la République là où se tenaient il y a deux ans les assemblées de Nuit Debout.
Marx disait que la preuve de l’existence du gâteau c’est qu’on le mange. La preuve de la nature potentiellement révolutionnaire de la situation ce sont toutes les contradictions qui parcourent ce mouvement. C’est la preuve que toute la société est en train de se soulever. N’oublions pas que depuis deux ans cette société a connu des grèves de masse et des occupations de place mais qu’elle a aussi donné 11 millions de voix à Marine Le Pen aux dernières élections présidentielles. N’oublions pas que le racisme et le nationalisme ont été encouragés par toutes les forces dominantes. Cette société est polarisée. Et cela a des effets au sein même de notre classe.
La dynamique de la mobilisation est cependant le terrain le plus favorable pour que la dynamique aille vers la gauche. L’entrée des lycéens et étudiants dans le mouvement joue dans ce sens. L’entrée dans la danse du mouvement antiraciste et du mouvement de solidarité avec les migrants sera un élément déterminant. Des manifestations sont déjà prévues dans une quarantaine de villes le 18 décembre à l’occasion de la Journée Internationale des migrants. Enfin, le mouvement des blocages de la circulation et des manifestations du samedi ne pourra se prolonger indéfiniment sans l’entrée en lice de l’outil le plus puissant de l’organisation de notre classe, les grèves et les occupations.
Denis Godard