Le foot français, pro ou amateur, de club ou national, est souvent résumé à trois lettres : FFF, pour Fédération française de football. Pourtant, à côté de celle dont on entend plus souvent parler pour des pratiques racistes que pour son soutien aux droits des travailleur·euses et footballeur·ses gays lesbiennes trans ou intersexe, existe une fédération qui, issue du sport ouvrier et antifasciste, continue de faire vivre une histoire de luttes. Cet article retrace l’histoire qui a mené à sa création en 1934, et constitue principalement une synthèse d’un chapitre du livre Une histoire populaire du football 1Mickaël Correia, Une histoire populaire du football, La Découverte, 2018. paru il y a quelques années.
En se baladant à Paris vers 1900, à l’heure du déjeuner ou le dimanche, il n’était pas rare d’apercevoir des bandes d’ouvriers porter des cages de football en bois, en direction des pelouses du bois de Vincennes ou du jardin des Tuileries. Parfois, ce sont de simples pierres qui font office de poteaux. La loi de 1901 sur la liberté d’association a favorisé le développement du tissu associatif sportif, qui casse l’isolement social des grandes villes. Les cafés accueillent le siège de plusieurs associations, servent à y ranger le matériel ou à s’y retrouver après un match.
« Un bon footballeur est un bon soldat »
Face au développement de cette pratique populaire, aristocrates, patrons et Église catholique tentent d’encadrer la pratique du ballon rond. L’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), dirigée notamment par Pierre de Coubertin, défend le privilège aristocratique et bourgeois de la pratique. Dans La revue athlétique, on apprend par exemple que « joué par des mineurs et des ouvriers des grandes usines, gens qui ne passent pas pour avoir l’esprit chevaleresque, le football devient nécessairement brutal et dangereux. Joué par des jeunes gens bien élevés, il reste ce qu’il est, un excellent exercice, d’adresse, d’agilité, de force, de sang-froid, auquel on peut se livrer sans se départir des règles de courtoisie ». L’Église, de son côté, assure son emprise sur les pratiques sportives et footballistiques via la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France (FGSPF). Pour tous, le football a pour objectif d’habituer le peuple à l’obéissance et à l’effort dans l’optique d’une guerre qui viendrait venger l’humiliation subie en 1870 contre l’armée prussienne. Les comparaisons entre le football et la guerre sont fréquentes. L’équipe adversaire devient un ennemi, et le capitaine un général. Un bon footballeur fera un bon soldat aux quatre coins du monde. C’est la logique belliciste et colonialiste défendue par Pierre de Coubertin : « Je voudrais que vous ayez l’ambition de découvrir une Amérique, de coloniser un Tonkin et de prendre un Tombouctou. Le football est l’avant-propos de toutes ces choses ».
Dans cette volonté d’utiliser le football à leurs fins politiques et économiques, les patrons ne sont pas en reste. Suivant l’adage d’Henry Ford – « Faites faire du sport aux ouvriers. Pendant ce temps, ils ne penseront pas à l’organisation syndicale », certains créent des clubs d’entreprise tels que l’Association sportive Michelin à Clermont-Ferrand dès 1911, l’Amicale des employés des magasins Casino en 1919 ou encore le Football Club de Sochaux par J-P Peugeot en 1929. Le football, en améliorant la condition physique des ouvriers, permet d’augmenter leur productivité.
La propagande par le foot
Au début du XXème siècle, les militants des syndicats et des partis sont à la fois méfiants vis-à-vis d’un sport tenu par la bourgeoisie, et sceptique quant à la possibilité de donner envie de jouer à des travailleurs qui ont sué toute la journée sur la chaîne de production. Mais suite à la limitation de la journée de travail à 11 heures (loi Millerand de 1900) et à l’instauration de la semaine à 6 jours (loi de 1906), obtenu grâce à des décennies de luttes, certains militants de la SFIO sont persuadés qu’il faut aussi combattre le capitalisme sur le terrain du sport. En 1907, ils créent l’Union sportive du parti socialiste dont les objectifs sont de « développer la force musculaire et purifier les poumons de la jeunesse prolétarienne », offrir « un palliatif à l’alcoolisme et aux mauvaises fréquentations » et « amener au parti de jeunes camarades ». Malgré le manque de moyens, un premier championnat ouvrier rassemblant 10 équipes est organisé en 1910. « On avait des chaussures, des sur-vêtements qui n’étaient pas adaptés. On n’y pensait même pas. On a été très heureux » se souvient un joueur.
Dans les mêmes années, les universités populaires et les coopératives ouvrières de consommation créent leurs propres clubs sportifs affilié à la fédération sportive athlétique socialiste. En 1909, le club athlétique socialiste (CAS) voit le jour au sein de la coopérative de la Bellevilloise dans le XXème arrondissement parisien. La coopérative organise des meetings autour de sa politique associative ou fait appel à son Harmonie des coopératives pour animer les manifestations sportives. De manière générale, les coopératives sont soucieuses d’assurer la diversité politique de leurs équipes (socialistes, libertaires, communistes, ouvriers non politisés) et se battent contre la volonté de certains socialistes d’imposer aux licenciés l’encartement politique à la SFIO.
« Le sport neutre n’existe pas »
Dans l’entre-deux-guerre, le football est majoritairement pratiqué par les travailleurs. Les organisations ouvrières sportives suivent les évolutions des scissions et unions des partis. Après le Congrès de Tours de 1920, le football ouvrier se divise entre la communiste Fédération sportive du travail (FST), et la socialiste Union des sociétés sportives et gymniques du travail (USSGT). Pour la première, le club de foot doit être « l’antichambre des organisations révolutionnaires ». La stratégie « classe contre classe » est appliquée au terrain, comme le rappelle les fondateurs de l’Étoile sportive de Gentilly en 1930 : « la bourgeoisie utilise le sport pour embrigader militairement les jeunes ouvriers et leur inculquer l’esprit chauvin. Le sport neutre n’existe pas. Vous ! Jeunes travailleurs, n’avez rien à faire dans ces formations de défense capitaliste. Seul votre développement corporel et moral de classe vous intéresse. Partout où vous vous trouvez, vous ne devez jamais oublier que vous êtes des ouvriers. C’est pourquoi, pour votre intérêt particulier, et dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs de Gentilly, vous viendrez nombreux à notre club ». L’USSGT, quant à elle, défend l’accessibilité des pratiques sportives à tous·tes.
Les années 20 sont également marquées par des victoires électorales communistes et socialistes dans des villes de la banlieue parisienne, ou de Lille, Roubaix, Toulouse. Sous la houlette de ces municipalités rouges, le football ouvrier connaît un important essor local, notamment grâce à la construction d’infrastructures sportives. En 1926, le stade Lénine est inauguré à Ivry-sur-Seine. Plus généralement, la pratique du football s’inscrit dans les luttes ouvrières du moment. En 1928, un match entre l’Union sportive ouvrière d’Halluin et la Jeunesse sportive ouvrière de Puteaux est organisé au vélodrome de Vincennes pour soutenir les grèves dans les usines textiles d’Halluin. L’année suivante, le 29 décembre 1929, deux cents militants communistes et réfugiés politiques italiens interrompent le match opposant l’AS Roma à l’équipe du Stade de Paris avec des slogans antifascistes. Chaque dimanche, l’Internationale est chantée au début des matchs, alors que la mi-temps est souvent l’occasion de prises de paroles politiques ;
Un mur antifasciste sur la pelouse
En 1934, le Komintern (Troisième internationale) change de stratégie, délaissant celle de « classe contre classe » au profit d’un « front populaire » contre le fascisme. L’été de cette année doivent se tenir à Paris les « Spartakiades », des jeux sportifs internationaux organisés depuis 1928 contre les jeux olympiques capitalistes. L’occasion d’expérimenter grandeur nature la possibilité de cette union. L’événement est rebaptisé « Rassemblement international des sportifs contre le fascisme et la guerre ». Une Coupe du monde du football ouvrier rassemble 12 équipes, en réponse à celle qui s’est tenue deux mois plus tôt en Italie fasciste. Les joueurs français trouvent des logements pour les joueurs des autres équipes, collent des affiches dans la rue et distribuent près de 400 000 tracts. Les matchs sont organisées dans les stades municipaux de Clichy, Saint-Denis ou d’Ivry, avec dans les tribunes des banderoles « Sport rouge, front rouge ».
Les militants entrevoient dans ce succès sportif de l’été 34 et dans la possible union sportive une préfiguration du Front populaire. Comme le rappelle le maire d’Ivry, « l’unité totale de la classe ouvrière étant encore impossible, nous la voulons là où elle est possible. Nous ne voulons pas de l’unité des militants communistes et socialistes dans les camps de concentration comme en Allemagne ». Le 24 décembre 1934, délégués de la FST et de l’USSGT se retrouvent au Congrès de l’unité sportive rouge avec pour objectif affiché « l’unité internationale ».
À l’unanimité, la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) est crée et affirme dans son préambule que « devant les menaces fascistes et les dangers de guerre, les organisations sportives des travailleurs ne sauraient prolonger plus longtemps leur division, ne méconnaissant pas les enseignements qui se dégagent des durs combats que la classe ouvrière des autres pays a dû engager contre des adversaires dont la victoire n’a été possible qu’en raison de la division ouvrière ».
A la FSGT, fédération omnisports, le sport est un enjeu de lutte autant qu’un moyen. D’un côté, on se bat pour un sport différent accessible à toutes et tous sans discriminations. Ses membres s’engagent contre l’organisation des Jeux Olympiques de 1936 en Allemagne nazie et pour l’Olimpiada Popular de Barcelone. La FSGT cherche aussi à influencer les politiques sportives, notamment auprès du socialiste Léo Lagrange, sous-secrétaire aux Loisirs et aux Sports dans le gouvernement du Front populaire. Plus tard, elle militera pour le développement de l’éducation physique et sportive à l’école.
Aujourd’hui, la FSGT continue de faire vivre cette histoire populaire chaque soir, sur des terrains souvent cabossés.
Antoine Klein, Toulouse
Notes
↑1 | Mickaël Correia, Une histoire populaire du football, La Découverte, 2018. |
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