C’est le capitalisme qui détruit l’environnement. Détruisons le capitalisme ! 

Alors que l’idéologie dominante s’attache à nous faire accepter l’idée que c’est l’humanité toute entière, sans distinction de classe, de genre, de race sociale, qui serait responsable du réchauffement climatique, masquant ainsi les responsables et les victimes premières, il est important de s’emparer des débats théoriques et pratiques que mettent en jeux les questions du réchauffement climatique, et plus largement de l’écologie.

Les Cahiers d’A2C #06 – JANVIER 2023

Le dérèglement climatique est devenu un vrai problème vital de la Terre. Selon le dernier rapport scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il nous reste environ 10 ans pour limiter le réchauffement climatique à 2 °C, le seuil nécessaire pour empêcher la dégradation totale de la biodiversité. Il faudrait préciser que le climat ne se réchauffe pas graduellement mais il y a certains points de basculement qui peuvent avoir un effet irréversible sur le réchauffement climatique, comme la savanisation de la Forêt amazonienne et la fonte du pergélisol au nord1Fiona Harvey, « What are the key outcomes of Cop27 climate summit?« , The Guardian, 20/11/2022. Pourtant, on voit bien que les gouvernements ne font rien pour mettre en place des actions nécessaires, comme privilégier la production selon les besoins au lieu des profits financiers ou le développement des énergies renouvelables à grande échelle (qui sont considérées comme trop chères selon les standards capitalistes…). En plus, ce sont les personnes les plus pauvres qui vivent les effets du dérèglement climatique à haut niveau : elles perdent leur maison suite aux catastrophes dites naturelles ; elles habitent dans des pays qui contribuent le moins (voire ne contribuent pas) à ce dérèglement mais qui pourtant font face à des problèmes comme la sécheresse, la famine et les feux de forêt sauvages dont l’intensité a augmenté ces dernières années2Ian Rappel, « Feeling the heat: wildfires and capitalism« , International Socialism Journal, Autumn 2022. Cela met en lumière l’injustice climatique : ce sont les populations riches qui polluent le plus, alors que les populations pauvres qui ne polluent pas autant en supportent les conséquences (comme les peuples d’Haïti ou du Sénégal, ou la classe ouvrière aux États-Unis dont les maisons et les vies ont été détruites par l’ouragan Katrina qui a ravagé le côté est du pays, notamment les quartiers populaires noirs de la Nouvelle-Orléans en 2005). 

Anthropocène, inefficacité des COPs, et sobriété 

Cependant, dans toutes les sphères politiques, il y a un concept assez répandu, même dans la bouche des militant·es écologistes : Anthropocène. Défini par le météorologue et chimiste Paul Crutzen, ce concept a connu une grande popularité. Il met en avant une humanité qui dégrade l’environnement depuis l’industrialisation. Selon celui-ci, tous les humains ont contribué au même niveau à ce dérèglement, et on vit dans une ère anthropocène où l’effet des humains sur l’environnement se fait le plus sentir avec tout le mal fait aux écosystèmes. Ou autrement dit, selon les mots d’Andreas Malm, « Il désigne l’ère où les puissances humaines ont débordé les forces naturelles et fait sortir le système terrestre de ses ornières, le plaçant sur un terrain glissant où il s’ébranle de façon imprévisible et toujours plus violente. Le changement climatique est loin d’être le seul symptôme de cette nouvelle ère, mais il a une capacité toute particulière de destruction généralisée »3Andreas Malm, L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, La Fabrique, 2017..

La Conférence des parties (COP) organisée par les États membres chaque année depuis 1995 est un bon exemple de ce que donne l’utilisation de la notion d’anthropocène. Il s’agit des pays qui se sont engagés à respecter la Convention des Nations unies sur les changements climatiques, pour respecter les règles définies en matière de production bas-carbone et de consommation durable4« Décryptage des COP : les conférences internationales de lutte contre le dérèglement climatique« , Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Cependant, on voit très clairement que dans chaque conférence, la limitation du réchauffement climatique est reportée aux calendes grecques et mettent toutes les populations pauvres en danger dans le monde. La dernière COP27 en est l’illustration. Les pays membres n’ont pas pu se concilier sur l’arrêt total de l’usage des énergies fossiles, donc piétinent l’espoir de garder la limite de réchauffement à 1,5 °C, dont il a été prouvé que c’est indispensable pour la (sur)vie des écosystèmes5idem.. Donc, l’Anthropocène, comme notion, continue à servir au business-as-usual à cause de sa déresponsabilisation des grandes industries fossiles (comme Total, Arcelor-Mittal, Lafarge Holcim, Airbus Group et Engie SA en France, selon L’Oxfam6Oxfam, « Les grandes entreprises françaises, un modèle dangereux pour la planète« , 23/03/2021.). 

Ce ne sont pas seulement les conférences internationales où cette notion est mobilisée. On le voit aussi régulièrement dans les bouches des politiciens internationaux, qui priorisent les actions individuelles. Comme si l’accès à une énergie pour se réchauffer et s’éclairer était égalitaire en France et dans le monde. Suite à l’invasion de l’Ukraine par les forces de l’État de Russie, une nouvelle notion a été développée et est très prisée par nos politiciens : sobriété. Ce concept, qui a notamment été popularisé avec le livre Sobriété heureuse de Pierre Rabhi (qui d’ailleurs a beaucoup d’histoires controversées et des liens politiques avec la droite, voire l’extrême droite7Jean-Baptiste Malet, « Le Système de Pierre Rabhi« , Le Monde diplomatique, Août 2018), est surtout mobilisé pour justifier les démarches politiques qui se définissent par la responsabilisation des individus face au réchauffement climatique. Comme si les personnes qui, partout dans le monde, essaient de survivre dans des conditions pénibles, n’étaient pas « sobres » depuis des décennies. 

Que faire face à ce danger mortel qu’est le réchauffement climatique qui impacte et va encore impacter d’abord notre classe, la classe ouvrière8Notre utilisation du concept de classe ouvrière correspond à toutes les personnes qui sont dépourvues des moyens de production et vendent leur travail pour gagner de l’argent. Donc il s’agit de tou·tes les travailleur·euses, y compris les ouvrier·es d’usine, les enseignant·es, etc. Pour sa définition marxiste, voir Marx, le Capital. ? Comment s’organiser collectivement face à l’acceptation majoritaire des notions qui déresponsabilisent les grandes industries, vraies responsables de cette destruction environnementale à cause de leur soif de profit ? Y-a-t-il une notion anticapitaliste qu’on peut mobiliser, en tant que militant·es, contre la notion d’Anthropocène, hégémonique parmi les figures de la classe bourgeoise ? 

Capitalocène : une notion alternative contre l’Anthropocène 

Selon Andreas Malm, il y a plusieurs problèmes avec l’idée d’Anthropocène. Le plus important est qu’elle met en avant toute un anthropos, une espèce biologique, qui aurait pollué jusqu’à maintenant et polluerait encore la planète alors qu’il y a une inégalité hallucinante entre les pays dit développés et d’autres pays. D’après Andreas Malm9Andreas Malm, L’Anthropocène contre l’histoire, op. cit., les pays capitalistes avancés sont responsables de 77,1 % des émissions de carbone. Pourtant, ces données comparatives ne prennent pas en compte la dimension de classe et des rapports sociaux qui en découlent. « Ce sont les propriétaires des moyens de production et de transport d’un petit royaume insulaire qui ont mis le monde sur cette voie qu’il n’a pas quitté depuis : ils ne sont pas arrivés comme les émissaires d’un legs de l’évolution que le monde attendait depuis toujours »10Ibid., p. 45.. Ce royaume se révèle être la Grande-Bretagne, où les grandes industries et la classe bourgeoise ont pris naissance et ont répandu leur pouvoir, notamment par la voie du colonialisme et la déportation de la main-d’œuvre des pays colonisés, notamment des pays africains. Depuis ce royaume s’est répandue l’utilisation des combustibles fossiles à grande échelle, qui amène ensuite au capital fossile, « défini au plus simple comme la production de valeur d’échange et la maximisation des profits au moyen de l’énergie fossile, en tant que substrat matériel nécessaire »11Ibid., p. 50..

Il propose ensuite une notion nommée la Capitalocène. Selon celle-ci, ce n’est pas le genre humain qui dégrade l’environnement mais c’est bel et bien une classe, la classe bourgeoise, pourvue d’un capital fossile comme valeur d’échange et donc de moyens de production qui maximisent ses profits économiques. 

Comment lutter contre le capital fossile ? 

Bien que la réponse ne soit pas évidente à cette question, on peut en discuter dans nos milieux, nos réseaux et nos espaces militants. Est-ce qu’on mobilise les bonnes méthodes pour lutter contre ce capital fossile ? Qui met en priorité les intérêts financiers lors des conférences internationales ? Est-ce que nos actions pacifistes sont suffisantes ? Ou est-ce qu’on doit développer d’autres interventions plus directes pour arrêter la production de l’énergie fossile12Andreas Malm, Comment saboter un pipeline, La Fabrique, 2020. ? C’est à réfléchir, peut-être dans le cadre d’autres articles, plus théoriques, mais aussi à partir de retours d’expériences de camarades qui luttent sur ces questions. 

Ata, Nîmes

Notes

Notes
1 Fiona Harvey, « What are the key outcomes of Cop27 climate summit?« , The Guardian, 20/11/2022
2 Ian Rappel, « Feeling the heat: wildfires and capitalism« , International Socialism Journal, Autumn 2022
3 Andreas Malm, L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, La Fabrique, 2017.
4 « Décryptage des COP : les conférences internationales de lutte contre le dérèglement climatique« , Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires
5 idem.
6 Oxfam, « Les grandes entreprises françaises, un modèle dangereux pour la planète« , 23/03/2021.
7 Jean-Baptiste Malet, « Le Système de Pierre Rabhi« , Le Monde diplomatique, Août 2018
8 Notre utilisation du concept de classe ouvrière correspond à toutes les personnes qui sont dépourvues des moyens de production et vendent leur travail pour gagner de l’argent. Donc il s’agit de tou·tes les travailleur·euses, y compris les ouvrier·es d’usine, les enseignant·es, etc. Pour sa définition marxiste, voir Marx, le Capital.
9 Andreas Malm, L’Anthropocène contre l’histoire, op. cit.
10 Ibid., p. 45.
11 Ibid., p. 50.
12 Andreas Malm, Comment saboter un pipeline, La Fabrique, 2020.