Contre Macron et Le Pen, construire nos autonomies / nos luttes

Éditorial octobre 2019

La bourgeoisie sait faire diversion. Elle sait nous divertir, nous abrutir, nous diviser. Macron en est un parfait exemple. Exsangue sur le plan social, sous pression d’un mouvement social inédit dans sa durée, sa radicalité, son enracinement territorial, le pouvoir n’a d’autre choix que de tenter de dériver la colère des classes populaires vers des bouc-émissaires faciles : immigré·es, déviant·es, « fainéant·es »…

Et pourtant… Si Macron essaie par tous les moyens de remettre au centre du débat public, ce n’est pas (seulement) pour ne pas parler des fins de mois.

Les oppressions ne sont pas (que) des diversions

C’est qu’un débat sur l’immigration a le triple avantage d’alimenter l’autojustification de leur surenchère raciste, policière et militaire, de rendre légitime et nécessaire le tri entre êtres humains, et enfin d’affaiblir l’unité, donc les capacités de résistance du prolétariat. C’est pourquoi le capitalisme ne peut fonctionner sans racisme (même si le racisme, peut, hélas, lui survivre).

Il faut bien saisir la nécessité idéologique, politique mais aussi économique pour le système de nous faire accepter le tri et la hiérarchisation des êtres humains. Le capitalisme est le seul système dans lequel il peut y avoir «trop» de travailleurs – alors même que les besoins humains de base ne sont pas satisfaits, et que certaines se tuent au travail. Les besoins humains ne sont pas son objectif, contrairement à la valorisation du Capital. Il crée donc ainsi une masse qui « ne compte, littéralement, pas », car exclue ou marginalisée de la participation à son cycle infernal de production. Les «surnuméraires» ainsi que les appelle Alain Badiou. Il faut donc faire accepter que l’on peut, que l’on doit, trier les être humains pour en exclure une part considérable des canons du mode de vie capitaliste, les condamner à la survie ou à la mort. On commence par les «étrangèrEs» puis l’on peut faire accepter que l’on coupe les minima sociaux aux « nationaux ».

On voit ici que ce qui s’expérimente envers les groupes sociaux marginalisés en termes de politique policière et judiciaire, mais aussi en termes d’accès aux possibilités de survie et/ou en termes de forme de sur-exploitation, a une vocation d’extension infinie vers le centre, comme lorsque Macron et Castaner répriment les manifestations écologistes.

Un débat sur l’immigration accrédite l’idée qu’il y aurait un « problème de l’immigration », que ce sont les travailleurs « étrangers » qu’il faut attaquer et pas le racisme et ses bases matérielles. Ce débat donne raison aux partis fascistes (« ils posent les bonnes questions »), les renforce et alimente la surenchère raciste : pour lutter contre le FN, il faudrait appliquer son programme – comme le pratique la Macronnie.

Refuser le tri entre être humains

Surtout, de par son existence, un débat sur l’immigration instaure un tri entre êtres humains. C’est ce tri qu’il nous faut refuser. Il n’y a pas et ne saurait y avoir une façon « de gauche » de trier les humains. Pas (seulement) par humanisme abstrait, mais (surtout) car ce sont nos sœurs et frères de classe qui sont l’objet de ce tri et qui en meurent tous les jours.

L’argument, faussement de gauche, mais vraiment raciste, que les travailleurs immigrés tirent les salaires vers le bas est aussi éloigné de la réalité qu’un DRH parlant du travail des salariées. Déjà les travailleuses exilées n’occupent pas les mêmes segments du marché du travail. Leur situation juridique les pousse souvent vers des activités rendues illégales (travail du sexe ou de la drogue), ou informelles (maïs chaud, souvenirs). Même dans le cas d’une intégration plus ou moins complète à l’économie formelle (travail non déclaré pour les grandes entreprises via la sous-traitance ou les petits patrons de resto, services aux personnes, travail sous alias), iels occupent les places les plus précarisées du salariat. L’exemple des récentes grèves dans les secteurs du nettoyage est à ce titre très parlant : l’organisation de ces secteurs est un enjeu important car leur entrée en lutte peut être synonyme d’avancées pour l’ensemble de la classe. Les ouvriers spécialisés, donc majoritairement immigrés, de Talbot Poissy, ont gagné en 1982 des revendications pour l’ensemble des ouvriers de l’usine : augmentations et libertés syndicales. Cela n’a pour autant pas empêché que, 2 ans plus tard, ils se fassent déloger de l’usine qu’ils occupaient sous les Marseillaises et les encouragement à la police de leur « camarades », collègues «français».

Crédit photo : LaMeute/Tuff

En instaurant cette division artificielle – dont les effets sont cependant très concrets, l’Etat capitaliste cherche à créer une unité d’apparence, entre exploiteurs et exploitéEs blancHEs. Il tente ainsi d’enrôler les travailleur.ses dans la défense des  prétendus « intérêts nationaux », qui s’étend au prétendu « mode de vie européen » qui permet de désigner des « adversaires de l’Europe venant aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur [des] frontières ». Quand on laisse se distiller ce poison dans notre classe, notamment par manque de clarté et de prise en charge concrète des questions qui se posent autour de la race par le mouvement ouvrier « traditionnel », c’est la capacité de résistance de toute la classe qui s’en trouve affaiblie, et donc l’emprise des capitalistes sur nos vies qui est renforcée.

Détruire toutes les hiérarchies !

A la polarisation sociale répond le jeu politicien. Macron, dans les pas de son mentor, Hollande, tente de se vernir de progressisme avec un « Grenelle » sur les violences faites aux femmes et une loi de bioéthique.

Le Grenelle, ce sont trois mois de rencontres pour acter des faits déjà connus, et pour tenter d’étouffer une flamme féministe qui traverse le pays et le monde) n’est pas prête de s’éteindre. « Honorons les mortes, luttons pour les vivantes ! » dit le slogan sur les murs de centaines de villes et villages. Des luttes des femmes de chambre – pour la plupart noires et exilées – à la constitution de comité de grève pour le 8 mars 2020, la lutte collective et la solidarité en actes promet plus que le réformisme.

La loi bioéthique, c’est notamment la PMA pour les femmes célibataires et lesbiennes en couple, mais uniquement cisgenres : en sont exclues de cet outil pour la parentalité les personnes trans. Entre autres reculs rappelant l’ordre moral, cette loi n’interdit pas les mutilations des personnes intersexes par les médecins. Si cette loi bénéficiera à des milliers de femmes, c’est aussi un rappel clair de l’ordre soit-disant naturel des choses, rassurant les bases patriarcales et le pouvoir médical contre l’auto-détermination de tous les êtres humains.

Macron tente de renforcer un pâle antagonisme avec Le Pen !

Tout en récupérant des idées d’extrême-droite pour se rassurer, l’Etat autoritaire de Macron n’est, malgré tout, pas le fascisme. Dire l’inverse nous mène au fatalisme et nous ôte toute capacité à agir contre la menace réelle. Évidemment, nous pouvons rire jaune en voyant les membres LREM se montrer outrés du discours de Zemmour, quand dans le même temps le gouvernement rend le terrain propice au développement de ses idées. Il est de notre responsabilité de redonner l’envie de se battre en s’organisant à une large échelle. Cela passe à la fois par la démonstration que la lutte paie, mais aussi qu’elle peut être toujours plus belle et créative, communiste et émancipatrice, rigoureuse et excitante.

Appuyons les luttes qui s’expriment déjà, et qui peuvent se démultiplier en se coordonnant, tout en respectant les spécificités et les atouts de chacune d’entre elles. Se sentir solidaires et sensibles face à la répression est un début, comme celle que vivent des milliers de personnes en fRance depuis presqu’un an avec les Gilets Jaune. C’est cette solidarité instinctive face à l’appareil policier qui a permis que se retrouvent Gilets Jaunes et habitantEs des quartiers populaires. C’est ce sentiment qui nourrit et radicalise les mobilisations à Hong Kong, en Egypte, au Soudan, en Irak, en Syrie…

Quelque soit son chromatisme – libéralisme, fascisme ou « vert », nous ne voulons pas du capitalisme. L’espoir ne suffit pas, et au-delà du combat nécessaire pour la survie et contre la répression, nous devons renforcer notre conviction que l’émancipation collective sera notre plus belle fortune, accentuer les luttes existantes et permettre un accroissement de la confiance en notre capacité à renverser la société.

TPP et Solen