La solution du « moins pire » est-elle vraiment une solution ?
Biden, nouveau président des États-Unis, s’annonce au pouvoir comme celui qui va « reconstruire son pays, reconstruire la classe moyenne » et rassembler la population états-unienne. Les quatre années de présidence de Trump, n’ont fait qu’exacerber la polarisation de ce pays.
Trump a donné confiance à des groupes fascistes, comme les « Proud boys », misogynes et racistes qui se sont renforcés. Mais les groupes anti-racistes, féministes ont continué de riposter : mouvement contre le projet de mur entre les Etats-Unis et le Mexique, ou Black Lives Matter, depuis 2013, qui ne cesse de se développer depuis lors, en 2015, mais aussi récemment suite au meurtre de Georges Floyd. Encore plus récemment les émeutes du 28 octobre à Philadelphie, suite à l’assassinat de Walter Wallace Jr, un homme afro-américain, par 2 policiers.
Les médias dominants utilisent ce terme de polarisation pour analyser la situation. Mais cette polarisation n’aurait lieu qu’entre deux président·es qui seraient foncièrement différents – entre Trump et Biden aux Etats-Unis ou entre Macron et Le Pen en France, en la dé-contextualisant largement de la situation sociale et économique, structurée par les stratifications de classe, les discriminations et les profondes inégalités, qui y sont liées.
Polarisation
Cette analyse de la polarisation n’est pas que superficielle, elle vise à ne pas remettre en cause la logique même du système et conduit à penser qu’on pourrait éviter le pire… En lui faisant concession sur concession.
Pourtant, la polarisation est bien à la fois la cause et la conséquence de cette société dans laquelle nous vivons.
La polarisation est d’abord sociale. C’est sa base : les inégalités sociales et économiques se creusent. La précarité s’accroît massivement d’un côté et les grands groupes capitalistes s’enrichissent de l’autre. Dans un contexte de crise structurelle, pour maintenir le taux de profit, la classe dirigeante renforce le taux d’exploitation de notre classe, et les rapports de domination pour surexploiter les plus précaires d’entre nous.
Préserver l’ordre tel qu’il est établi impose d’intensifier les valeurs républicaines en hiérarchisant et objectivant les individus, selon les rapports systémiques d’oppressions et selon leur force et productivité au travail.
Cette polarisation sociale se traduit politiquement par la remise en question sans cesse des droits « acquis » par les luttes à travers l’histoire.
Ajoutons que par cette crise, la compétition mondiale entre grands groupes capitalistes s’appuie de plus en plus sur les rivalités entre États ou alliances d’États.
D’où les glissements vers des politiques racistes, protectionnistes dont les causes structurelles sont masquées par des justifications « accidentelles » : crise sanitaire, attentats, politique nationaliste de « l’autre » – de la Chine, de la Turquie ou encore de l’Iran.
Pour contester cette remise en question des droits et des acquis, il y a des révoltes, qui conduisent à une polarisation politique, de la classe dirigeante vers la droite, et des mouvements de révolte vers la gauche. Il ne s’agit pas de nier cette polarisation ou de faire croire qu’on pourrait la résorber. C’est la logique du capitalisme qui mène au pire. Il nous faut plutôt continuer de construire ce qui permet de renverser cette logique. C’est quand se combinent la crise de l’ordre dominant tel qu’il s’était stabilisé et le développement de révoltes de masse que peut s’ouvrir une possibilité révolutionnaire.
L’évolution de Macron depuis le début de son quinquennat est assez exemplaire, se présentant comme « centriste libéral », novateur et moderne, il est devenu le chantre de l’autorité de l’Etat, du protectionnisme et du nationalisme républicain.
Quand des activistes martiniquais déboulonnent des statues à l’effigie d’anciens colons, notamment Victor Schoelcher, Macron répond par l’offensive, sous prétexte que « c’est cela entrer en République Française, c’est aimer nos paysages, notre culture, en bloc, toujours. »
Désormais celleux qui le contredisent deviennent des « ennemis de la République ». Après des milliers de personnes dans la rue, s’alliant contre les violences policières cet été, les 3 Actes des personnes sans-papiers, les luttes antiracistes et féministes qui se renforcent, le gouvernement propose des lois, comme celle jusqu’alors nommée « contre le séparatisme » ou « projet de loi confortant les principes républicains ». Cette loi qui vise explicitement les Musulman·es.
Depuis les attentats de 2015, la logique islamophobe de la classe dirigeante n’a fait que s’amplifier, les contrôles de police à domicile de personnes musulmanes – ou supposées musulmanes – étaient déjà bien en place. Mais depuis le meurtre de Samuel Paty, on peut maintenant observer des contrôles sur des enfants accusés « d’apologie du terrorisme ». Ou bien des attaques de mosquées invisibilisées médiatiquement.
Darmanin a demandé la dissolution du Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF) qui a dû déplacer son siège social à l’étranger, puisque décrit par le gouvernement comme « ennemi de la République ». Cette accusation reflète très nettement le traitement médiatique, politique et social, des personnes musulmanes en France.
Pendant ce deuxième confinement, le gouvernement a amplifié ses mesures pour « défendre l’économie française ». Ces mesures qui ne défendent que les riches comme l’illustrent les chiffres du chômage et de la pauvreté. Il met toutes ses forces sur la mise en place de nouvelles lois sécuritaires. La loi sécurité globale par exemple : dénoncée par l’Organisation des Nations unies, par la Défenseure des Droits, Amnesty International, comme une proposition de loi provoquant une atteinte grave aux libertés fondamentales. C’est une loi qui vise à protéger les forces de l’ordre, à renforcer leur impunité judiciaire, réclamée par des syndicats de police d’extrême droite.
Pas de voie médiane : l’antagonisme !
Ce n’est pas pire ailleurs, c’est la même direction partout. En réalité, les « puissants » de ce monde façonnent en même temps leurs ennemis de l’intérieur et extérieur, non seulement pour faire peur à la population, mais aussi pour trouver un coupable à tous les maux de nos sociétés.
Alors, qu’il s’agisse des Hispaniques et des Afro-descendant·es aux USA ou des Ouïghour·es en Chine, des communautés musulmanes en France, c’est le même but d’exploitation des corps, la même tentative pour souder derrière l’État national et militarisé, la même trajectoire mortifère et capitaliste.
Depuis le début de la pandémie, les confinements à répétition et couvre-feu, il est certes plus difficile de se retrouver entre militant·es, d’élaborer des stratégies de luttes, de réfléchir et d’analyser collectivement la situation politique dans laquelle nous nous retrouvons, et pourtant : luttons encore, ne laissons pas notre gouvernement nous tétaniser entre la peur du virus et l’État policier.
Inspirons-nous de ce qui se passe autour de nous, en tant qu’internationalistes, ce sont ces mouvements qui nous aident à réfléchir collectivement et donnent de l’espoir, pensons par exemple aux féministes au Chili et au Mexique, qui se sont rendu·es directement sur les lieux de pouvoir pour réclamer leurs droits, aux révoltes au Mali, contre l’impérialisme français et son armée, et toutes les personnes en lutte à travers ce monde.
Aucun droit n’a été concédé par notre silence face à nos dirigeants, ils ont été obtenus après de multiples révoltes, des grèves de masse qui mettaient à mal le taux de production, les (r)évolutions résultent, toujours, de périodes de luttes intenses. C’est par l’ampleur et la confiance que ces mouvements – anti-racistes, décoloniaux, féministes, écologistes – nous donnent, que nous réussirons à préserver et augmenter notre force collective et augmenter le rapport de force.
Si la polarisation sociale et, de fait, politique, est structurelle, alors il n’y a pas de solution intermédiaire, elle nécessite un changement profond, qui ne sera pas linéaire et sans failles.
Mais il ne fait aucun doute que notre émancipation ne dépendra jamais d’un·e président·e, mais bien de l’accroissement de l’hybridation entre nos luttes.
« Aucun président n’est la réponse, vous êtes la réponse. Les mouvements de masse sont la réponse. Des millions de personnes sont la réponse. »
Alexandria Ocasio Cortez
Aude