On ne s’arrêtera pas à Benalla !

Éditorial août 2018

S’il y a bien une constante depuis une quarantaine d’années de la part des gouvernements successifs, c’est de brandir l’immigration comme un problème, de faire de la figure de l’immigré une menace pour une fictive « identité nationale », et de souffler sur les braises du repli identitaire.

État, Capital et racisme : des dynamiques liées

L’adoption définitive au cœur de l’été, le mercredi 1er août par les députés de la loi raciste « asile-immigration » ne vient que confirmer cette tendance. Les associations de soutien aux migrants et de protection des Droits de l’Homme sont quasi unanimes, c’est un texte régressif. Cette loi prévoit notamment l’allongement de la durée de rétention administrative dans les centres de rétention, le maintien du « délit de solidarité », le maintien de l’enfermement des mineurs, la systématisation des mesures de bannissement, l’absence de recours suspensif pour les personnes originaires de pays considérés comme «sûrs», la criminalisation du travail sous alias. La loi a été justifiée par le Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb comme devant répondre urgemment à une « crise migratoire » qui en réalité n’existe pas. Pour justifier la légitimité de mesures toujours plus autoritaires et sécuritaires, il faut bien définir des menaces extérieures.

Dans un capitalisme mondialisé en crise, malgré les sommes faramineuses de la valorisation du capital fictif qui n’est que le symptôme d’une fuite en avant du capital, où la concurrence de tous contre tous est généralisée, les logiques de repli identitaire observées notamment en Europe, n’en sont qu’une des conséquences. L’extrême-droite est d’ailleurs au pouvoir ou participe à des gouvernements de coalition dans plusieurs pays européens : Italie, Autriche, Pologne, Hongrie, Slovénie, Croatie. La concurrence à laquelle sont soumis les individus dans leur participation de la valorisation et reproduction du capital se durcit considérablement.

La trajectoire du Capital ne déviera pas d’elle-même des ses rails. À moins que…

L’État capitaliste voit ses capacités budgétaires se réduire, et se replie sur des fonctions qu’il avait au début du capitalisme : maintenir la sécurité des producteurs privés de marchandises, garantir les échanges et la reproduction du capital, maintenir l’ordre sécuritaire et les opérations impérialistes.

Macron en tant que Président de la République, sait pourquoi il a été élu. En bon gestionnaire du capital, il n’est plus nécessaire de faire illusion, peu importe que les sondages ne soient pas bons. On attend de lui qu’il soit un bon capitaine d’industrie capable d’affronter des tempêtes inhérentes à l’exercice du pouvoir. D’où sa réaction typiquement autoritaire et viriliste lors de l’affaire « Benalla ». Il est celui qui a su affronter les cheminots et aller au bout de sa réforme, ce qu’aucun gouvernement n’avait réussi jusque là. Être à la tête de l’appareil d’État, lui permet de réaliser les réformes tant attendues par le patronat, les classes dominantes et dirigeantes, pour adapter toujours un peu plus, et intégrer la France dans la concurrence du capitalisme mondialisé. Peu importe de savoir que ces vielles recettes ne fonctionnent plus.

Que vive l’autonomie de classe !

Au moment de l’Affaire Benalla, la gauche souverainiste et réformiste a encore brillé par la pauvreté de ses idées. La F.I a hurlé avec la droite et l’extrême-droite pour dénoncer une atteinte à la crédibilité de l’état de droit, de la démocratie libérale, et de l’institution policière. État de droit, justice, légalité, on retrouve là différentes formes de cette fétichisation du droit et du système étatique, comme forme de gouvernance en capitalisme. A de rares exceptions, quasiment personne réinterroge ces catégories juridiques et politiques pourtant dénoncées par Marx en son temps. A la domination abstraite du capital il a fallu instaurer une forme de gouvernance concrète pour assurer la pérennité du système capitaliste, et son développement, mais aussi pour régir les différents rapports sociaux de classe. C’est par cette forme juridico-étatique que la bourgeoisie a su asseoir sa domination, mais surtout celle de la logique même du capitalisme.

Finalement, l’a aire « Benalla » au-delà du scandale soulevé par les avantages et la protection dont il a bénéficié, revient à soulever un certains nombre de questions qui en soulèvent à leur tour de nouvelles : la question de la nature de l’État, de la violence, de la légalité, de l’état d’exception, de la violence légale et extra-légale, des interventions militaires sur des territoires autres que la France…

Lorsque l’État d’exception devient la règle, en période de crise, que la domination étatique dans son versant sécuritaire se durcit, des agissements comme ceux de Benalla deviennent la norme, peu importe par qui ils aient été exercés : on l’a vu il y a 10 ans lors de « l’Affaire Tarnac » et l’utilisation de lois anti-terroristes, ou plus récemment avec la répression sans précédent des mouvements sociaux (le mouvement contre la loi travail), la militarisation de la répression sur la Zad de Notre-Dame-Des-Landes. En une quinzaine d’années, toute militante, militant, travailleuse ou travailleur a été confronté.e de près ou de loin à la criminalisation grandissante de toutes formes de contestations (Air France, Goodyear, les lycéens, les postiers, les cheminots…).

Les populations les plus précarisées, exclues du système vivent quotidiennement ce type de violence. Lorsque des policiers en exercice confisquent l’eau, la nourriture, des chaussures des tentes à des migrants, ces violences portant atteinte à l’intégrité des individus, cela s’exerce bien dans les cadres de cette légalité républicaine.

Les émeutes qui ont éclaté dans plusieurs quartiers populaires de Nantes à la suite de la mort violente d’Aboubakar Fofana, jeune homme noir tué par la po- lice le 3 juillet dernier, suivi d’une marche blanche nous rappellent que dans les quartiers populaires des périphéries urbaines, cela fait une quarantaine d’années que s’exerce déjà cette violence de l’État à travers une gestion policière et coloniale des populations majoritairement racisées de ces quartiers.

Le 21 juillet dernier, une marche qui a rassemblé plus de deux mille personnes était organisée à Beaumont- sur-Oise par le « Comité Adama » pour réclamer vérité et justice deux ans après la mort d’Adama Traoré, jeune homme noir tué par des gendarmes lors de son interpellation.

Pour rappel, la France bat régulièrement des records de personnes incarcérées en prison et on y retrouve les parties les plus pauvres et précarisées de la population. L’exacerbation de la crise, la nécessité de réprimer tout ce qui résiste ou ne s’inscrit pas dans l’ordre établi fait ressortir le rôle central de la prison dans le système capitaliste.

Pierre Redolfi