Dix ans de crise et de politiques d’austérité ont signifié des licenciements, des embauches précaires (CDD, temps partiel, stage, voucher, etc…), des coupes de budgets dans les services sociaux, les crèches, aide à la maison pour personnes âgées, maisons de retraite, centres de loisir, cantines et crèches dans les entreprises, tout ce qu’était l’Etat-providence. Cela a eu comme conséquence que la garde des enfants, les soins aux personnes âgées ou handicapées etc… ont été mis sur le dos des familles ouvrières, et surtout des femmes, lesquelles sont en même temps la majorité des travailleurs avec un statut précaire.
Dans ce contexte, les cas de harcèlement sexuel sur le lieu de travail, et de violence sur les femmes, se sont multipliés partout. Le mouvement #metoo est révélateur sur ce point. Mais il a aussi montré que les réactions des femmes face à ces attaques commencent à passer de la résistance personnelle à la lutte collective. Et c’est ainsi qu’apparait aux yeux de ces femmes la façon dont la classe dirigeante exerce non seulement son pouvoir économique, mais aussi idéologique afin de maintenir les travailleurs/euses isolé-e-s et divisé-e-s.
Ce mouvement a tiré sa force de la confiance qu’ont gagnée les travailleuses grâce aux luttes qu’elles ont menées sur les lieux de travail contre les politiques d’austérité. Les grévistes d’Estée Lauder étaient en première ligne lors de la grève générale en Mai 2017 avec leur banderole « Jamais le Dimanche – on ne travaille pas », les travailleuses en CDD dans les hôpitaux, les écoles, les municipalités, ont été à l’avant-garde de l’organisation de la grève du 29 Novembre 2017 revendiquant la titularisation de tous et de toutes. En Juin 2017 ce sont les travailleurs des municipalités qui se sont mobilisé-e-s contre le non renouvellement des contrats de 15.000 travailleurs en CDD, revendiquant leur titularisation étant donné qu’ils couvrent des besoins permanents. Leur licenciement causerait l’effondrement de secteurs entiers des municipalités, tel que le service de ramassage des déchets et le nettoyage des rues, et ouvrirait la porte à leur privatisation. Pendant une semaine presque tous les garages municipaux ont été occupés par les travailleurs, qui se sont aussi mobilisés massivement lors des deux grèves appelées par la Fédération des travailleurs municipaux.
C’est dans ces luttes que sont brisées les hésitations, les peurs et les fausses idées selon lesquelles chacun est seul face aux patrons. En Mai 2018 le OUI au référendum en Irlande, en faveur du droit à l’avortement a été majoritaire, il était même de 87% dans les quartiers ouvriers. Au Brésil les femmes sont descendues massivement dans la rue contre le sexiste Bolsonaro, tout comme aux Etats-Unis contre Trump. Le 8 Mars 2018 en Turquie 40.000 manifestant-e-s sont descendu-e-s dans la rue malgré l’Etat d’urgence. En Espagne la mobilisation du 8 Mars s’est transformée en grève, les initiatives des femmes ayant tiré les syndicats. Cinq à six millions sont descendus dans la rue.
La base est la même partout. D’un côté, la crise économique et ses conséquences sur la vie de la classe ouvrière et surtout des femmes. Et en même temps, les luttes ouvrières contre ces attaques amènent des expériences qui augmentent la coordination et la confiance des femmes qui réagissent contre l’oppression. Et elles augmentent la radicalisation politique de groupes d’avant-garde qui font le lien des luttes avec la résistance à un système qui met les profits avant les vies humaines.
Dans un cadre où les résistances contre le sexisme s’élargissent, la discussion s’ouvre à nouveau sur : les causes de l’oppression, comment la combattre, et les solutions pour la libération des femmes. C’est dans ce contexte qu’a été publié fin 2018 le livre de Maria Styllou « La lutte pour la libération des femmes », qui cherche à répondre à ces questions.
Dans le mouvement et dans la gauche, il existe une grande discussion sur les causes de l’oppression des femmes. C’est une vieille discussion, qui revient aujourd’hui à l’occasion des luttes qui s’ouvrent, mais aussi par le biais de l’intérêt pour les idées marxistes. La perception de la « nature humaine » relie d’une certaine manière tous ceux qui tentent d’expliquer l’oppression non comme le résultat de la société de classe, mais comme une différence entre les deux sexes. La façon dont la famille aide à la reproduction de la force de travail est la racine matérielle de l’oppression des femmes de la classe ouvrière aujourd’hui. Quand on parle de l’idéologie de l’oppression, il faut se rappeler ce que disait Marx, que « les idées dominantes sont les idées de la classe dominante ». L’idéologie de l’oppression ne vient pas des hommes, comme soutiennent le « bon sens » et diverses organisations féministes, mais est imposée d’en haut. La reproduction de la classe ouvrière, qui est une nécessité pour le système, se fait de manière privée au sein de la famille, et cela signifie que les capitalistes trouvent des travailleurs prêts sans avoir besoin de dépenser.
Bien sûr il y a des aspects de la reproduction qui se font par les institutions publiques, comme les écoles et les hôpitaux. En fait, tous les travaux de la maison pourraient être pris en charge par des institutions publiques au lieu de s’assurer du travail non payé des femmes. La solution n’est pas de donner un salaire pour les travaux ménagers, mais que la classe ouvrière prenne le contrôle pour libérer les femmes de ces fardeaux.
Notre réponse est donc une réponse de classe face à toute forme d’oppression. Notre force est dans les luttes organisées, dans les grèves, donc avec les syndicats. De la même façon que nous devons ouvrir la discussion sur le racisme sur les lieux de travail, et imposer aux syndicats que les revendications des travailleurs immigrés soient prises en charge par les syndicats pour lutter ensemble, ainsi nous devons ouvrir la discussion sur le sexisme, le harcèlement sexuel, l’inégalité des salaires, le besoin de crèches et de cantines sur les lieux de travail, et ces revendications doivent faire partie des revendications des syndicats.
Nous avons donc fait le choix d’organiser des présentations du livre, en commençant par des lieux de travail, des hôpitaux, le service de nettoyage de la municipalité d’Athènes, les employés d’une banque, de la Compagnie des Eaux, etc.. Et cela a été pour tous une révélation. Des femmes qui ont pris sur leur temps de travail pour venir écouter, poser des questions, discuter. La présentation principale du livre, avec un panel avec des syndicalistes, des féministes, des marxistes, a été une grande réussite. Et c’est à cette occasion qu’a été posée l’idée d’une grève le 8 Mars.
C’est ainsi que les présentations suivantes ont été accompagnées de propositions de vote aux syndicats pour que le 8 Mars soit jour de grève, et un comité d’organisation qui se formait à chaque fois pour organiser la mobilisation sur chaque lieu de travail. Les évènements continuent, sur des lieux de travail, mais aussi dans les quartiers. Un comité de coordination s’est créé, qui regroupe des femmes syndicalistes, des étudiantes, des femmes appartenant à la gauche anticapitaliste… Nous avons pour l’instant 20 décisions de syndicats, dont une de la fédération des travailleurs des hôpitaux, et nous venons d’avoir la réponse positive de la Confédération des Travailleurs de la Fonction Publique. Egalement 3 décisions de syndicats étudiants et 3 d’associations. Le 8 Mars est au centre des discussions partout. C’est une initiative qui répond aux attentes des femmes qui veulent se mobiliser contre le harcèlement sexuel et les inégalités, qui est ouverte à toutes les femmes sans condition idéologique, politique, religieuse. C’est une initiative qui se veut unitaire, dans le sens que tout ce qui peut aider à l’unité de la classe ouvrière, qui est possible grâce à la confiance en elles des femmes, acquise dans les luttes qu’elles ont menées partout contre le sexisme, va continuer à renforcer encore cette confiance ainsi que la capacité à s’organiser par en bas sur les lieux de travail. Et la discussion qui en ressort fait avancer les choses dans le sens d’une analyse marxiste, de classe, de l’oppression et comment on lutte. L’aspect unitaire de cette initiative a permis à des femmes de toute la gauche, organisées ou non, de s’y retrouver. C’est n’est qu’un début, notre perspective est celle d’une société sans pauvreté ni sexisme, sans racisme ni fascistes.
Tania Vrizaki, SEK, Athènes