Le cap a été franchi à plusieurs égards. Déjà en termes de nombre de personnes mobilisées. Conséquence notamment du nombre des appels à la grève féministe par les syndicats et par NousToutes.org pour la première fois. Appels d’autant plus évidents que l’an dernier, les mêmes syndicats avaient appelé à la grève le 8 mars, dans la continuité du 7 contre la réforme des retraites, quand bien même ils restaient timides sur la connotation féministe. Le travail de la Coordination féministe sur la grève féministe depuis 2020, regroupant un maillage de collectifs locaux, d’assemblées féministes, est en train de payer à un niveau que nous n’avions pas encore atteint.
Les Cahiers d’A2C #12 – MARS 2024
Il y a aussi un cap en termes de grève sur des bases féministes, ce qui l’an dernier n’était pas clairement le cas étant donné le mouvement contre la réforme des retraites prépondérant. Dans l’ensemble des 168 manifestations du vendredi 8 mars, plusieurs étaient en journée, rendant les chiffres de manifestant·es d’autant plus intéressants. Sans avoir de chiffres pour les grévistes effectifs, le fait que leurs horaires ne soient pas nécessairement en fin de journée permet d’affirmer la contradiction entre le travail et la révolte par la grève. Assumer de gréver pour se retrouver, chanter, s’organiser, construire un monde d’émancipation en posant directement l’antagonisme de classe, c’est un cap non négligeable pour la suite.
« Sans nous, le monde s’arrête »
Que ce soit la thématique de la grève féministe ou le slogan « Sans nous, le monde s’arrête », ces mots ont été repris dans de nombreuses villes et par des médias qui n’avaient jamais autant porté d’attention aux revendications féministes. Nous voulons dire que le monde capitaliste s’arrête quand on arrête le travail salarié. Ainsi, reprendre du pouvoir sur nos vies, sur la société passe par récupérer le temps qui nous est volé par l’exploitation. À Rennes, plusieurs témoignages nous ont montré que des salarié·es de différents secteurs se sont mis en grève le 8 mars : d’un centre social, de centres de loisirs, de l’administration de diverses localités, architectes, ingénieurs, interprètes. De son côté, l’université de Rennes 2 a choisi de banaliser les cours du vendredi après-midi pour que les étudiant·es ne soient pas pénalisé·es par leur participation à la manifestation qui était appelée à 15 heures. Autre exemple qui montre que la grève n’a pas été effective, mais que la manifestation a pris du temps sur le travail, un centre de santé a volontairement fermé à l’heure de la manifestation pour laisser ses salarié·es y participer.
Voici quelques témoignages depuis les villes où nous sommes investi·es dans la construction du mouvement féministe et/ou nous avons participé aux mobilisations.
Témoignage de Paris
Ça a été très gros, une énorme manifestation, la CGT annonce 100 000 — en tout cas des dizaines de milliers de personnes présentes. Appel de la CGT et de Sophie Binet a dû avoir une influence. Cortèges très jeunes. Composés très largement de femmes jeunes. La plus grosse manifestation du 8 mars historiquement. Atteint le niveau de mobilisation de manifestations du 25 novembre des dernières années. Tout le monde a été impressionné par le nombre de manifestant·es. La grève féministe commence à prendre comme grève politique, qui n’est pas d’abord centrée sur les revendications salariales ou liées au travail, mais portée sur une société de libération de l’exploitation, des normes de genre, d’égalité réelle, de mise en commun des tâches de reproductions, notamment des tâches incompressibles que nous ne devrions jamais voir disparaître dans une société communiste : soin, solidarité, éducation, préparation des repas, nettoiement, assistance aux personnes les plus vulnérables…
Témoignage de Rennes
Notre collectif féministe Nous Toutes 35 a encore élargi ses bases militantes.
Il y avait un cadre de réunions inter-organisations féministes, qui s’est élargi en voyant venir pour la première fois plusieurs entités, et notamment la CGT.
La manifestation était appelée à 15 heures, et des événements étaient prévus en amont et en aval : atelier pancarte / banderole, préparation d’un repas collectif le midi, départs collectifs depuis Rennes sud et Villejean, rassemblement devant la prison des femmes, repas le soir sur la dalle Kennedy, atelier pancartes sur la place d’où partait la manifestation, village féministe avec les syndicats et le planning familial.
La manifestation a vu de nombreux cortèges organisés par eux-mêmes. On a trouvé que les gens venaient beaucoup moins « consommer » la manif, étaient beaucoup moins passifs. Cortège kurde, palestinien, anti-carcéral, de travailleuses du bâtiment, de footeuses et de roller derby avec de nombreux enfants, des cortèges lycéen·nes très nombreux·ses et plus mixtes que le reste de la manifestation, deux groupes de percussions, des chorales, des cortèges syndicaux plus ou moins fournis, une ambiance générale jamais vue. Nous avons construit la manifestation autour de 3 axes : lutte pour la mise en sécurité des femmes victimes de violences conjugales, lutte pour la solidarité antiraciste face au « réarmement démographique » et face à la loi Darmanin, et lutte contre la solidarité des hommes de pouvoir avec les Depardieu et consorts. Des débats très politiques ont encore eu lieu sur la mixité des cortèges, des milliers de tracts ont été distribués, de nombreuses interviews aux médias locaux ont été données, une formation sur la grève des Penn Sardin dont c’est le centenaire cette année a été organisée…
Témoignage de Toulouse
Pour le 8 mars : inter-organisations féministes composé de syndicats, partis et quelques collectifs. Difficulté de proposition hors du cadre syndicat/parti, pas beaucoup d’espace pour la créativité, pour des événements en auto-gestion. Le Planning familial a très peu participé à l’interorga cette année. Mais nous avons organisé une réunion de préparation pour le 8 mars, avec lecture d’article sur la grève féministe et atelier pancarte. Au Planning on a essayé de porter la question de la grève, mais encore du taf à faire. Un départ collectif du local du Planning a été organisé.
La manif nocturne du 7 mars, très attendue par les jeunes féministes à Toulouse chaque année. Organisée par très peu de personnes qui ont décidé de porter cette date, avec un texte d’appel assez politique qui cite la loi Darmanin, la Palestine et le réarmement démographique proposé par Macron. Interdiction d’aller au centre-ville par la préf. La manif avec départ de la place Saint-Pierre a pris le pont Saint-Pierre jusqu’à Patte-d’Oie. Très bonne ambiance avec La Frappe, un groupe de percussions féministe, et un peu d’animation. On était quelques milliers.
Appel 8 mars : Départ 14 heures métro Capitole (très central). Cortège de tête de l’interorga en mixité choisie, avec camion et animation. Cortège en soutien à la Palestine en mixité. Syndicats, partis, organisations de droits humains étaient présent·es avec leurs cortèges et mots d’ordre. Cortège très jeune autour de la frappe. Énormément de pancartes, mais pas beaucoup d’organisation des cortèges. Ça avait l’air assez spontanée. On était entre 7 000 et 9 000 personnes. Ambiance très festive comme d’habitude à Toulouse, mais moins de revendications politiques construites que les années précédentes.
Témoignage de Marseille
4 manifestations en une journée, c’est presque comme ça tous les ans.
La manifestation de Marseille 8 Mars est organisée lors de réunions avec des individus et des organisations tels que Asso Solidaires, syndicats enseignants, Riposte Antifasciste, Collages féministes, du Pain et des Roses. Elle n’a pas été un débordement humain tel que dans d’autres villes. La grève féministe a commencé à être portée politiquement, notamment par le biais de la Coordination féministe dont l’appel à la grève féministe a été repris localement.
De leurs côtés, les femmes kurdes font toujours leur propre manif, mais on est invité à y aller, et elles rejoignent aussi nos manifs.
Côté syndicats : avant c’était un rassemblement, cette année c’est devenu une manif. Mais c’est tendax de s’organiser avec eux. L’année dernière il y avait eu du lien qui s’était fait, mais on y est pas encore, et pas assez de force cette année côté Marseille 8 Mars.
Enfin, Osez le féminisme : on a essayé l’année dernière d’aller les rencontrer pour peut-être faire front commun mais ça ne l’a pas fait rapport à leurs positions transphobes notamment.