Théorie de la reproduction sociale : un retour à (quel) Marx ?

Par Sheila McGregor

Article paru initialement en anglais dans le numéro 160 de la revue International Socialism

Dans les milieux universitaires et les cercles de la gauche radicale, les débats sur l’oppression sont dominés depuis longtemps par les théories du privilège et de l’intersectionnalité [1]. La défaite des mouvements ouvriers vers la fin des années 70 sonna le glas des analyses basées sur la classe, donnant lieu à ce que Lise Vogel qualifie de « relatif isolement que beaucoup d’entre nous avons ressenti » [2]. La théorie du privilège met l’accent sur les désavantages qui émanent de l’oppression que peut expérimenter, par exemple, une femme noire handicapée par rapport à un homme blanc non-handicapé. Elle appelle ce dernier à reconnaître ces avantages relatifs comme un « privilège » ou un « bénéfice » lui rendant la vie plus facile. L’intersectionnalité observe la manière dont les individus peuvent être influencés par des oppressions multiples, dont la classe ferait partie [3]. Aucune de ces approches ne permet de conclure que la lutte pour mettre fin à l’oppression pourrait être connectée à l’auto-émancipation de la classe ouvrière, ni même que les travailleurEs seraient capables de créer des liens de solidarité qui puissent transcender les différences bien réelles entre elles et eux [4].

Le 21e siècle qui s’est ouvert avec les mouvements anticapitalistes et la crise financière des années 2007-2008 a vu un certain regain d’intérêt pour les travaux de Karl Marx. Marx et Le Capital jouent de nouveau un rôle central dans l’analyse de l’oppression faite par la théorie de la reproduction sociale (TRS). Les féministes marxistes ont longtemps parlé de la « reproduction sociale » et de son lien avec l’oppression des femmes ; mais aujourd’hui la TRS attire de nouvelles couches d’intellectuelLEs et de militantEs vers Marx. Tous les efforts qui visent à resituer les mécanismes de l’oppression dans un cadre capitaliste sont bienvenus, car ils permettent de diriger les débats vers une lutte contre la société capitaliste dans son ensemble plutôt qu’une lutte atomisée contre les différents systèmes d’oppression [5]. Cependant cela ne signifie pas, et nous insistons là-dessus, qu’il existe « une seule lutte, la lutte des classes » qui ne se soucie pas du sexisme, du racisme, de l’homophobie, de la transphobie, et d’autres formes d’oppression.

Un important pas en avant

Cet article vise à offrir une vue d’ensemble de la TRS en commençant par un court exposé de l’émergence d’analyses marxistes de l’oppression des femmes stimulées par le mouvement de libération des femmes des années 1960 [6]. Ensuite, j’observerai de plus près la contribution particulière de Lise Vogel ; son livre Marxism and the Oppression of Women est considéré comme un texte fondateur pour le développement de la version de la TRS qui fait l’objet de cet article [7]. J’interroge ici la formulation de Vogel du rôle joué par les capacités reproductives biologiques de la femme, et la possibilité ou non de généraliser cette vue pour expliquer l’oppression des femmes dans toutes les sociétés de classes. Cet article se tourne ensuite vers les développement récents de la TRS, notamment la contribution de Tithi Bhattacharya, militante marxiste majeure résidant aux USA, son adoption d’une partie du travail de Michael Lebowitz sur Le Capital et son application au racisme [8]. J’essaierai de convaincre que Bhattacharya tend à brouiller la relation entre l’exploitation et l’oppression, et à sous-estimer l’importance de la lutte sur les sites de production par rapport aux mouvements sociaux plus généraux. Elle tente également d’analyser le racisme à travers le prisme de la reproduction sociale, négligeant toute une série d’approches dérivées du marxisme malgré toute leur richesse. Une bonne partie de la TRS a déjà fait ses preuves dans la compréhension de l’oppression des femmes, mais certaines analyses semblent s’accommoder de visions ambiguës sur la nature de la classe ouvrière et de bas niveaux de lutte des classes aux USA et dans une bonne partie de l’Europe [9].

La TRS a été adoptée dans des cercles académiques plutôt larges. En 2017, l’économiste marxiste Ben Fine apportait sa contribution sous le titre « A Note Towards an Approach Towards Social Reproduction » [10] alors qu’au programme de la conférence Historical Materialism en 2017 à Londres figurait le lancement de la collection d’essais éditée par Bhattacharya sous le titre de Social Reproduction Theory : Remapping Class, Recentering Oppression [11]. Dans leur article de janvier 2018, « Women, Nature, and Capital in the Industrial Revolution », John Bellamy Foster et Brett Clark affirment que : « L’émergence remarquable de la “théorie de la reproduction sociale” ces dernières années dans les cercles marxistes et féministes révolutionnaires (…) a significativement altéré la manière de voir le traitement fait par Marx et Engels des femmes et du travail dans la Grande-Bretagne du 19e siècle. » [12]

Qu’est-ce que la « reproduction sociale » ?

Dans les années 60, l’idée d’une relation proche entre la lutte pour le socialisme et la lutte contre l’oppression était largement acceptée au sein des mouvements de libération des femmes en Grande-Bretagne et en Allemagne (moins aux USA) [13]. Cette approche pratique a donnée naissance à des travaux théoriques importants analysant les racines de l’oppression des femmes au sein du capitalisme, par des marxistes et des féministes influencées par le marxisme.

Marx lui-même fit usage du concept de reproduction sociale pour parler de la reproduction de la totalité du mode de production capitaliste, incluant donc la production dans la sphère publique des biens et des services, leur circulation, ainsi que la reproduction dans la sphère « privée ». Certaines théoriciennes de la reproduction sociale attirent l’attention sur les variations dans l’usage du terme. Johanna Brenner et Barbara Laslett suggèrent une distinction utile entre reproduction « sociétale » et « sociale », préservant l’usage fait par Marx du premier terme et définissant le second comme :

Les activités et les attitudes, les émotions, les comportements et les responsabilités directement impliqués dans la reproduction de la vie, au quotidien et de manière générationnelle. Nous parlons d’une grande variété de travaux socialement nécessaires – mentaux, physiques et émotionnels – qui visent à assurer les moyens historiquement, socialement et biologiquement nécessaires à la maintenance et la reproduction de la population. La reproduction sociale comprend entre autres la manière dont la nourriture, les habits et le logement sont rendus disponibles pour une consommation immédiate, l’entretien et le développement social des enfants, les soins pour les personnes âgées et handicapées ainsi que la manière dont la sexualité est socialement construite [14].

C’est un large éventail qui comprend différentes formes de familles, de fournitures – par l’état ou par le privé – de logements, d’éducation, de soins de santé, et qui se rapproche de la distinction faite par Fine entre la reproduction économique et la reproduction sociale. Selon Fine : « La reproduction sociale comprend le monde de la famille/foyer, la société civile et l’état dans leurs configurations variées vis-à-vis de la reproduction économique, logiquement et historiquement [15].

Les marxistes et le travail domestique

Des années 1970 au début des années 1980, toute une série de féministes marxistes ont situé l’oppression des femmes dans le rôle que ces dernières jouent dans le travail domestique et la reproduction de la force de travail. Marx distingue entre deux faces des marchandises : une marchandise qui est utile à quelqu’un a une « valeur d’usage », mais elle a également une « valeur d’échange » qui lui permet d’être échangée sur le marché. CertainEs marxistes ont affirmé que le travail domestique est productif de valeurs d’usage, mais non-productif au sens marxiste de la « production de survaleur », ou de profits. Cela ne signifie pas qu’un tel travail n’est pas utile ou socialement nécessaire, mais uniquement qu’il ne saurait être intégré dans l’analyse faite par Marx des sources de profit, qui provient de la différence entre la valeur produite par les travailleurs et les travailleuses, et le salaire qu’ils et elles touchent. La localisation de l’oppression des femmes dans la reproduction de la force de travail distingue des marxistes comme Brenner, Vogel, Maria Ramas et Chris Harman d’écrivaines comme Heidi Hartmann et Juliet Mitchell [16]. Ces dernières sont des théoriciennes du « double système  », analyse qui stipule l’existence de deux systèmes, l’un décrit par Marx et qui concerne l’exploitation de la classe ouvrière et l’autre basé sur le concept du patriarcat pour expliquer l’oppression des femmes. Elles ont par conséquent développé une pratique politique basée sur une séparation entre la lutte pour le socialisme et la lutte pour l’émancipation des femmes – deux systèmes, deux luttes.

En 1984, Brenner et Ramas écrivaient dans la New Left Review pour répondre à l’argument central développé par Michèle Barrett dans Women’s Oppression Today – selon lequel les racines de l’oppression des femmes se situent dans une compréhension de l’idéologie en tant que force matérielle [17]. Elles répondent à Barrett par une analyse basée sur une compréhension dynamique de l’émergence et de la remodélisation de la famille ouvrière durant le développement historique du mode de production capitaliste.

Brenner et Ramas commencent leur argument en rappelant que le capitalisme a amené la séparation du lieu de travail – la production – du lieu de la reproduction – le foyer. Selon elles, la conséquence fut que les femmes se sont retrouvées incapables de combiner grossesse, accouchement et garde d’enfants comme elles avaient pu le faire auparavant. De plus, elles sont convaincues que l’émergence de la famille ouvrière au 19e siècle était tout sauf inévitable, et attirent notre attention sur l’échec ou même l’absence de lutte pour une alternative basée sur la fourniture par l’état de garderies, de services de nettoyage, de blanchisseries, de restaurants bon marché, etc. – ce qui signifia qu’il était hautement probable que les exigences de la reproduction biologique allaient engendrer une famille basée sur la division du travail. L’homme jouerait le rôle de « gagne-pain » alors que la femme s’acquitterait du travail de reproduction au foyer [18].

De la même manière, des contributeurs et contributrices à la revue International Socialism ont fait référence à « la privatisation de la reproduction de la force de travail », une théorie de la famille comme site d’oppression des femmes sous le capitalisme, où « la famille existe afin de reproduire la force de travail pour la classe capitaliste, qui a par conséquent un intérêt particulier dans la famille alors même que la reproduction de la force de travail y a été privatisée » [19].

Parlant du 20e siècle, Brenner et Ramas continuent :

Notre argument est que le développement rapide des forces de production sous le capitalisme a jeté les bases permettant aux femmes de transcender les contraintes de la reproduction biologique, mais qu’en même temps, les relations de production capitalistes continuent de limiter le développement de l’égalité. Ceci n’est pas dû au fait que les divisions de genre soient « encastrées » au capitalisme, comme le dit Barrett. Il existe au contraire dans le capitalisme une tendance réelle qui menace et sape les divisions de genre en restructurant constamment la main-d’œuvre. Cependant, la tendance du capitalisme à la crise périodique, et donc sa tendance à faire baisser périodiquement le niveau de vie de la classe ouvrière, empêche une rupture avec le système famille-foyer et renforce la subordination des femmes [20].

Vogel prend l’analyse de Marx dans Le Capital comme point de départ et situe l’oppression des femmes dans le travail non producteur de valeur d’échange qui sert à reproduire la main-d’œuvre actuelle et future, ainsi qu’à prendre soin de la main-d’œuvre retraitée. De plus, elle affirme que « la reproduction de la force de travail est une condition de la production, car elle repostule ou remplace la force de travail nécessaire à la production » [21]. Cependant, il est clair que sans la production de nourriture, de vêtements et de logements, la reproduction de la classe ouvrière est impossibleVogel rejoint Brenner, Ramas et Irene Bruegel [22] lorsqu’elle affirme que bien que la famille ouvrière soit le lieu le plus commun de la reproduction de force de travail, il existe d’autres possibilités comme l’immigration, les dortoirs collectifs, etc [23].

TouTEs les marxistes citéEs ci-dessus (et bien d’autres non citéEs) tombent d’accord sur le fait que le travail domestique est nécessaire du point de vue du capital, que la reproduction de la classe ouvrière dans le foyer est basée sur du « travail non-productif de valeur », et que cette reproduction a lieu à l’extérieur de la relation directe travail-capital. Il y a deux autres problématiques importantes, à savoir le fait que la famille soit constamment sujette à l’impact du besoin d’accumulation, et, évidemment, à la réaction des femmes et des hommes eux-mêmes. Martha Gimenez (même si sa formulation du « mode de production » prête à confusion) explique : « Le principe fondamental qui sous-tend cette analyse est que, dans les formations sociales où le capitalisme est le mode de production dominant, le fonctionnement du mode de production détermine l’organisation sociale (en établissant des limites historiques à sa variabilité) et les fondations économiques de la reproduction humaine ou du mode de reproduction [24]. La pauvreté, l’emploi, le logement, les salaires et, plus généralement, la domination de la vie des gens par les cycles économiques, déterminent la forme que prend l’oppression des femmes [25]. Gimenez insiste sur le fait que cette compréhension de la relation entre mode de production et reproduction

n’est pas une forme « d’économisme » ou de « réductionnisme de classe », mais la reconnaissance d’un réseau complexe d’effets macroscopiques sur les relations hommes-femmes, d’un mode de production entraîné par l’accumulation capitaliste et non par la satisfaction des besoins humains. Soutenir le contraire, postuler une « interaction mutuelle » entre l’organisation de la production et l’organisation de la reproduction, ou donner la primauté causale à cette dernière revient à ignorer la signification théorique des preuves écrasantes de la subordination de la reproduction à la production sous le capitalisme [26].

Brenner, Ramas et Harman donnent des exemples similaires des implications historiques (de la subordination de la reproduction à la production) pour la reproduction de la classe ouvrière. Selon Harman : « au milieu du 19e siècle, la reproduction de la main-d’œuvre n’était possible que si la femme ouvrière avait en moyenne huit à dix grossesses au cours de sa vie (à Londres près de 60% des enfants mouraient avant l’âge de cinq ans en 1850), et donc passait le plus clair de son existence après le mariage ou bien enceinte ou alors allaitant des nourrissons » [27]. Dans une veine similaire, Brenner et Ramas écrivent :

Si le travail à l’usine avait des conséquences néfastes pour les femmes, elles semblent avoir pris des proportions désastreuses pour les enfants car les femmes qui travaillaient ne pouvaient allaiter. Le biberon n’était pas un substitut acceptable au 19e siècle : les techniques de stérilisation étaient inconnues et le biberon augmentait sensiblement la mortalité infantile. La seule autre alternative, faire appel à une nourrice, était également inacceptable pour la classe ouvrière car les enfants devaient être envoyés sur de longues distances pour vivre avec de pauvres femmes qui prenaient beaucoup trop de bébés et étaient incapables de les nourrir tous convenablement. Là aussi, les taux de mortalité infantile étaient élevés [28].

A partir des années 1930, alors que les femmes étaient de plus en plus amenées à travailler à l’usine, au cours de et après la seconde guerre mondiale, on observe une tendance à long terme, certes ponctuée par des hauts et des bas, à la participation accrue des femmes à la main-d’œuvre [29]. Après la guerre, la réduction de la mortalité infantile rendue possible par une meilleure alimentation et de meilleures conditions d’hygiène, ainsi que l’accès légal à l’avortement et aux nouvelles techniques de contraception plus fiables, permirent aux femmes de réguler plus facilement le nombre et le rythme des naissances. Les évolutions technologiques ont permis aux foyers de s’équiper en machines qui allégeaient le fardeau du travail domestique. De nouveaux matériaux ont facilité le nettoyage des maisons et le chauffage central a éliminé les poussières des feux de charbon. Brenner et Ramas expliquent :

Dans sa quête de nouveaux marchés, le capitalisme a marchandisé la reproduction et a étendu la gamme de biens et de services disponibles et nécessaires pour un niveau de vie acceptable [30]. En baissant le prix des marchandises utilisées dans la production domestique et en baissant les taux de fertilité, le développement capitaliste a réduit le temps de travail domestique nécessaire à la reproduction, permettant le double travail des femmes [31].

Harman conclut avec justesse : « Du point de vue de l’accumulation capitaliste, la vieille famille stéréotypée peut être une source de gaspillage… Le fait que [la femme] travaille toute la journée n’offre aucune consolation au système ; son travail est un travail qui pourrait être accompli plus efficacement, tout en la libérant pour l’esclavage salarial » [32]. Vogel situe le même processus dans le potentiel de création de davantage de survaleur (profits) :

Dans la mesure où le travail domestique, dans la société capitaliste, a lieu dans les foyers privés, la pression de l’accumulation capitaliste tend à réduire la quantité de travail effectuée au sein de chaque foyer. En d’autre termes, la composante domestique du travail nécessaire est sensiblement réduite. En même temps, un plus grand nombre de membres du foyer peut se joindre à la main-d’œuvre, augmentant la quantité totale de travail salarié accomplie par le foyer, un phénomène similaire à l’intensification du travail d’un seul travailleur. En un mot, la réduction du travail domestique crée de la survaleur relative et absolue [33].

Une bonne partie du travail de reproduction de la classe ouvrière a lieu en-dehors du foyer familial. Une bonne proportion de ces tâches, de quelque manière qu’elles soient financées, dépend d’autre travailleurs et travailleuses dans les écoles, les universités, les hôpitaux, les bureaux, les maisons de retraite, etc [34]. Ces prestations sociales résultent d’une combinaison entre les besoins du capital, par exemple une force de travail mieux éduquée, de l’impact de l’entrée des femmes sur le marché du travail, et enfin des lutte sociales pour l’accès à la santé, l’éducation, la sécurité sociale, etc. Kim Moody, dans son livre On New Terrain, indique qu’après 1950 : « Non seulement un plus grand nombre de femmes est entré sur le marché du travail salarié, mais le nombre d’heures qu’elles travaillent a aussi sensiblement augmenté (…) La pénurie relative de travail féminin de reproduction non-payé a ouvert la porte à la marchandisation du travail de reproduction à l’extérieur de la famille, sur le marché [35]. Toute analyse de la reproduction sociale doit être intégrée dans une analyse de l’accumulation capitaliste et de la nature de l’état capitaliste. Une telle analyse doit inclure la manière dont l’état intervient dans le processus de reproduction de la classe ouvrière, à travers la législation autour de la famille, comme le mariage, les mœurs sexuelles etc. et la fourniture d’aspects de la reproduction sociale. Ces derniers sont assujettis à l’impact des crises du capitalisme ainsi qu’à la pression de la lutte des classes et des mouvements sociaux.

Vogel affirme que : « Dans les sociétés de classes, la maternité des femmes crée des contradictions du point de vue du besoin de la classe dominante de s’approprier le surtravail. L’oppression des femmes dans les classes exploitées se développe au cours du processus de la lutte des classes pour la résolution de ces contradictions. » [36]. Selon elle, cette explication est valable dans toutes les sociétés de classes en ce qui concerne « la classe des producteurs directs » [37]. L’argument de Vogel 

pivote autour de la relation entre la maternité et l’appropriation de surtravail dans une société de classes. Le fait d’avoir un enfant risque de diminuer la contribution d’une femme des classes subalternes en tant que productrice directe et partie prenante du travail nécessaire. La grossesse et l’allaitement signifient a minima une période de plusieurs mois durant laquelle la capacité de travail des femmes est réduite. Même lorsqu’une femme continue à participer au processus de production de survaleur, la maternité interfère jusqu’à un certain point nécessairement avec l’appropriation immédiate de survaleur [par l’exploitant] [38].

La pierre angulaire de l’analyse de Vogel est que les différences biologiques dans la reproduction sexuelle provoquent nécessairement un retrait des femmes de l’activité économique, les rendant dépendantes des hommes. A première vue, cela peut sembler trivial. L’expérience de la grossesse, de l’accouchement et de l’allaitement est incompatible avec la participation au travail dans la société capitaliste actuelle, en partie à cause de la séparation entre lieu de travail et foyer, et en partie à cause de la nature de la grossesse et de l’accouchement aujourd’hui. Mais il est bien établi que cela n’a pas toujours été le cas ; les premières sociétés capitalistes voyaient parfois les femmes accoucher au travail et emmener leurs nourrissons au travail. La question est la suivante : l’analyse faite par Vogel de la grossesse et de l’accouchement est-elle valable pour toutes les sociétés de classes, ou uniquement pour le capitalisme ?

Ferguson est consciente que sa propre insistance sur la centralité de la biologie peut sembler problématique pour des générations de femmes qui se sont battues contre l’idée selon laquelle « la biologie est une destinée », et attire l’attention sur les aspects sociaux de la nature humaine [39]. Ironiquement, Vogel discute la tendance de Marx et Engels à « naturaliser » certains aspects des comportements sociaux, affirmant qu’un « certain spectre du “naturel” hante leurs travaux » [40]. Mais elle n’applique pas cette observation à ses propres réflexions sur la maternité. Comme nous le verrons, le fait qu’elle compte sur la biologie vient du fait qu’elle écarte la contribution d’Engels à la compréhension de la famille dans la société de classes.

Si ce n’est par Engels… alors comment?

Vogel présente une série d’arguments contre l’ouvrage d’Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’état [41], notamment en affirmant que l’utilisation par Engels de deux modes – le mode de production et le mode de reproduction – est « défectueuse » et que son concept de division de travail entre femmes et hommes est « biologique ». Malheureusement, le fait qu’elle écarte Engels d’un revers de la main la rend incapable d’avoir une position claire sur la présence ou l’absence de l’oppression des femmes dans les sociétés précédant les sociétés de classes [42]. Elle ne peut non plus donner une explication de l’origine de l’oppression des femmes. Pour Engels, la clé de la compréhension de l’oppression des femmes est la manière dont les changements des méthodes de production ont non seulement permis la génération d’un surplus et une différentiation en classes, mais aussi le fait que ce surplus était produit par les hommes, ce qui en amena certains à dominer le reste de la société [43].

Vogel fait appel à l’économiste radical Paddy Quick pour une explication alternative de l’existence de l’oppression [44]. En écartant Engels, Vogel révèle qu’elle se soucie peu du rôle joué par les forces de production dans la caractérisation des différents modes de production [45] et ne comprend pas pourquoi Engels a lié l’émergence de la famille à celle de la propriété et de l’état :

Premièrement, le sujet couvert dans l’Origine…, comme l’indique le titre, est le développement non seulement de la famille mais aussi de la propriété privée et de l’état. Cette observation est importante car elle indique que les objectifs du livre, dans son traitement de la subordination des femmes, sont limités. Plutôt que d’offrir une analyse approfondie des femmes, de la famille et de la reproduction de la classe ouvrière, l’Origine cherche simplement à situer certains aspects de la question dans un contexte historique et théorique [46].

Ces quelques phrases résument la différence cruciale de méthode entre Vogel (et Quick) et d’autres marxistes. Ce qui ressort clairement de l’Origine d’Engels est sa préoccupation pour la manière dont les êtres humains ont pu gagner leur vie, les outils et les méthodes qu’ils et elles ont utilisés, les relations sociales qui en ont émergé, et enfin, lorsque les êtres humains ont changé leur méthodes et techniques, quel impact cela a pu avoir sur leurs relations. Il semblerait que Vogel et Quick prennent Le Capital et l’oppression des femmes sous le capitalisme moderne comme points de départ, pour en tirer des catégories abstraites qui caractérisent l’oppression des femmes, comme le travail des femmes durant la maternité et la dépendance des femmes envers les hommes, avant de projeter le tout vers le passé [47]. Le danger est que cette méthode encourage une approche imprécise et non-historique [48] l’oppression des femmes qui parcourt différentes sociétés de classes et prive les marxistes des outils dont elles et ils ont besoin pour comprendre comment le statut des femmes change avec le mode de production, les relations de production, les formes familiales et le rôle de l’état.

Comment nous nous faisons

Dans son texte pionnier, « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme », Engels étudie la manière dont les êtres humains assurent leur subsistance et le développement de leurs capacités physiques, mentales et sociales tout au long de leur évolution [49]. Marx insistait sur le fait que la nature était sociale, que nous nous produisons nous-mêmes et que nous nous changeons à travers la société [50]. Dans le premier volume du Capital, il écrit 

Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature (…) [51].

Ce que nous sommes aujourd’hui est le résultat de dizaines de milliers d’années d’évolution durant lesquelles nous avons constamment façonné notre nature physique, émotionnelle et mentale, au cours du processus de façonnement de la nature extérieure. Vogel le dit implicitement : « les différences sexuelles ne sauraient être considérées séparément de leur existence dans un système social défini [52], mais ne semble pas percevoir ce que cela signifie pour l’explication de l’oppression des femmes dans les sociétés de classes.

Il est impossible de savoir exactement quelles expériences avaient nos ancêtres durant la préhistoire. Nous savons néanmoins qu’hommes et femmes ont vécu dans des sociétés égalitaires où la production et la reproduction étaient liées, et où la grossesse et l’accouchement étaient différents. George J Engelmann, professeur de gynécologie à l’école de médecine de St-Louis est l’auteur d’une étude fascinante, publiée en 1883, sur les différentes pratiques liées à l’accouchement dans diverses sociétés tribales et de chasseurs-cueilleurs. Il en conclut que ces pratiques reflétaient un mode de vie qui favorisait un développement physique sain, avec des accouchements courts et relativement rapides qui avaient peu d’impact sur la mobilité et la santé physique de la mère [53].En 1965, Colin Turnbull rapportait des expériences similaires de grossesses, accouchements et allaitements chez les femmes Mbuti, une société de chasseurs-cueilleurs dans la région du Congo [54]. Aucune de ces épreuves n’était vécue comme un obstacle physique au rôle joué par les femmes dans leur groupe social, et elles ne provoquèrent aucune dépendance envers les hommes pour l’accès aux provisions et ressources [55].

La capacité distinctive des femmes à la reproduction biologique de l’espèce est façonnée historiquement et n’est pas intrinsèquement oppressive. La manière dont elle se lie à l’oppression des femmes est une question historique et analytique qui ne peut être simplement écartée, si ce n’est pour la raison qu’un bon nombre d’explications de l’oppression des femmes implique un déterminisme biologique.

La biologie des femmes, l’exploitation et l’oppression

Vogel formule des présuppositions sur la nature de l’accouchement et l’éducation des enfants à travers les sociétés de classes. Mais son analyse peut-elle expliquer les variations dans les formes prises par l’oppression des femmes dans les différentes sociétés de classes ? Son argument substantiel est que le rôle reproductif des femmes les rend incapables de pleinement prendre part à la production, et que : « c’est la fourniture par les hommes des moyens de subsistance des femmes durant la grossesse de ces dernières, et non la division du travail en soi, qui forme la base matérielle de la subordination des femmes dans la société de classe. » [56]

L’esclavage sur les plantations nord-américaines ne s’accorde pas avec cette analyse. Angela Davis écrit dans Femmes, race et classe : « Le système esclavagiste définissait les Noirs comme une marchandise humaine. Puisque les femmes étaient considérées comme des unités de travail productrices de profit au même titre que les hommes, leurs propriétaires ne faisaient aucune différence entre les sexes [57]. En plus de travailler sur les plantations, les femmes travaillaient en tant que bûcherons, creusaient des fosses et des canaux, posaient des rails, construisaient des digues en Louisiane et étaient utilisées dans les transports, car les femmes esclaves « coûtaient moins cher en capital et en entretien que les hommes dans la force de l’âge [58].

Davis continue : « Quand il s’agissait de travail, le fouet savait mieux mesurer la force et la productivité que la différence des sexes. En ce sens, l’oppression des femmes était identique à celles des hommes ». Cependant, les femmes étaient sujettes à des abus sexuels, « le viol exprimait clairement la domination économique du propriétaire d’esclaves et l’autorité du surveillant sur les travailleuses noires » [59].

Sur les échelles de productivité utilisées pour calculer le revenu moyen par esclave, les hommes et les femmes étaient traités de manière équivalente alors que les enfants valaient un quart [60]. Il n’existait aucune exemption de travail des champs pour les femmes enceintes ou les femmes qui allaitaient. Face au fouet, les femmes enceintes étaient les égales des femmes non-enceintes et même des hommes [61]. Les femmes qui avaient des bébés faisaient de leur mieux, portaient leurs enfants sur le dos, les déposaient au bout des rangées dans les champs ou alors les laissaient avec d’autres enfants sous la garde d’esclaves plus âgéEs.

Sur ce système, Davis arrive à la conclusion suivante :

Les mauvais traitements réservés aux femmes facilitaient ainsi l’exploitation de leur travail qui obligeait les propriétaires à abandonner leurs préjugés sexistes, sauf en matière de répression. (…) Par ailleurs, puisque les travailleuses noires n’étaient considérées ni comme des représentantes du « sexe faible » ni comme des « maîtresses de maison », les hommes noirs ne pouvaient revendiquer le titre de « chef de famille » ni même subvenir à leurs besoins matériels. En fin de compte, hommes, femmes et enfants « entretenaient » la classe esclavagiste [62].

Les femmes esclaves étaient à la fois exploitées et opprimées. Mais cette oppression ne peut être expliquée par le cadre analytique de Vogel. Une meilleure approche consisterait à regarder la manière dont l’oppression des femmes était intégrée au système familial dans le reste de la société esclavagiste [63]. L’existence de cette oppression a façonné la manière dont les esclavagistes et leurs contremaîtres ont traité les femmes esclaves [64].

Les femmes dans la société médiévale subissaient sans aucun doute une oppression, mais la manière dont elles étaient opprimées ne saurait être analysée en supposant que la maternité causait une dépendance envers les hommes et une interruption prolongée de l’activité économique des femmes de la classe exploitée [65]. Elle requiert une analyse bien plus nuancée du mode de production, du rôle économique des femmes dans la société ainsi que des coutumes répandues, des lois, etc.

Dans certaines parties du nord-ouest de l’Europe existait un modèle spécifique de mariage et de famille, qui se distinguait par un mariage à un âge avancé (24 ans pour les femmes, 26 ans pour les hommes) et le rôle économique des femmes. Plutôt que voir les femmes quitter le foyer de leur père à la puberté pour être transférées, par le mariage, dans le foyer de leur époux, on pouvait observer des femmes et des hommes célibataires travaillant au sein de leur foyer parental, ou en service dans un autre foyer. Après le mariage, la femme mariée travaillait dans le cadre d’un partenariat économique avec son mari, l’assistant habituellement dans l’exercice de son métier.

Judith Bennett le démontre dans son étude sur la production de bière (1996), un métier surtout occupé par les femmes rurales dans le cadre de l’économie domestique médiévale [66]. Les brasseuses étaient habituellement mariées mais cette activité servait aussi de source de revenus aux femmes célibataires et aux veuves avant la Peste noire. « Vers la fin du 13e siècle et au début du 14e, le commerce de bière constituait une source de revenus cruciale pour les foyers de brasseurs occasionnels comme quasi-industriels [67]. Bennet écrit :

Pour de nombreuses épouses, brasser pour vendre était l’un des nombreux éléments d’une « économie de fortune ». Dans les foyers médiévaux, les tâches de base étaient habituellement allouées aux hommes et les tâches supplémentaires aux femmes. Une femme mariée avait une myriade de responsabilités : elle assistait son mari lorsque son travail le demandait (dans les champs, à l’atelier, etc.) ; elle était responsable du travail reproductif (la reproduction biologique et sociale) ; enfin, elle poursuivait un bon nombre de petites activités qui généraient un revenu supplémentaire pour la famille [68].

Bennett mentionne plusieurs facteurs déterminants qui ont mené les femmes à s’impliquer dans la production de bière. Si le mari était forgeron ou marchand, il n’avait en général pas besoin de l’assistance de son épouse, contrairement à ceux dont les métiers se rapportaient au textile, aux cuirs ou à la production de nourriture. Selon Bennett : « La grossesse, l’allaitement et l’éducation des enfants ne semblent pas avoir eu d’influence, contrairement à la nature du métier du mari qui semblait avoir une influence prépondérante… En d’autres termes, les femmes pouvaient brasser non pas lorsqu’elles étaient libérées de leur tâches maternelles mais lorsque les autres exigences économiques de son foyer lui laissaient le temps de poursuivre cette activité » [69].

Vers la fin de son livre, Vogel déplace son attention de l’oppression des femmes dans la classe ouvrière pour aborder la question de « l’égalité des personnes » dans la sphère de la circulation [70] : la société bourgeoise promeut une idéologie d’égalité formelle dans la société qui masque les relations inégales entre le capital et le travail. Des sections de la société – les minorités raciales, nationales et les femmes, pour ne citer que celles-ci – ont dû progressivement lutter pour une égalité même formelle de statut, et Vogel indique à juste titre que de telles luttes peuvent avoir une « importance révolutionnaire sérieuse » [71]. Suivant Marx, elle dit aussi que dans une société future, l’égalité réelle devra reconnaître les différences entre les personnes et donc que, là où la classe ouvrière prendra ses décisions démocratiquement, il faudra utiliser des ressources afin d’égaliser la position « inégale » des femmes qui ont des enfants, afin de faire disparaître l’inégalité [72].

Malheureusement, Vogel ne met pas en valeur le potentiel des femmes en tant que membres de la classe ouvrière et donc en tant que sujet révolutionnaire [73] ; elle se concentre plutôt sur l’absence d’égalité des droits pour les femmes, et le potentiel de mouvements trans-classes dans la lutte pour l’égalité des femmes [74]. Elle conclut ainsi : « l’argument selon lequel l’oppression des femmes s’enracine dans leur double position vis-à-vis du travail domestique et de l’égalité des droits offre un cadre pour comprendre à la fois la position des femmes dans le travail salarié et pour analyser comment un mouvement large de libération des femmes pourrait représenter une composante essentielle dans la lutte pour le socialisme » [75].

Ecrivant en 1983, Vogel ne pouvait sans doute pas prévoir à quel point le capitalisme en Amérique du nord et dans certaines parties d’Europe serait capable de concéder la pleine égalité bourgeoise aux femmes, et de démanteler la législation répressive envers les LGBT+ tout en augmentant les inégalités de classe. Cela a inexorablement élargi le fossé entre femmes de différentes classes plutôt que le combler et a intensifié l’oppression sociale des femmes de la classe ouvrière, de telle manière, par exemple, qu’une prise en charge des enfants aisément accessible aux femmes de la classe moyenne est devenue une bataille encore plus difficile pour les femmes de la classe ouvrière [76]. La formulation de Vogel qui appelle à construire « des organisations de femmes progressistes qui traversent les divisions de classe [77] en ne mettant aucun accent sur la nécessaire indépendance des femmes de la classe ouvrière, pourrait mener à une subordination des besoins des femmes de la classe ouvrière aux femmes des classes moyennes et à la domination d’une perspective cherchant à gagner des droits bourgeois sans s’attaquer aux inégalités de classe. Cela contraste fortement avec une approche  combattant pour des droits démocratiques complets tout en insistant sur le rôle indépendant des travailleurEs, à cause du poids social que les travailleurEs apportent à la lutte mais aussi à cause des différences d’intérêts de classe qui existent parmi les oppriméEs.

De Vogel à Lebowitz

Tithi Bhattacharya est devenue l’une des partisanes les plus en vue de la théorie de la reproduction sociale. Elle a étendu l’approche de Vogel de l’oppression des femmes au racisme avec une analyse qui doit beaucoup au livre de Michael Lebowitz Beyond Capital [78].

Lebowitz cherche à défendre Marx contre ceux qui le considèrent comme dépassé ou qui réduisent sa philosophie au type de marxisme mécanique associé à Karl Kautsky et la Seconde Internationale. Il prétend qu’il y a un problème dans Le Capital lui-même qui peut conduire à une interprétation mécanique, ce qui expliquerait en partie le fait que la classe ouvrière n’ait pas encore creusé la tombe du capitalisme [79]. Lebowitz essaie d’y remédier en insérant l’élément subjectif qui, selon lui, est absent du Capital– une analyse des salaires ou du « circuit de production » observé du point de vue du travailleur et de la travailleuse. Il affirme que le postulat classique du matérialisme historique présent dans la « Préface » à une Contribution à la critique de l’économie politique mènerait, ou au moins ouvrirait la porte à une approche conservatrice et devrait par conséquent être réécrit [80]. Marx a écrit : 

À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants (…). De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. (…). Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société [81].

La version de Lebowitz est la suivante:

Considérons une thèse alternative – que ce sont les besoins d’êtres humains développés socialement (c’est-à-dire de gens qui se sont développés dans des sociétés particulières) qui jouent un rôle central pour déterminer le cours du changement historique. Des êtres humains définis développent leurs forces productives et changent leurs relations de production, et le font afin de subvenir à leurs besoins. Dans cette formulation alternative de la théorie de l’histoire de Marx (la primauté des besoins), le changement social a lieu lorsque la structure sociale existante ne satisfait plus les besoins des gens formés au sein de cette société ; ceci a lieu lorsque les relations de productions empêchent le développement des forces productives dans un sens qui se conforme aux besoins particuliers d’êtres humains bien définis. Au sein de la société capitaliste, par conséquent, l’impératif qui emmène au-delà du capitalisme est « le propre besoin de développement du travailleur ou de la travailleuse » [82].

Marx pensait que « l’émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre de la classe ouvrière elle-même » [83], mais en introduisant « l’impératif » aux côtés du « propre besoin de développement du travailleur ou de la travailleuse », Lebowitz crée une tendance « morale » et volontariste qui était absente de la version de Marx. Marx écrit dans le Dix-huit brumaire : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé [84]. Tout en évitant une approche type « loi d’airain de l’histoire », il est important de ne pas basculer dans l’autre direction. L’existence d’un antagonisme d’intérêts fondamental entre le capital et le travail dans le mode de production capitaliste (l’affirmation de Marx) peut former la base de la lutte des classes, mais cela ne signifie aucunement qu’une lutte de classe ouverte en découle inévitablement pas plus que cela ne détermine l’issue d’une telle lutte [85].

Lebowitz développe sa critique au travers d’une discussion sur les besoins des travailleurEs pour leur propre reproduction, qui forment la base du salaire qu’ils et elles reçoivent. Il indique, suivant Marx, que les besoins sont générés socialement et qu’ils dépendent de la société dans laquelle les gens vivent, ce qui signifie que le salaire contient ce que Marx appelle un « élément historique et moral ». Ces besoins ne sont donc pas simplement physiques mais peuvent inclure des besoins imaginés, et incluent le développement de la personnalité humaine [86]. De plus, il est dans la nature du mode de production capitaliste de générer constamment des besoins nouveaux, avec le développement de nouveaux produits qui requièrent la création de nouveaux marchés. La tendance des capitalistes à augmenter leur consommation de produits de luxe aide à stimuler les aspirations des travailleurs et travailleuses, générant ainsi de nouveaux besoins.

Lebowitz identifie trois niveaux de besoins. Le premier, les « besoins physiologiques », est le minimum nécessaire pour reproduire unE travailleurE. Le second, les « besoins nécessaires », est « le niveau de besoins qui est rendu nécessaire par l’habitude et les coutumes. Il inclut les valeurs d’usage qui sont “habituellement requises” et qui entrent normalement dans la consommation des membres de la classe ouvrière. C’est le niveau de besoins qui souligne le concept de la valeur de la force de travail dans Le Capital [87]. Le troisième niveau de besoin est nommé « besoins sociaux » : « C’est le niveau des besoins de membres de la classe ouvrière en tant qu’êtres humains socialement développés à un certain moment ; il constitue la limite haute des besoins de valeurs d’usage sous la forme de marchandises [88]. Lebowitz conclut ensuite : « L’existence de besoins non satisfaits sous-tend le besoin de la travailleurE de plus d’argent, son besoin d’un salaire plus élevé » [89].

C’est une déclaration étrange car elle semble exclure le besoin des travailleurEs de lutter pour un meilleur salaire, rien que pour subvenir à ce que Lebowitz appelle des « besoins nécessaires », c.à.d. le besoin de payer son loyer ou son crédit et d’acheter assez de nourriture pour vivre, de vêtements à porter, etc. et introduit une séparation mécanique entre les besoins « nécessaires » et « sociaux ». Cela constitue cependant la base du développement par Lebowitz du cycle de « production du travailleurE » (qui serait selon lui absent du Capital) et de sa théorie correspondante de la lutte pour les salaires, deux notions qui sont au cœur de son principe selon lequel « il n’existe pas uniquement le capital pour soi, mais également le travail salarié pour soi » [90]. Il continue:

En un mot, pour satisfaire ces besoins sociaux croissants, constamment générés par le capital, il faut une lutte dans « la direction opposée » aux capitalistes. Il n’y a cependant aucune discussion dans Le Capital à propos de la lutte pour de plus hauts salaires – et il ne peut y en avoir car Le Capital assume une nécessité standard donnée, c’est-à-dire que « pour un pays et une époque donnés, la mesure nécessaire des moyens de subsistance est aussi donnée » [91]

Cet argument sur l’absence de lutte pour des salaires plus élevés n’est pas très loyal. Marx a dédié deux sessions du Conseil général de la Première Internationale, les 20 et 27 juin 1865, retranscrits ensuite comme Salaires, prix et profit, à la présentation d’arguments en faveur de l’importance de la lutte ouvrière pour les salaires. Il répondait à John Weston, un délégué ouvrier respecté, qui avait argumenté que les luttes nuisaient aux travailleurEs. Marx lui répondit que si l’ouvrier « se contentait d’admettre la volonté, le diktat du capitaliste comme une loi économique constante, il partagerait toute la misère de l’esclave sans jouir de sa sécurité. » [92] De plus, il explique :

Quand les ouvriers s’efforcent de ramener la journée de travail à ses anciennes limites rationnelles, ou encore, là où ils ne peuvent arracher la fixation légale de la journée de travail normale, quand ils cherchent à mettre un frein au surtravail par une hausse des salaires non pas calculée seulement d’après le surtravail soutiré, mais portée à un taux plus élevé, ils ne font que remplir un devoir envers eux-mêmes et envers leur race. Ils ne font que mettre des bornes à l’usurpation tyrannique du capital. Le temps est le champ du développement humain. Un homme qui ne dispose d’aucun loisir, dont la vie tout entière, en-dehors des simples interruptions purement physiques pour le sommeil, les repas, etc., est accaparée par son travail pour le capitaliste, est moins qu’une bête de somme. C’est une simple machine à produire de la richesse pour autrui, écrasée physiquement et abrutie intellectuellement [93].

Les luttes sur le temps de travail portent aussi sur le salaire et, plus important, sur le « développement humain ». Les parties 5, 6 et 7 du chapitre 10 du Capital Livre Premier traitent de la lutte pour la journée de dix heures. Dans Salaires, prix et profit, Marx conclut en disant que ces luttes ne font que limiter les dégâts causés par le capital et qu’il faudrait en fin de compte abolir le salariat lui-même [94].

Pour en revenir à l’argumentaire de Leibowitz, il présente le cycle de la « production du travailleurE » – qui « manque » dans Le Capital – en commençant par le travailleurE, inversant ainsi implicitement les rapports de pouvoir de classe dans le capitalisme :

Ce qui émerge donc de l’examen du travail salarié est la lutte des classes du côté du travailleur salarié. Il n’y a pas que le capital pour-soi, il y a aussi le travail salarié pour-soi. Contrairement à l’image présentée dans Le Capital, il existe deux « impératifs », non seulement le besoin de valorisation du capital mais aussi « le besoin du travailleurE de se développer ». Une lutte bilatérale, dans laquelle chaque côté essaie de réduire l’autre à la dépendance, est présente dans tous les aspects de la relation entre capital et travail salarié [95].

TravailleurE et capital se rencontrent sur le marché, apparemment en tant qu’êtres souverains et égaux, et le capital dépend de l’achat de la force de travail pour se reproduire. Mais ce n’est pas un échange égal, autrement le capital ne pourrait capturer de plus-value. La dépendance du travailleurE envers le besoin du capital d’acheter sa force de travail est plus grande que la dépendance du capital envers le travail. Sans un salaire, les travailleurEs ne peuvent vivre, alors qu’il existe de nombreux moyens par lesquels le capital peut s’approprier du travail sauf si les travailleurEs exercent collectivement leur pouvoir pour y mettre un point d’arrêt.

Plus important encore, le circuit de « production du travailleurE » proposé par Lebowitz (et adopté par Bhattacharya) ne peut être vu comme équivalent au cycle de production chez Marx, qui concerne la production de plus-value, l’expansion du capital. On peut mettre en valeur cette différence en observant le traitement fait par Marx de la différence entre « consommation productive » par le travailleurE et « consommation individuelle ». La « consommation productive » a lieu lorsque la travailleurE utilise des outils et des matières premières fournis par le capitaliste pour produire des marchandises qui sont ensuite vendues par le capitaliste afin de réaliser la plus-value. La « consommation individuelle », c’est lorsque les travailleurEs utilisent leurs salaires pour acheter de quoi vivre. Ils ou elles doivent ensuite retourner au travail afin de continuer le processus de la « consommation productive » et l’expansion du capital [96]. Le circuit proposé de la « production du travailleurE » est en réalité la reproduction sociale de la force de travail, et est subordonné à la sphère de la production, non équivalent à elle comme le soutient Lebowitz.

La thèse de Lebowitz sur le point faible du Capital de Marx est incapable d’expliquer l’échec de la classe ouvrière internationale à renverser le capitalisme. Il a entièrement raison de critiquer les lectures mécaniques de Marx et du Capital. Mais aucune analyse qui prétend expliquer pourquoi le capitalisme est toujours debout – vieilli, miné par les crises et infligeant d’innombrables dégâts à l’humanité et la planète – ne peut éviter d’enquêter sur les processus historiques complexes qui nous ont amenés là où nous sommes. Il est permis de douter que Marx puisse admettre la proposition idéaliste selon laquelle le manque de luttes révolutionnaires est dû à des omissions dans ses écrits. De plus, « l’écriture dans Le Capital » de Lebowitz lui-même introduit un élément volontariste unilatéral dans Marx.

Bhattacharya – construire sur Lebowitz

La collection d’essais récemment éditée par Bhattacharya, Social reproduction theory : remapping class, recentering oppression rassemble des contributions sur une gamme impressionnante de sujets allant de la crise de la santé et des soins à la sexualité. Il y a beaucoup de choses intéressantes dans toutes les contributions. Dans sa préface, Vogel présente un point central : « Sur le long terme, il faut nous délester de deux préjugés à la peau dure. Premièrement, la supposition que les diverses dimensions des différences – par exemple, race, classe et genre – sont comparables. Deuxièmement, l’implication que ces catégories variées sont équivalentes en termes de poids causal » [97]. La théorie de la reproduction sociale se donne donc pour mission de voir comment les différentes catégories s’emboîtent.

J’ai trouvé particulièrement intéressants la contribution de Salar Mohandesi et Emma Teitelman, « Without Reserves » [98], l’exposé historique de la construction de la famille ouvrière américaine et « Children, Childhood and Capitalism : A Social Reproduction Perspective » de Ferguson [99]. S’il y a une faiblesse de la collection dans son ensemble, c’est le manque de connexion avec des luttes concrètes, sauf dans le cas de la contribution finale de Cinzia Arruzza sur la Women’s Strike de 2017. Ce qui suit se focalise sur l’introduction de Bhattacharya et sur sa contribution « How Not To Skip Class : Social Reproduction of Labour and the Global Working Class » [100], qui pose un cadre théorique pour les autres contributions de la collection ainsi que pour ses propres présentations à la conférence “Capital.150” au King’s College à Londres en septembre 2017 et à Marx is Muss à Berlin en 2018.

Le point de départ de Bhattacharya est le suivant : « Depuis sa formation, mais en particulier depuis la fin du 20e siècle, la classe ouvrière internationale fait face à un énorme défi – comment surmonter ses propres divisions pour apparaître en ordre de bataille afin de renverser le capitalisme. » [101] Elle souhaite contrer tous ceux qui nient la classe ouvrière en tant que potentiel sujet révolutionnaire, et fournir des arguments dans ce sens [102]. Son affirmation majeure est que « ce que ces nombreuses condamnations [du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière] ont en commun est une incompréhension partagée de ce que la classe ouvrière est vraiment » [103]. Bhattacharya propose que « la clé pour développer une compréhension de la classe ouvrière (…) soit le cadre de la reproduction sociale » et qu’il soit « essentiel de se rendre compte que les ouvriers et les ouvrières ont une existence en-dehors du lieu de travail ». Ceci signifie à son tour que : « Le défi théorique se trouve dans la compréhension de la relation entre cette existence et celle de leurs vies productives sous la domination directe du capitaliste ». Elle continue: « A son tour, la relation entre ces sphères nous aidera à envisager les directions stratégiques de la lutte des classes » [104].

Bhattacharya marche dans les pas de Lebowitz en arguant que la reproduction de la force de travail doit être vue comme un second circuit du capital. Elle propose que la sphère de la reproduction [de la force de travail] et la sphère de production ne soient pas vues comme « discrètes » [c.à.d. distinctes et bien définies, NdT] mais comme « unies » [105]. Cela pose la question de la définition de l’unité : les deux sphères ont elles des poids équivalents, ou l’une domine-t-elle l’autre ? Comme je l’ai déjà souligné, ces deux circuits ne sont pas équivalents, la formulation de Bhattacharya peut donc prêter à confusion entre l’exploitation et l’oppression.

Bhattacharya développe son argument en suivant le schéma de Lebowitz selon lequel le capitalisme génère constamment de nouveaux besoins, et donc que la valeur de la force de travail est élastique et peut uniquement être décidée dans une lutte entre les travailleurEs et le capital : « La travailleuse, à cause de la nature même du processus, est toujours reproduite en tant que personne qui manque de ce dont elle a besoin, et donc il existe dans la matière même du travail salarié une lutte pour de plus hauts salaires : la lutte des classes » [106]. Elle reprend de Lebowitz la notion que « le but préconçu de la production » de la travailleurE est « ce que Marx a décrit comme “le besoin de développement de la travailleuse” » [107].

Bhattacharya situe le besoin de basculer au-delà du lieu de travail dans la faiblesse actuelle des luttes ouvrières sur le site de production :

À n’importe quel moment donné de l’histoire, une classe ouvrière peut être capable ou incapable de lutter pour les salaires sur le site de production (…) ces batailles peuvent émerger loin du site de production, tout en reflétant les besoins et les impératifs de la classe. En d’autres termes, là où une lutte pour un salaire plus élevé est impossible, des luttes de types différents, situées autour du circuit de la reproduction sociale, peuvent éclater [108].

Elle donne pour exemple les luttes pour l’eau à Cochabamba et en Irlande, contre les expulsions en Inde ou pour le logement en Grande-Bretagne.

Il ne devrait y avoir aucun doute sur le besoin d’initier des luttes là où c’est possible, et de rejoindre les luttes initiées par d’autres, qu’elles trouvent leurs origines sur le lieu de travail ou dans la rue, qu’elles soient des luttes autour des conditions de travail ou pour le logement, l’eau, l’avortement, contre la fermeture d’hôpitaux, etc. Marx lui-même a cru qu’une manifestation de masse contre les lois de vente de l’alcool en 1855 pourrait marquer le début d’une révolution anglaise [109].

Il existe cependant un bon nombre de choses passées sous silence dans l’exposé de Bhattacharya (et de Lebowitz). Bhattacharya ne discute pas des forces et faiblesses de divers mouvements sociaux. Parfois un mouvement de rue peut parvenir à atteindre ses objectifs, comme les mouvements antifascistes en Grande-Bretagne dirigés par l’Anti-Nazi League (ANL) et Unite Against Fascism (UAF) dans les années 1970, 1990 et au début des années 2000, ainsi que le mouvement contre la « Poll Tax » en 1990 [110]. Par contre, le mouvement Stop the War, qui a mobilisé entre un et deux millions de personnes en 2003, n’a pas pu empêcher le premier ministre Tony Blair d’envahir l’Irak. 

Confrontée par un mouvement qui affronte le capital, la classe dirigeante peut laisser passer l’orage des masses dans la rue si la classe ouvrière n’utilise pas son pouvoir collectif pour la défier. Voyez la différence entre le Printemps arabe en Tunisie et en Égypte, où l’implication de la classe ouvrière et la peur de luttes ouvrières ont fait basculer les deux sociétés dans un processus révolutionnaire, contrairement à la Syrie où la classe ouvrière ne s’est pas engagée collectivement de la même manière. La centralité du lieu de travail n’est donc pas une fixation sur un type particulier d’ouvrierE, mais une fixation sur le lieu où le pouvoir se concentre dans la société. Bhattacharya a évidemment raison d’insister sur le fait que la lutte pour les salaires est insuffisante si elle ne se généralise pas en une bataille contre le capital lui-même. Il est donc étrange que, si Lebowitz mentionne la critique des syndicats faite par Rosa Luxemburg [111], ni lui ni Bhattacharya n’étudient la manière dont les mouvements sur les lieux de travail peuvent déborder en des luttes politiques plus larges, comme Luxemburg a pu le faire en analysant la dynamique de la révolution russe de 1905 dans son pamphlet Grève de masse [112]. On peut expliquer cette absence chez Lebowitz par sa conviction de la capacité des bureaucraties syndicales à empêcher de tels débordements, et parce qu’il pense que les mouvements sociaux sont plus importants car ils se focalisent sur le pouvoir du capital en général [113]. Chez Bhattacharya, l’objectif des mouvements sociaux et la question de leur intégration – ou pas – dans une lutte pour le pouvoir ouvrier reste ouverte. Nulle part trouve-t-on une discussion sérieuse du rôle de la bureaucratie syndicale, ni de l’impact des organisations réformistes sur le développement de la conscience et des luttes de la classe ouvrière. Une focalisation exclusivement dirigée sur les mouvement sociaux peut indiquer une prise de distance avec la vision qui met la saisie directe des moyens de production, la destruction de la vieille machine d’état et le développement d’un état ouvrier au centre des objectifs d’un mouvement révolutionnaire.

Bhattacharya confond d’autres aspects entre eux : ce pour quoi les ouvrierEs luttent, comment ils et elles le font et l’état général de la lutte des classes. Il est vrai que les organisations de la classe ouvrière ont été considérablement affaiblies aux USA et en Grande-Bretagne. Mais ce pour quoi les ouvrièrEs luttent n’est pas simplement une conséquence de la force ou la faiblesse de leurs organisations, et il n’est pas non plus écrit que les luttes sur les sites de production se réduisent à la lutte pour les salaires. Commençons par le dernier point : l’occupation des chantiers navals de l’Upper Clyde Shipyards en 1971 s’est faite pour défendre des emplois, et a signalé le début d’une vague de luttes ouvrières dans toute la Grande-Bretagne qui s’est articulée autour des salaires, des emplois, de la législation syndicale, de l’emprisonnement de dirigeants des dockers et enfin contre le racisme. Les femmes et les travailleurEs immigréEs ont aidé à construire la vague montante des luttes ; Yuri Prasad a déjà montré dans cette revue le rôle essentiel joué par les travailleurEs asiatiques [114]. La grève générale de 1968 en France a été déclenchée par la solidarité avec les étudiantEs contre les violences policières. De plus, il y a des mouvements sociaux autour de l’eau, la terre, le logement et la pollution qui ne dépendent pas de l’état de la lutte des classes – mais l’utilisation ou non de l’arme de la grève afin de soutenir ces demandes fait une grande différence. Le mouvement en Grèce qui a soutenu Syriza contre la Troika et l’UE a pris des proportions menaçantes précisément à cause du mouvement de grève qui l’a soutenu.

Des révolutionnaires n’auront pas de désaccords sur l’importance des luttes que Bhattacharya souligne, ni sur le fait que ces luttes sont, de façon générale, des luttes de classes. Lorsqu’elle propose : « (a) une réaffirmation théorique de la classe ouvrière comme sujet révolutionnaire ; (b) une compréhension de la classe ouvrière plus large que les personnes qui sont salariées à un moment donné ; et (c) une reconsidération de la signification de la lutte des classes pour l’élargir au-delà de la lutte pour les salaires et les conditions de travail » [115], il semble difficile d’exprimer des désaccords avec ces propositions.

Il est, néanmoins, utile de regarder de plus près ce que Bhattacharya entend par « une compréhension de la classe ouvrière plus large que les personnes qui sont salariées à un moment donné » :

Pour unE marxiste révolutionnaire, la classe ouvrière doit être perçue comme tous les membres de la classe productrice qui ont, au cours de leur vie, participé à la totalité de la reproduction de la société – indépendamment du fait que ce travail ait été rémunéré par le capital ou pas. Une telle vision intégrante de la classe réunit le ou la travailleuse temporaire hispanique dans un hôtel de Los Angeles, la mère travailleuse de l’Indiana en contrat flexible, contrainte de rester chez elle à cause du coût élevé de la garde d’enfants, l’enseignantE afro-américainE à plein temps à Chicago, et l’homme blanc au chômage, ancien membre de l’Union des Travailleurs de l’Automobile (UAW) à Détroit [116].

Il est évident que toutes ces personnes mentionnées par Bhattacharya font partie de la classe ouvrière. Mais il existe une tendance générale à exagérer le degré de précarisation de la classe ouvrière, tendance que la présentation faite par Bhattacharya semble renforcer plutôt que critiquer, ainsi qu’une tendance à la sous-estimation des possibilités ouvertes par la lutte collective et qui ignore le potentiel créé par la restructuration du capitalisme américain. Kim Moody écrit:

Un des résultats du processus d’accumulation en cours et du surcroît de flexibilité demandé à la main-d’œuvre dans le cadre de la « lean production », ainsi que la croissance des chaînes d’approvisionnement globales dans les services et la production, a été l’extension de l’emploi précaire ou intérimaire, comme les contrats d’agence, les contrats courts, les contrats « auto-entrepreneur » fictifs, le travail à temps partiel imposé (pour des raisons économiques à celles et ceux qui voudraient travailler à plein temps), etc… Cependant, il est surprenant de constater que la proportion de travailleurEs précaires n’a presque pas augmenté, de 15.2% en 1995 à 15.5% en 2005, selon les dernières statistiques du BLS [Bureau of Labor Statistics] [117].

Moody estime que 85% des travailleurEs sont toujours dans ce qu’il appelle des modalités d’emploi « traditionnelles » et que la tendance est similaire au Canada et en Europe. L’émergence du « précariat », selon Moody, n’a pas du tout changé le nombre total de travailleurEs qui ont toujours eu à combiner plusieurs emplois afin de gagner de quoi vivre [118].

De plus, la restructuration du capital aux USA a créé de nouveaux centres d’accumulation, avec d’énormes concentrations de travailleurEs dans les chaînes d’approvisionnement réorganisées qui jouent un rôle crucial dans les processus de « lean production ». Ces concentrations de travailleurEs productiVes (atteignant souvent les 100 000 personnes) sont « mal payéEs et considéréEs dispensables » car les centres logistiques dans des endroits comme Chicago et Los Angeles se trouvent près de grandes concentrations de populations pauvres, afro-américaines et hispaniques, avec des taux de chômage ou de sous-emploi élevés, qui forment une source intarissable de main-d’œuvre bon marché [119]. Ces travailleurEs, noirEs, hispaniques, femmes et hommes, détiennent un potentiel pouvoir économique significatif. Comme le dit Moody : « ces centres sont les sites au plus grand potentiel de pouvoir immédiat, d’intégration raciale et de genre et aussi les berceaux les plus probables pour la démocratie directe » [120].

Des secteurs employant un grand nombre de femmes immigrées mal payées ont effectivement connu des luttes impressionnantes dans un passé récent. En 2015, 80% des travailleurEs hôtelierEs étaient syndiquéEs [121]. Comme l’écrit Julie Sherry : « On estime à 19 millions le nombre de travailleurEs aux USA ayant obtenu un total de 61,5 milliards de dollars en augmentations depuis le début de la “Fight for $15” en 2012. De nos jours, les 15$ sont le salaire horaire minimum imposé par la loi en Californie et dans l’État de New York. C’est la loi pour les travailleurEs des maisons de retraite et des hôpitaux à Seattle et en Pennsylvanie, et pour les employéEs municipales dans d’innombrables autres villes ». La campagne Fight for $15 a une dimension politique et anti-raciste : « Dès le début, les travailleurEs elles-mêmes ont perçu leurs grèves comme marchant dans les pas du mouvement des droits civiques, adoptant au passage son langage pour leur propre campagne. » [122]

En Grande-Bretagne, la lutte pour les retraites des travailleurEs universitaires au printemps 2018 nous offre le meilleur exemple de la manière dont une force de travail diverse, qui inclut un grand nombre de « précaires » à contrat à durée déterminée, peuvent efficacement utiliser l’arme de la grève. La grève a défié l’agenda néolibéral, politisant et radicalisant au passage des milliers de nouvelles et de nouveaux travailleurEs. Elle combina des problèmes purement éducatifs avec des problèmes liés aux conditions contractuelles des travailleurEs universitaires, tout en ramenant à la surface de « vieilles » problématiques comme les différentes perspectives qui émergent pendant une grève entre la base qui entend bien gagner et la bureaucratie syndicale qui cherche surtout à négocier un accord de fin de grève [123].

La contribution de Cinzia Arruzza, « From Social Reproduction Feminism to the Women’s Strike », en l’absence de contre-exemple donné par Bhattacharya ou d’autre contributeurs ou contributrices, brouille la question du pouvoir de la classe ouvrière. Comme Arruzza l’explique, la grève des femmes durant la journée internationale des femmes en 2017 s’est donnée comme nom « Un jour sans les femmes ». « Adopter le mot grève visait à mettre en valeur le travail effectué par les femmes non seulement sur leur lieu de travail mais aussi en-dehors, dans la sphère de la reproduction sociale. » [124] Les organisatrices ont encouragé les femmes à prendre un jour de congé, que ce soit au travail ou au foyer, afin de visibiliser le travail accompli quotidiennement par les femmes. Arruzza situe l’utilisation d’une grève des femmes dans le contexte d’un bas niveau d’organisation syndicale et d’un nombre peu élevé de grèves sur les lieux de travail.

A l’international, la journée fut un grand succès, mobilisant des femmes à travers le monde, des USA à Tokyo, en passant par la Pologne, l’Irlande, l’Australie, le Brésil, l’Argentine, la Turquie, le Liban, la Thaïlande, les Philippines, l’Inde et Nairobi [125]. Cependant, alors qu’une absence du lieu de travail peut être couronnée de succès en tant que tactique, il faut bien syndiquer les travailleuses non-syndiquées, et les travailleuses doivent pouvoir mener l’argument pour que toute la force de travail, femmes et hommes, fasse grève autour de demandes variées, que ce soit la discrimination sexiste ou les salaires, et non se contenter de s’absenter toutes seules du lieu de travail. Toute une force de travail en grève fait plus de mal aux capitalistes qu’une absence d’une partie de la force de travail basée sur le genre. Les grèves servent à éduquer les travailleurEs sur leur potentiel à changer le monde et peut mettre en branle un processus qui transforme les travailleuses et les travailleurs d’objets de l’histoire en sujets de l’histoire. Ils et elles peuvent frapper le capital au cœur d’une manière dont un simple mouvement social est incapable. C’est pourquoi les révolutionnaires doivent encourager les travailleurEs à construire leurs propres mouvements sociaux et à devenir « la tribune des oppriméEs » [126].

Comprendre le racisme

La théorie de la reproduction sociale (TRS) a émergé du besoin d’expliquer l’oppression continue des femmes sous le capitalisme, mais se voit maintenant étendue en tant que cadre de travail pour comprendre le racisme et les autres sources de division entre les travailleurEs. Dans sa contribution à la conférence au King’s College, Bhattacharya a indiqué que : « La force de travail, comme le montre la TRS, peut uniquement se rendre disponible au capital à travers un ensemble distinct mais fiable de relations sociales genrées et racisées qui créent leurs propres formes de subsistance institutionnelle. » [127] Elle critiqua Johanna et Robert Brenner pour leur conception qui considère la compétition entre travailleurEs à l’origine des divisions [128], indiquant que : « tout en étant d’accord avec les grandes lignes de leur exposé, je pense que la TRS nous incite à pousser plus loin la question de la différentiation pour la planter non au niveau du marché du travail qui exprime le prix de la force de travail, mais au niveau de la production de la valeur de la force de travail » [129]. Pour Bhattacharya : « la différenciation de la classe ouvrière est produite et maintenue à des niveaux cellulaires du système » [130].

Bhattacharya s’appuie beaucoup sur certains aspects des écrits de Marx à propos des travailleurEs irlandaisEs et anglaisEs pour soutenir, premièrement, que les « impératifs nécessaires » pour certainEs travailleurEs peuvent être différents de ceux d’autres travailleurEs, selon leurs différences ethniques. « La travailleuse irlandaise, en contraste direct avec son homologue anglaise, incarnait, pour Marx, la production de la différence, puisque la travailleuse irlandaise était au “niveau de travail salarié” qui accepte “le minimum le plus animal des besoins, des moyens de subsistance” dans son échange avec le capital » [131]. Deuxièmement, Bhattacharya affirme que : « La diminution de la valeur pour une section de la classe ouvrière crée des réflexes conditionnés pour toutes les autres sections, puisque les bas salaires de certainEs permettent au capital de rationaliser et de baisser les salaires pour touTEs les travailleurEs. La reproduction sociale dégradée des travailleurEs raciséEs aide donc à établir un régime de salaires diminués pour touTEs ». Ceci peut mener à une diminution des besoins nécessaires de touTEs les membres de la classe et donc à la diminution de la valeur de la force de travail pour toute la classe [132]. À une autre occasion, Bhattacharya affirme que le niveau de la lutte des classes est un déterminant clé de la valeur de la force de travail :

Évidemment, Marx ne croyait pas que la valeur de la force de travail de la travailleuse irlandaise était une constante qui restait inférieure à celle de son homologue anglaise à cause de l’ethnicité. C’était plutôt un résultat de la lutte de classes, ou de son absence, et c’était les travailleuses anglaises qui avaient besoin de comprendre le caractère commun de leur intérêt de classe avec les Irlandaises contre le capital dans son ensemble [133].

Cet exposé soulève un bon nombre de questions complexes autour de la formation de la valeur de la force de travail, de l’impact des grèves sur la valeur de la force de travail [134] et du rôle des travailleurEs d’ethnicités différentes dans la formation de la valeur de leur force de travail. Mais il laisse de côté d’autres facteurs comme le rôle joué par la classe dirigeante dans la formation de l’idéologie raciste et le rôle de l’état dans la mise en place de divisions racistes. 

Expliquant l’antagonisme entre les travailleurEs anglaisEs et irlandaisEs, Marx écrit dans sa lettre à Sigfrid Meyer et August Vogt que :

Cet antagonisme est entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les revues humoristiques, bref par tous les moyens dont disposent les classes au pouvoir. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de son organisation. C’est aussi le secret de la puissance persistante de la classe capitaliste qui s’en rend parfaitement compte [135].

C’était déjà le cas avant le temps de Marx, avec le développement de l’idéologie raciste pour justifier l’esclavage sur les plantations d’Amérique du Nord et des Caraïbes, et ça reste valable aujourd’hui. De nos jours, les médias de masse, si ce n’est les chaires, jouent un rôle indispensable dans la propagation d’idées racistes dans le cadre d’arguments idéologiques fournis par la classe dirigeante, comme par exemple la diabolisation de l’islam et des musulmanEs, des travailleurEs immigréEs, des réfugiéEs et des demandeurEs d’asile, en d’autres termes peu importe le dernier groupe à servir de bouc émissaire dans la société [136]. Ne pas mentionner le rôle joué par la classe dirigeante dans la promotion du racisme laisse le champ libre aux points de vue qui considèrent le racisme comme étant la responsabilité de la classe ouvrière [137].

Le second aspect laissé de côté par Bhattacharya dans son exposé est le rôle de l’état ; les états capitalistes peuvent en même temps recruter activement des travailleurEs en-dehors de leurs frontières et réguler le mouvement des travailleurEs immigréEs à travers des lois sur l’immigration, des quotas et des conditions pour l’accès à la citoyenneté. Phil Marfleet met en valeur l’aspect contradictoire de l’approche par le capital américain du travail immigré :

Les migrantEs non régulariséEs font partie intégrante du capitalisme américain. Leur présence est également mobilisée idéologiquement pour appuyer des campagnes d’exclusion, devenant une partie du répertoire du nationalisme conservateur, de l’extrême droite et des courants crypto-fascistes. Cela reflète une contradiction évidente depuis la formation de l’état-nation moderne. La recherche du profit (« le marché ») façonne des modèles d’exploitation de la classe ouvrière. En même temps l’état-nation a besoin d’idéologies basées sur des notions d’inclusion et d’exclusion [138].

Mais le rôle de l’état, en plus de la mobilisation d’idées racistes, est crucial pour comprendre ce qu’affirme Bhattacharya sur l’impact des « impératifs nécessaires » plus bas d’ouvrièrEs d’une certaine ethnicité par rapport à ceux d’une autre. Les lois Jim Crow ont institutionnalisé les divisions racistes dans les états du Sud des USA vers la fin du 19e siècle, menant à des salaires plus bas pour les ouvrièrEs noirEs par rapport aux blancHEs, mais aussi à des salaires plus bas pour les ouvrièrEs du Sud dans son ensemble par rapport à celles et ceux du Nord. De la même manière, une des forces motrices dans l’Apartheid en Afrique du Sud était de limiter la capacité des noirEs à rivaliser en tant que fermièrEs ou travailleurEs. Le résultat fut un énorme gouffre entre les besoins socialement reconnus des NoirEs et des BlancHEs, mais qui résulte d’un ensemble de processus : économiques, politiques et idéologiques [139].

Dans des circonstances différentes, le travail immigré n’a pas le même impact. Durant la croissance de l’après-guerre en Grande-Bretagne, l’afflux massif de travailleurEs immigréEs n’a pas causé une baisse généralisée des salaires ou du niveau de vie moyen, qui ont continué à croître jusqu’à l’arrivée du gouvernement Labour (travailliste) de 1974-1979 [140]. La clé de la baisse du niveau de vie était le rôle de la bureaucratie syndicale qui a persuadé les travailleurEs d’accepter la politique des revenus du Labour, tout en encourageant des ruptures de grève à des moments et des endroits précis [141]. La montée du racisme encouragée par l’émergence du National Front eut sans aucun doute un impact dans la société mais n’a pas constitué un mécanisme clé dans la baisse du niveau de vie. 

La main-d’œuvre qualifiée immigrée comme les enseignantEs et les médecins recrutéEs dans les services d’éducation et de santé de Grande-Bretagne n’a pas causé de baisse de salaires, malgré le fait que leurs coûts de reproduction initiaux avaient été plus bas que ceux de la Grande-Bretagne car ils venaient pour la plupart de pays moins développés [142]. Une enquête récente sur la main-d’œuvre venant de l’UE en Grande Bretagne conclut que : « La grande majorité des 3,6 à 3,8 millions de citoyenNEs de l’UE dans le pays occupent des positions qualifiées, et 537 000 occupent des positions “hautement qualifiées” avec des diplômes de l’enseignement supérieur » [143]. Certains secteurs de l’industrie dépendent effectivement d’un afflux de travailleurEs mal payéEs, mais se focaliser sur les travailleurEs sous-payés tend à détourner l’attention de ceux qui sont responsables des bas salaires, des mauvaises conditions de travail, des logements insalubres, etc. – la classe capitaliste qui recrute activement les travailleurEs immigréEs.

Dans la conclusion de sa contribution à Marx is Muss 2018, Bhattacharya affirma qu’il n’existait pas de théorie de l’oppression chez Marx (sauf pour l’oppression nationale) et qu’à la fois l’oppression et l’exploitation provoquent la division. L’oppression divise en effet hommes et femmes, hétéros et LGBT+. Il est également vrai qu’être une femme ne signifie pas que la solidarité avec les MusulmanEs soit automatique, ni que la solidarité entre MusulmanEs et NoirEs, ou des homosexuelLEs avec les personnes trans soit automatique. 

Mais Marx a bien pris position sur la relation entre oppression et exploitation. Dans les « Statuts de l’Association Internationale des Travailleurs », écrits pour la Première Internationale, Marx écrit que « l’assujettissement économique du travailleur au détenteur des moyens du travail, c’est-à-dire des sources de la vie, est la cause première de la servitude dans toutes ses formes, de la misère sociale, de l’avilissement intellectuel et de la dépendance politique » [144]. En d’autres termes, l’exploitation est la pierre angulaire de toutes les formes d’oppression. Dans L’Idéologie allemande, Marx et Engels sont assez explicites quant à la nature accessoire de la famille dans la société de classes : Cette famille, qui est au début le seul rapport social, devient par la suite un rapport subalterne (sauf en Allemagne), lorsque les besoins accrus engendrent de nouveaux rapports sociaux et que l’accroissement de la population engendre de nouveaux besoins » [145].

Dans les mêmes « Statuts de l’Association Internationale des Travailleurs », Marx exprima clairement que la lutte politique pour vaincre l’oppression devait s’attaquer au contrôle des moyens de production :« Que, par conséquent, l’émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen. » [146]. Cela ne signifie pas que la gauche ignore l’oppression sous toutes ses formes mais que les marxistes doivent se battre pour que le mouvement ouvrier prenne à bras le corps toutes les manifestations d’oppression comme faisant partie de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir et la fin de toute exploitation. La Seconde Internationale, à son congrès de Stuttgart en 1907, a passé en revue la question des travailleurEs immigréEs, adoptant certaines demandes clé qui gardent toute leur utilité aujourd’hui : l’ouverture des frontières et la fin de toutes les restrictions basées sur l’ethnicité au droit d’installation dans un pays, ou à l’égalité des droits économiques, sociaux et politiques [147]. Comme l’exprima Karl Liebknecht, dirigeant révolutionnaire allemand : « Non à l’épée de Damoclès de la déportation ! » [148].

Conclusion

La théorie de la reproduction sociale est un pas en avant par rapport à l’intersectionnalité, se référant à Marx et au Capital comme point de départ pour comprendre l’oppression des femmes. Vogel offre une analyse de la position contradictoire du capital par rapport au travail des femmes, mais il existe des faiblesses dans ses présuppositions sur la nature de la grossesse et de l’accouchement à travers toutes les sociétés de classes ainsi que dans son rejet d’Engels. Sa discussion autour des droits égaux et du besoin d’un mouvement des femmes traversant les classes mène à la subordination des intérêts des femmes de la classe ouvrière à d’autres classes dans la société. 

La TRS version Bhattacharya finit par placer la reproduction de la force de travail au même niveau que la production, masquant les véritables rapports de force dans la relation capital-travail et brouillant la relation de subordination de l’oppression à l’exploitation. En même temps, elle compromet la compréhension du pouvoir des travailleurEs organiséEs sur le site de production comparé à des mouvements sociaux en-dehors du lieu de travail. Son argument (et les argumentations similaires faites par d’autres) selon lequel les marxistes devraient prendre les mouvements sociaux au sérieux masque la véritable discussion la localisation des lieux de pouvoir dans la société. L’analyse du racisme est faible et contribue peu au travaux approfondis d’autres marxistes. 

La TRS a longtemps été un outil additionnel dans la boîte marxiste et peut continuer à jouer ce rôle, à condition de ne pas être utilisée pour émousser ou se substituer aux autres outils que Marx (et Engels) nous ont légués. Il nous faut construire sur l’affirmation d’Engels : « l’affranchissement de la femme a pour condition première la rentrée de tout le sexe féminin dans l’industrie publique et (…) cette condition exige à son tour la suppression de la famille conjugale en tant qu’unité économique de la société. » [149]. Les marxistes attiréEs par la TRS doivent regarder plus loin que Le Capital vers d’autres écrits de Marx et d’Engels. Les marxistes peuvent se passer d’introduire des ambiguïtés dans leur compréhension de la lutte des classes et de la relation entre exploitation et oppression, une ambiguïté qui n’est pas présente chez Marx. 

Sheila McGregor est une membre de longue date du SWP et une collaboratrice régulière à la revue International Socialism.
Traduit par JB

Notes

[1] Cet article est le produit de discussions approfondies. Un grand merci en particulier à Sue Caldwell, Alex Callinicos, Joseph Choonara, Kevin Corr, Gareth Jenkins, Volkhard Mosler, Rosie Nünning et Camilla Royle.

[2] Vogel (2017), p. x.
Les citations issues d’ouvrages non traduits en français ont été traduites par nous-mêmes [NdT]

[3] Susan Ferguson sépare les féministe intersectionnelles en deux groupes principaux : celles qui reconnaissent la totalité au sein de laquelle les oppressions sont créées et celles qui considèrent l’interconnexion des oppressions mais pas comment elles sont incorporées dans une totalité – Ferguson (2016). À mon avis, il demeure au sein du premier groupe une ambiguïté dans la compréhension de la structure capitaliste sur le moteur essentiel de l’oppression.

[4] Voir Choonara et Prasad (2014) pour une analyse complète des théories du privilège et de l’intersectionnalité.

[5] David McNally analyse le développement de la TRS comme : « la perspective la plus prometteuse pour celles et ceux intéresséEs par une théorie matérialiste historique des oppressions multiples dans la société capitaliste » – McNally (2017), p. 94.

[6] Il est courant de se référer aux « vagues » du féminisme. À mon avis, ceci mène à un aplatissement des différences réelles entre les différents mouvements. Le mouvement des Suffragettes ou « première vague du féminisme » n’était pas pour le renversement du capitalisme comme on a pu voir le mouvement de libération des femmes, la « seconde vague du féminisme », être partie prenante de la lutte pour le socialisme. La terminologie de « vague » sert uniquement à faire disparaître la centralité de la classe et du combat contre le capitalisme et à créer l’impression que les mouvements des femmes sont comme des vagues qui apparaissent, échouent sur le rivage et disparaissent.

[7] Vogel (2014). À l’origine publié en 1983, il a été réédité avec une introduction de Susan Ferguson et David McNally.

[8] Lebowitz (2003) ; Bhattacharya (2017a, 2017b et 2017c).

[9] Bhattacharya a expliqué l’intérêt répandu pour la TRS par la nature des luttes actuelles lors de Marx is Muss 2018 à Berlin. La vidéo de la session peut être trouvée sur le site de Marx21 : www.marx21.de/das-war-marx-is-muss-2018-videos/

[10] Fine (2017)

[11] Bhattacharya (2017b). Pluto Press a annoncé le lancement d’une série de nouveaux livres Cartographie de la Théorie de la Reproduction Socialequi seront édités par Bhattacharya and Ferguson.

[12] Foster et Clark (2018).

[13] Voir Barrett (1980), p. 258-259 ; Cliff (1984), chapitres 10 et 11 ; Mitchell (1971), chapitre 10 ; Rowbotham (1977), postface.

[14] Bhattacharya (2017b), p. 6.

[15] Fine (2017).

[16] Hartmann (1979) ; Mitchell (1971).

[17] Brenner et Ramas (1984) (reproduit dans Brenner (2000)) ; Barrett (1980). C’est une simplification excessive des idées de Barrett, mais je veux me concentrer sur Brenner et Ramas pour les objectifs de cet article.

[18] Brenner et Ramas, dans Brenner (2000), p. 27-32.

[19] German (1989), p40. Voir aussi Cliff (1984), Harman (1984), McGregor (2013) et Orr (2015). Une certaine compréhension de la famille et de l’oppression des femmes à la base des écrits de la révolutionnaire allemande Clara Zetkin, de la pratique du Parti bolchevik et du travail du gouvernement révolutionnaire à ses débuts en Russie après 1917.

[20] Brenner et Ramas (1984), reproduit dans Brenner (2000), p27. À noter la référence de Brenner et Ramas à l’impact sur la famille des changements dans les forces de production. Voir aussi l’analyse de Chris Harman également écrite en 1984.

[21] Vogel (2014), p. 144. 

[22] Bruegel (1978). L’analyse de Bruegel était une référence pour German et Harman qui ont également insisté sur le fait que la famille ouvrière n’était pas la seule façon d’organiser la reproduction de la classe ouvrière.

[23] Vogel (2014), p. 145.

[24] Gimenez (2005), p. 19. Gimenez justifie son utilisation du « mode » en citant entre autres Engels et en utilisant le terme de la même façon qu’Engels. Cependant, d’autres ont par le passé utilisé les références d’Engels au mode de reproduction pour justifier une approche des « systèmes doubles » de l’analyse de l’oppression des femmes. Pour une critique d’une telle utilisation par Hartmann, voir Harman (1984)

[25] Gimenez, 2005, p. 20.

[26] Gimenez (2005), p. 20. Ceci va à l’encontre des vues de Bhattacharya et Lebowitz. Voir la discussion ci-après. 

[27] Harman (1984), p. 9.

[28] Brenner et Ramas (1984), reproduit dans Brenner (2000), p. 29.

[29] Voir German (1989), deuxième partie, pour une analyse plus détaillée de ce processus. 

[30] Bruegel dit la même chose – Bruegel (1978).

[31] Brenner et Ramas (1984), in Brenner (2000), p. 29.

[32] Harman (1984), p10. Voir aussi les commentaires de Marx concernant l’augmentation du surplus rendue possible en aspirant touTEs les membres de la famille dans la population active, Marx (1976), chapitre 15, section 3, p518.

[33] Vogel (2014), p. 161-162. Voir aussi Vogel (2014), p. 159-161 pour examiner plus avant l’impact de l’accumulation sur la reproduction sociale.

[34] C’est un domaine complexe dans la mesure où les travailleurs sociaux, les infirmiers etc. travaillent souvent à domicile en tant que travailleurs payés.

[35] Moody (2017), p. 20. Merci à Gareth Jenkins pour avoir attiré mon attention sur ce passage du livre de Moody.

[36] Vogel (2014), p. 21. Vogel, à mon avis de façon erronée, se réfère à toutes les sociétés de classes et pas seulement au capitalisme. 

[37] Vogel (2014), p. 15. À certains moments Vogel semble parler du mode capitaliste de production, comme à la p144, et à d’autres elle fait référence à toutes les sociétés de classes.

[38] Vogel, 2014, p. 152.

[39] Ferguson, 2008, p. 50.

[40] Vogel, 2014, p. 65.

[41] Engels (1884). Voir Ginsburgh (2014), pour une discussion sur le traitement d’Engels par Vogel et voir McGregor (2015) pour une discussion sur son traitement par Brown (2013).

[42] Paddy Quick distingue les sociétés pré-classistes et de classes mais Vogel ne donne pas son propre point de vue – Vogel (2014), p. 150, note 18.

[43] Une grande partie des données dans Engels sont périmées, y compris sa compréhension de la division « naturelle » du travail entre les femmes et les hommes. Cependant, sa compréhension que les relations étaient égalitaires entre les hommes et les femmes dans les premières sociétés et que c’était le contrôle sur la production de surplus qui a mené à la subordination des femmes est juste. Harman s’appuie sur une mine de renseignements, y compris le travail de marxistes comme Eleanor Burke Leacock et l’archéologue Gordon Childe, pour expliquer l’origine de l’oppression des femmes. L’analyse de Harman constitue toujours un bon point de départ pour comprendre l’émergence de l’oppression des femmes et la solidité du travail d’Engels – Harman (1994). Au contraire, localiser l’oppression des femmes dans la capacité biologique de reproduction peut conduire à l’idée que pour remettre en cause l’oppression des femmes il faut contester son rôle reproductif dans la société tout en ignorant la sphère de la production.

[44] Vogel (2014), p. 150. Paddy Quick, qui semble une bonne activiste, était manifestement maoïste quand elle a écrit son analyse. Voir Quick (1977)

[45] Vogel (2014), p. 93.

[46] Vogel (2014), p. 79, c’est moi qui souligne.

[47] Ceci vaut pour les nombreux passages à la fois chez Quick et Vogel, dans lesquels il n’est pas entièrement clair s’ils se réfèrent au capitalisme ou aux sociétés de classes en général.

[48] C’est une remarque faite par Linda J Nicholson dans sa recension du livre de Vogel dans The Women’s Review of Books –  Nicholson (1984). Voir aussi la recension de Brenner – Brenner (1984). L’approche de Vogel est façonnée par la compréhension de Marx par Althusser, comme elle l’explique elle-même dans l’annexe « Domestic Labour Revisited », Vogel (2014), p. 187.

[49] Engels (1876).

[50] Heather Brown discute cela en détail. Voir Brown (2013), p. 17-27.

[51] Marx (1975 [1867]), p. 180. 
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-7.htm

[52] Vogel (2014), p. 147.

[53] Engelmann a également remarqué : « les accidents arrivent rarement ; ainsi un médecin me dit que durant un séjour de huit ans parmi les Indiens canadiens, il n’avait connu aucun accident et n’avait entendu parlé d’aucune mort en couche. Un autre professionnel, qui a vécu pendant 3 ans avec les Indiens d’Oregon, n’a été au courant d’aucune irrégularité durant cette période, et n’a jamais été appelé pour une opération plus sérieuse que la rupture des membranes » – Engelmann (1883), p. 8.

[54] Vogel pourrait répliquer qu’elle se réfère seulement aux sociétés de classes, mais en détruisant le récit d’Engels dans le chapitre six : « Engels : a Defective Formulation », elle laisse le lecteur sans analyse des sociétés pré-classistes – Vogel (2014).

[55] « Les précautions médicales sont minimales. La mère va probablement être à la chasse, ou quelque part sur un chemin quand la naissance a lieu ; il n’y a aucune diminution d’activité pour elle pendant la grossesse. On dit que l’accouchement est effectué facilement, avec seulement rarement des complications … si la naissance a eu lieu sur les routes, elle continuera son voyage » -Turnbull (1965), p. 129.

[56] Vogel (2014), p. 153.

[57] Davis (1983), p. 13.

[58] Davis (1983), p. 20. Les expériences étaient différentes dans les Caraïbes où il y avait une division sexuelle du travail assez poussée. Merci à Joseph Choonara pour cette remarque.

[59] Davis (1983), p. 15-16.

[60] Davis (1983), p. 17.

[61] Pour faciliter le passage à tabac d’esclaves enceintes, elles devaient s’allonger sur un trou creusé à cet effet – Davis (1983), p19.

[62] Davis (1983), p. 16-17.

[63] Les femmes d’esclavagistes ont été opprimées par la famille et ont également profité du système d’esclavage.

[64] Chris Harman fait une remarque sur les femmes célibataires et les femmes dont les enfants ont grandi dans l’incapacité d’échapper aux effets de l’oppression qui imprègnent toute la société. Voir Harman (1984).

[65] Brenner et Ramas abordent ce point. Voir Brenner (2000), p. 28.

[66] Bennett (1996).

[67]Bennett (1996), p. 26.

[68] Bennett (1996), p. 34.

[69] Bennett (1996), p. 149.

[70] Vogel (2014), p. 169-170.

[71] Vogel (2014), p. 172.

[72] Vogel (2014), p181. Malheureusement, cette section dans le livre de Vogel est quelque peu gâchée par le fait qu’elle a cru que l’Albanie, l’ancienne URSS, la Chine et Cuba, où il y avait inégalité entre le capital et le travail, les hommes et les femmes et un manque de droits démocratiques pour des minorités nationales, étaient des sociétés socialistes -Vogel (2014), p. 180 incluant la note de bas de page 26.

[73] Tout comme Zetkin, Rosa Luxemburg, Lénine, Léon Trotsky et d’autres. Quick ne voit pas non plus  que la participation à la production sociale donne aux femmes ouvrières le poids social pour se battre pour leur libération en tant que partie de la classe ouvrière – Quick (1977), p48.

[74] Vogel (2014), p. 174-5.

[75] Vogel (2014), p. 176.

[76] Vogel ne saisit pas la façon dont la réduction des inégalités au niveau de droits égaux intensifie les inégalités de classe et ainsi l’oppression des femmes – Vogel (2014), p. 172.

[77] Vogel (2014), p. 176.

[78] Lebowitz (2003).

[79] Lebowitz cite Michael Burawoy : « deux anomalies nourrissent la réfutation du marxisme : la durabilité de capitalisme et la passivité de sa classe ouvrière » – Lebowitz (2003), p17. Voir Vidal (2018), pour une discussion sur ce qu’il nomme « la thèse de fossoyeur ». Ni Lebowitz ni Bhattacharya n’offrent d’analyses historiques du déclin de la lutte des classes aux USA.

[80] Lebowitz (2003), p. 61.

[81] Lebowitz (2003), p. 161. Citation reprise de Marx (1972), p. 4-5.
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm

[83]Lebowitz (2003), p. 63. Les italiques sont d’origine. Il est tentant de répondre à cette formulation alternative en demandant pourquoi le niveau de famine sur la planète n’a pas encore mené à un changement révolutionnaire.

[83] Marx (1864).

[84] Marx (1851). Comme souvent, « Menschen » en allemand dans l’original est traduit pas « hommes », alors qu’il pourrrait l’être par « personnes ».

[85] Vidal (2018).

[86] Lebowitz (2003), p. 24-44.

[87] Lebowitz (2003), p. 40. Se référant à Marx (1976), p. 655.

[88] Lebowitz (2003), p. 40.

[89] Lebowitz (2003), p. 44.

[90] Lebowitz (2003), p. 73.

[91] Lebowitz (2003), p43. La citation de Marx est tirée de Marx (1975), p. 174
https://www.marxists.org/archive/marx/works/1867-c1/ch06.htm
Le fait que les besoins socialement nécessaires puissent être connus à un moment ne signifie pas qu’ils doivent rester constants. C’est sans doute la remarque de Marx à propos des besoins « historiques ».

[92] Marx (1966, [1866]), p. 65.

[93] Marx (1966, [1866]), p. 62.

[94] Marx (1966, [1866]), p. 74.

[95] Lebowitz (2003), p. 75.

[96] Vogel se réfère à cette distinction lorsqu’elle discute de la nature du travail domestique – Vogel (2014), p66.

[97] Vogel (2017), p. xi.

[98] Mohandesi et Teitelman (2017), p. 37-67.

[99] Ferguson (2017), pp112-130. Je pense, cependant, que Ferguson minimise la façon dont l’enfance est de plus en plus impactée par la société de consommation et l’influence du marché sur l’enseignement et l’apprentissage dans les écoles.

[100] Bhattacharya (2017c).

[101] Bhattacharya (2017c), p68. Ici Bhattacharya semble oublier les divisions racistes profondes qui ont tourmenté le mouvement ouvrier aux USA depuis l’esclavage. En Grande-Bretagne, également atteinte par le racisme, les attitudes envers et la représentation des femmes comme des travailleurs noirs et asiatiques dans les syndicats ont été transformées depuis les années 1950, voir Prasad (2017).

[102] Bhattacharya (2017c), p. 68 et p. 86.

[103] Bhattacharya (2017c), p. 68.

[104] Bhattacharya (2017c), p. 69. 

[105] Bhattacharya (2017c), p. 69.

[106]Bhattacharya (2017c), p. 69.

[107] Cité dans Bhattacharya (2017c), p. 82.

[108] Bhattacharya (2017c), p. 86.

[109] Marx (1855). Merci à Alex Callinicos sur ce point.

[110] Cela a eu le mérite supplémentaire d’être le début de la fin de Margaret Thatcher comme première ministre.

[111] Lebowitz (2003), p. 188.

[112] Luxemburg (1906).

[113] Lebowitz (2003), pp189-196. C’est ce qui permet à Lebowitz de discuter de ce qui devrait changer dans un état ouvrier, sans l’intégrer dans une discussion sur le processus révolutionnaire nécessaire pour l’obtenir.

[114] Prasad (2017).

[115] Bhattacharya (2017c), p. 86.

[116] Bhattacharya (2017c), p. 89.

[117] Moody (2017), p. 24.

[118] Moody (2017), p. 25 et 27.

[119] Moody (2017), p. 60.

[120] Moody (2017), p. 164 et chapitre cinq.

[121] La concentration d’hôtels dans un endroit comme New York fournit objectivement aux travailleurEs un levier économique substantiel.

[122] Sherry (2017), p. 75.

[123] Pour une analyse complète de la grève par quelques-unEs de ses principales participantEs, voir Høgsbjerg, Hearn, Morelli et Royle (2018).

[124] Arruzza (2017), p194.

[125] Voir le reportage dans The Guardian– Topping (2017)

[126] Lénine (1902).

[127] Bhattacharya (2017a). Présentation transcrite par l’auteur de l’enregistrement vidéo.

[128] Bhattacharya (2017a).

[129] Bhattacharya (2017a).

[130] Bhattacharya (2017a).

[131] Bhattacharya (2017a). La citation de Marx au sujet de l’IrlandaisE et du « minimum le plus animal des besoins » est tirée de Marx (1980), p. 227.

[132] Bhattacharya (2017a).

[133] Bhattacharya (2017c), p. 87.

[134] Un point que je n’ai pas traité ici. Voir Callinicos (2014), pp197-198 pour une discussion sur cet aspect.

[135] Marx (1977 [1870])

[136] Bhattacharya fait certaines de ces remarques indirectement quand elle écrit sur l’impact du néolibéralisme – Bhattacharya (2017c), p. 91.

[137] C’est l’implication du passage cité par Bhattacharya.

[138] Marfleet (2018), p. 10.

[139] Merci à Alex Callinicos pour ce dernier point.

[140] C’est également vrai pour l’Allemagne, une remarque faite par Volkhard Mosler.

[141] Cliff (1983).

[142] Les professeurEs recruté en Afrique du Sud et en Inde dans la première partie du 21e siècle ont été absorbéEs dans les conditions de travail et de salaire des professeurs du Royaume-Uni et dans les syndicats. Cela ne signifie pas que des professeurEs noirEs n’ont pas fait face à la discrimination raciale sur leur lieu de travail, par exemple pour les promotions.

[143] O’Carroll (2018).

[144] Marx (1864)

[145] Marx et Engels (1976 [1845]), p. 27.

[146] Marx (1864)

[147] Cité par Mosler (2018), p. 12.

[148] Liebknecht (1907).

[149] Engels (1983 [1884]), dans la section sur « La famille monogamique », p. 152.

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