Le 10 octobre dernier, nous avons organisé une rencontre avec Sophia Beach, militante britannique de Palestine Solidarity Campaign et du Socialist Workers Party. L’objectif initial de cette soirée, qui a réuni une soixantaine de personnes, dont de nombreux·ses camarades impliqué·e·s en Île de France dans le mouvement de solidarité, était de se questionner sur la stratégie à développer dans la lutte contre le génocide et en faveur de la libération de la Palestine.
Partir de la situation en Grande Bretagne nous a permis de dépasser les arguments parfois avancés quant aux différences significatives avec les dynamiques en France : « Nous sommes moins nombreux·ses à manifester à Paris qu’à Londres car nos manifestations ont été interdites et que nous sommes confronté·es à de la répression » ou encore « Nous sommes confronté·e·s à un gouvernement français placé à la tête d’un État Impérialiste et colonial et de médias qui nous stigmatisent… »
Faut-il le rappeler, nous nous affrontons à un Etat colonial, Israël, qui commet un génocide et des crimes de guerre tels que l’on en avait pas vu depuis longtemps : au moment où je m’exprime, plus de 42 000 vies palestiniennes et 3000 libanaises ont été anéanties, des millions de personnes se retrouvent déplacées en raison des bombardements au sud du Liban et partout en Palestine.
Un an après le 07 octobre 2023 et le début du génocide, nous nous posons toutes et tous cette question : comment construire une solidarité internationale avec la Palestine, comment en finir avec la complicité des puissances impérialistes et de nos classes dirigeantes ? Comment en finir avec le génocide, la colonisation et l’apartheid en Palestine ? Cette question nous brûle les lèvres dans les manifestations, sur les campements des étudiant.e·s ou chez les travailleur·se·s mobilisé·e·s.
Un mouvement d’une ampleur extraordinaire !
En Grande-Bretagne, depuis un an, nous vivons un mouvement extraordinaire et inattendu de solidarité avec la Palestine. Depuis le 15 octobre 2023, une coalition, formée autour de Stop the War, Palestine Solidarity Campaign et de nombreuses organisations musulmanes a permis d’appeler à d’immenses manifestations, et notamment une vingtaine à Londres. Les statistiques estiment qu’environ 4 millions de personnes auraient participé à des manifestations de solidarité avec la Palestine en Grande Bretagne.
Les sondages indiquent que 66% des britaniques interrogé·e·s sont en faveur des Palestinien·ne·s. Ce n’est pas spécifique à la Grande-Bretagne. Dans le monde entier, une majorité de l’humanité est favorable à ce que les Palestinien·ne·s accèdent à l’auto-détermination et à la justice.
En Grande-Bretagne, depuis un an, ce qui est particulièrement significatif, c’est que la solidarité s’exprime par un mouvement de masse, par des manifestations regroupant au minimum 200 000 personnes à Londres et qui s’organisent dans toutes les villes du pays. Ce mouvement est aussi rythmé par des occupations dans des gares, des banques comme Barclays, ou des multinationales qui profitent de la colonisation et du génicide en Palestine, ou encore par des campements dans plus de 40 universités.
On peut également relever que ce ne sont plus seulement les populations arabes ou les jeunes qui expriment leur solidarité en acte, c’est désormais un mouvement qui met en action une large partie de la population vivant en Grande-Bretagne et notamment des salarié·e·s qui expriment leur solidarité par des actions jusque sur leurs lieux de travail.
Pour nous, révolutionnaires, il y a un aspect essentiel à comprendre l’enjeu d’un tel mouvement regroupant des centaines de milliers de personnes qui se mettent en réseau à travers le monde. La colère qui s’exprime à l’encontre d’Israël et en solidarité avec les Palestinien·ne·s à l’échelle internationale permet une prise de conscience chez beaucoup de personnes qui se mobilisent à l’encontre de la complicité des puissances impérialistes et en cela remettent en cause plus généralement le système capitaliste.
Pourquoi le mouvement en Grande-Bretagne est-il si massif ?
Le poids d’un mouvement si significatif par le nombre repose sur deux explications principales.
La première que l’on peut citer est la complicité historique de l’Impérialisme Britannique avec la colonisation, l’occupation et l’apartheid en Palestine. Dès 1917 et la déclaration Balfour, la classe dirigeante britannique s’est rendue responsable de la situation actuelle. Une grande partie du mouvement se bat pour que soit reconnu l’implication des dirigeants britanniques dans le génocide actuel.
Le lundi suivant le 07 octobre 2023, le Premier Ministre britannique a fait une déclaration faisant l’apologie du génocide et justifiant les premiers bombardements à Gaza. Cette déclaration a provoqué une colère dans tout le pays car nous ne savons que trop bien à quel point les Palestinien·ne·s souffrent du soutien de l’Etat britanique à l’Etat d’Israël depuis 76 ans.
La seconde raison qui peut expliquer qu’en Grande-Bretagne se soit développé un tel mouvement est la tradition anti-guerre au sein du mouvement social depuis l’immense mouvement qui s’est construit en 2003 lorsque l’Irak a été envahi par les Etats Unis et le Royaume Uni. Lorsqu’un million de personnes marchèrent à l’époque à Londres contre la participation du Royaume Uni à cette guerre impérialiste, cela produisit un grand effet sur les syndicats et la gauche britannique.
Depuis cette époque se sont développés des liens entre ces organisations du mouvement social et politique, et des organisations de la communauté musulmane. Avoir développé ces liens durant ces deux dernières décennies a été particulièrement précieux pour unir à nouveau nos forces en solidarité avec la Palestine.
En Grande-Bretagne aussi, le racisme d’Etat et l’Islamophobie sont des poisons
Ces 20 dernières années, le gouvernement britannique n’a jamais cessé de stigmatiser les personnes musulmanes et de s’en prendre aux personnes réfugié·e·s.
Cela a été un rôle, pour nous, en tant que militant·e·s révolutionnaires, aux côtés de syndicats, de l’aile socialiste du parti travailliste ou des étudiant·e·s, de se tenir aux côtés des populations musulmanes face à l’islamophobie et de rester uni·e·s face à l’ensemble des attaques que mène la classe dirigeante britannique contre les classes populaires.
Les obstacles auxquels nous avons été confronté·e·s
1/ L’Etat Britannique a cherché à réprimer cet élan populaire de solidarité avec la Palestine et les médias ont eux aussi servi une idéologie sioniste. Le gouvernement est particulièrement sioniste, conservateur et raciste. Il a fait procéder à des arrestations lors des manifestations, des travailleur·se·s ont été réprimé·es par leur patron·ne en raison de leurs implication dans le mouvement, des étudiant·es qui ont été à l’initiative des campements d’occupation dans les facs ont été suspendu·es par l’administration universitaire. À chaque fois, ils ont d’abord essayé de s’en prendre aux éléments les plus radicaux du mouvement. Cette répression a eu des effets dans la mobilisation. Elle a créé une tension entre une aile plus conservatrice face à la répression dans la coalition Stop The War et Palestine Solidarity Campaign, et une aile plus radicale formée par les militant·es qui se battent sur le terrain et par les jeunes activistes qui sont favorables à intensifier la radicalité des actions quelqu’en soit les risques d’arrestation.
Face à une telle situation, en tant que militant·e·s révolutionnaires, nous avons considéré qu’il était fondamental d’une part, de s’allier et de soutenir en acte les éléments les plus radicaux du mouvement, et d’autre part, de participer à la construction des manifestations de masse. Ce que l’on a observé, c’est que cette aile, minoritaire juste après le 07 octobre, est devenue de plus en plus importante. Elle est formée par des dizaines de milliers de jeunes radicalisé·e·s par la guerre menée à l’encontre des Palestinien·ne·s, mais dont beaucoup venaient de mouvements liés à Black Lives Matter ou contre les changements climatiques. Nous avons argumenté auprès d’elle sur les bases théoriques de l’impérialisme ou de la compréhension des conséquences de la crise du capitalisme mondialisé.
2/ En plus de la répression d’Etat, nous avons été confronté·es à une offensive des médias suite à l’attaque du 07 octobre. Comme en France et partout ailleurs, les médias nous ont taxé·e·s d’antisémitisme. Cette fâcheuse habitude est ancienne. Jérémy Corbyn, alors leader de l’aile gauche du Parti Travailliste, avait déjà été attaqué par des calomnies du même type en 2017 et 2019. C’est le poids du nombre qui nous a permis de se confronter à la répression et de se battre pour une contre la propagande des médias dominants.
Pour prendre un exemple, les sionistes sont particulièrement organisé·e·s en Grande-Bretagne dans les universités aux travers d’organisations étudiantes. En occupant les universités, les étudiant·e·s se sont attaqué·e·s aux acquis que ceux-ci avaient obtenus par la mise en place de nombreux partenariats avec des universités israéliennes et ont fait émerger une idéologie en solidarité totale avec la résistance palestinienne. Une partie de la communauté juive sioniste s’est organisée pour apparaître contre nos manifestations et en soutien au génocide, tout comme l’extrême droite et les fascistes qui ont tenté de s’en prendre eux aussi à nos manisfestations. C’est, en oeuvrant, aux côtés de la coalition contre le racisme et le fascisme, Stand Up to Racism, contre les manifestations organisées par le nazi Tony Robinson que nous avons rappelé ce qu’était l’antisémistisme et que la lutte contre racisme ne se divise pas.