Femme, Vie, Liberté ! Les femmes iraniennes et kurdes d’Iran à la tête de la révolution

Iran

Depuis la révolution iranienne en 1979, le gouvernement actuel ne cesse de réprimer violemment le peuple. Le 16 septembre  2022, la mort de Jîna1Les personnes Kurdes en Iran, opprimées par l’État, se voient interdire de vivre – ou mourir – avec leur prénom. Jîna Amini, comme beaucoup d’autres enfants kurdes, avait deux prénoms. L’un officiel, Mahsa, et l’autre donné par ses parents et destiné aux ami·es et à la famille, Jîna. Amini déclenche des protestations généralisées dans tout le pays et réveille plus que jamais la volonté de mettre fin au régime meurtrier : s’ensuit alors un soulèvement massif à travers l’Iran, dans toutes ses villes, lycées et universités. Partout, ce sont les femmes qui sont en tête et qui crient, au péril de leur vie : « Ce n’est plus une protestation, c’est une révolution ! » Chaque jour, toute personne qui ose s’élever contre la République islamique risque de se faire emprisonner, enlever, torturer et tuer. Pourtant « aucune brutalité n’a pu contenir la colère refoulée des femmes et des jeunes iraniens qui se sont déchaînés après 44 ans »2« Les manifestations en Iran et le rôle des femmes dans les unités de résistance », Rapport mensuel de la Commission des Femmes du CNRI, septembre 2022.

Pourquoi cet article ?

Cet article est né d’une discussion entre deux amies, l’une franco-iranienne, l’autre militante féministe, sur le combat féministe en Iran. Lors de la mobilisation du 25 novembre 2022, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, le collectif Zin35 des femmes kurdes de Rennes a distribué un tract : c’était un appel international écrit par les femmes iraniennes et kurdes d’Iran pour les soutenir largement dans leur lutte. Dans leur appel, elles dénoncent les lois sexistes, les violences vécues au quotidien et les crimes commis par les dirigeants du pays. Elles ne cessent de compter leurs mortes3« Liste des femmes et jeunes filles tuées en Iran par les forces de sécurité dans le soulèvement en Iran« , CNRI, 25/11/22. La loi sur l’obligation du port du voile en public instaurée dès 1983 place les femmes iraniennes et kurdes d’Iran directement en première ligne des violences et ouvre une brèche infinie de violences sexistes et sexuelles.

Nous savons que la question du voile divise et est utilisée par l’État pour contrôler et maintenir un pouvoir en place. D’un côté, l’Iran oblige les femmes à porter le voile alors qu’à l’inverse en France, il y a une obsession d’une « émancipation » forcée des femmes racisées. Compte tenu de ce  contexte, comment se donner les arguments pour  contrer toute récupération raciste et islamophobe du combat des femmes iraniennes ?

Plusieurs questions se posent : quels sont les éléments qui ont amené le peuple iranien à se mobiliser aussi largement, qui ont fait que les luttes se rejoignent et que les mobilisations de grève notamment traversent le pays entier ? Comment obtenir une source d’information fiable alors que la communication avec l’extérieur est coupée, espionnée et même contrôlée ? Quelles sont donc les stratégies de communication misent en place dans ce contexte de censure ? Comment obtenir des témoignages des personnes sur place alors que le risque est la torture, la prison ou la mort ?

Par cet article, nous souhaitons proposer un état des lieux de la situation actuelle en Iran et particulièrement de la lutte des femmes iraniennes et kurdes d’Iran. Dans notre contexte d’écriture de cet article, il est intéressant de croiser nos analyses respectives à toutes les deux : d’une part, de celle qui a des informations directes par sa famille en Iran, et d’autre part, de celle qui est engagée dans le combat féministe et dans le combat contre le danger fasciste par la récupération politique raciste et islamophobe.

Contexte politique en Iran

La révolution iranienne de 1979 a marqué un tournant pour le pays. Le Shah d’Iran est alors contraint de fuir le pays, qui ne cesse d’enchaîner manifestations et grèves. Une tension économique et culturelle règne au sein du pays, laissant la porte ouverte à l’ayatollah Khomeyni, un radical révolutionnaire. La Constitution de la République islamique d’Iran est approuvée le 12 décembre 1979 par référendum4Thierry Coville, L’Iran, une puissance en mouvement, paru en 2022.

Puis en novembre 2019, le peuple iranien se révolte suite à une hausse du prix du carburant.  De cette période jusqu’à janvier 2020, 1 500 personnes sont tuées et 7 000 personnes sont arrêtées selon Chowra Makaremi, anthropologue interviewée par Mediapart5Émission de Mediapart : Iran : « femmes, vie, liberté, c’est un projet politique.

Le point de bascule : la mort de Jîna Amini

Le 16 septembre 2022, Jîna Amini, jeune étudiante kurde de 22 ans a succombé à ses blessures trois jours après avoir été arrêtée et tabassée par la police des mœurs. Arrêtée le 13 septembre pour « port du voile inapproprié », elle est transportée à l’hôpital de Téhéran cette même journée, où elle passera trois jours dans le coma avant de mourir.

Le rapport médical officiel déclare que son décès est lié à une maladie du cerveau et non suite à des coups6« En Iran, un rapport médical officiel affirme que la mort de Mahsa Amini a été causée « par une tumeur cérébrale » et non « par des coups » de la police« , Le Monde, 07/10/22. Cependant, des images piratées du scanner de Mahsa Amini de l’hôpital montrent une fracture crânienne, une hémorragie et un œdème cérébral, qui ne coïncident donc pas avec le rapport officiel7« Mahsa Amini’s medical scans show skull fractures caused by ‘severe trauma’: Report« , Al Arabiya English, 19/09/22.

Les manifestations en cours en Iran ont commencé dans les villes kurdes de Saqqez (province du Kurdistan d’Iran d’où Jîna Amini est originaire) et de Sanandaj le soir des funérailles de Jîna Amini. Le slogan kurde « Jin, Jiyan, Azadî »8Dans l’histoire et la langue kurde, le mot « femme » a la même racine que le mot « vie » : « Jin » et « Jiyan ». Donc si la femme est une prisonnière, la vie est aussi une prison. Par conséquent, le combat pour une « femme libre » est aussi un combat pour une vie libre. Ainsi, sans la libération des femmes, il n’y aura pas de vie libre pour tou·tes. (Femmes, Vie, Liberté), vient du mouvement de libération kurde en Turquie. Il est utilisé pour la première fois en 1987 par le Mouvement des femmes libres du Kurdistan9« Jina Amini et la lutte kurde en Iran« , Kurdistan au féminin, 02/11/22. Il est rapidement devenu le slogan commun du mouvement de contestation ; repris par les femmes iraniennes, il est devenu un mot d’ordre international dans les luttes féministes.

Alors que depuis des années les peuples iraniens et kurdes d’Iran subissent une répression meurtrière quotidienne, le soulèvement populaire atteint un point de bascule depuis maintenant quatre mois : c’est le pays entier qui s’embrase avec, à la tête du mouvement, les femmes et la jeune génération qui ne demandent qu’à obtenir leur liberté et qui refusent toute négociation possible avec le gouvernement. Des gestes forts de contestations contre l’obligation du port du voile, un des fondements de la théocratie actuelle, traversent tout le pays : les femmes se coupent les cheveux dans les manifestations ou se filment de chez elles, elles brûlent leurs voiles tour à tour dans les feux qui illuminent les rues. Le message est clair : elles s’attaquent directement au régime en place et le rejettent en bloc sans compromis.

Où en est le combat aujourd’hui ?

Les stratégies de répressions exercées par le régime sur la population sont diverses (en plus des violences directes qu’il exerce sur les manifestant·es et toute personne se levant d’une quelconque manière contre lui) :

● Communication coupée : le gouvernement iranien peut facilement couper les communications Internet du pays car il a sous contrôle les deux voies d’accès à celui-ci. Le régime en place n’hésite pas : il restreint l’accès à Internet et aux réseaux mobiles  pour empêcher la visibilité des manifestations et surtout éviter que les images des tueries soient relayées. En effet, sans VPN, il est impossible de naviguer sur des plateformes comme Facebook ou YouTube. Instagram et What’App, réseaux les plus utilisés par les Iranien·nes, connaissent des perturbations. Les applications peuvent être temporairement inactives.

● Faux récits10« Diffuser de faux récits pour couvrir le rôle du régime dans les meurtres odieux de manifestants« , CNRI, 04/01/23 : l’utilisation de faux rapports est monnaie courante en Iran. Plusieurs manifestant·es ont été tués11« Iran Protests: at Least 458 People Killed/11 Officially Sentenced to Death« , Iran Human Rights, 07/12/22 lors des affrontements avec la police des mœurs. Le régime couvre les marques de tortures, d’agressions sexuelles, des coups violents portés à la tête, par exemple par des accidents de voitures, des maladies ou encore des suicides. Les familles des victimes sont systématiquement menacées de témoigner sous peine de torture ou de mort. C’est le cas par exemple pour la famille de Sepideh Ghalandari, qui été arrêtée à Téhéran en novembre et qui est morte sous la torture. Son corps leur a été remis le 1er janvier 2023, à condition que celle-ci garde le silence sur les raisons de sa mort.

● Infiltration et enlèvement : les manifestant·es blessé·es ne se rendent plus à l’hôpital car ils et elles risquent à tout moment d’être dénoncé·es par les services de renseignement, enlevé·es et torturé·es. Elles et ils font appel à des médecins de confiance qui les soignent à domicile, au risque de leurs vies, c’est le cas du Dr Ayda Rostami qui a été tuée le lundi 12 décembre 2022.

Malgré l’acharnement du régime sur la population, le mouvement ne faiblit pas ! Un mouvement de masse traverse les classes et les générations. L’utilisation par le régime de la violence et de la peur comme armes primordiales n’attise pas la rage et la colère du peuple. Pourquoi, comment ? Comme le témoigne un cousin de Tiffany : « le peuple iranien garde espoir ». Ils et elles se battent à différentes échelles, en développant une multitude de techniques et de formes de manifestations, et de propagation de l’information.

Principalement, l’opposition s’organise par la prise de l’espace public (manifestations dans les rues) et par les grèves :

● Un mouvement généralisé dans le pays : de la mer Caspienne au golfe Persique, de la frontière turque à la frontière afghane, quelles que soient les origines sociales et ethniques, le pays se mobilise. C’est un mouvement transclasse12Sources transmises par la journaliste de Mediapart, Rachida El Azzouzi..

● Des réseaux de soutien des familles, des syndicalistes ainsi que des caisses de grève sont organisées (un héritage qui vient directement des mouvements syndicaux des 40 dernières années) ;

● Des mouvements de grèves des étudiant·es et des enseignant·es : suite à l’appel des enseignant·es à la grève, ce sont plus de 100 universités qui rejoignent les mobilisations dès la fin du mois de septembre 2022 ;

● Plus de 60 % des étudiant·es sont des étudiantes : les mobilisations y sont donc très fortes dans ce secteur.

● Grèves dans les secteurs des transports et des raffineries ;

● Des réseaux féministes puissants, un héritage du mouvement de 2009 et de la campagne « 1 million de signatures » : c’est toute une génération qui a été formée et qui a des outils d’organisation concrets ;

● À l’inverse, la jeune génération, qui n’a pas été directement traumatisée par la répression des années précédentes (dans le sens où elle n’a pas physiquement subit la violence de la répression), et qui a grandi avec les réseaux sociaux, est une jeunesse qui prend d’autant plus confiance en soi et qui apporte un nouveau souffle à la lutte ;

● Le rôle des réseaux sociaux : malgré la censure omni-présente, les stratégies de communication n’ont jamais cessé d’être efficace et de faire sortir les informations du pays ;

● Témoignages des familles et des proches des victimes et personnes arrêtées : malgré la pression et le risque énorme, les témoignages ne cessent d’être diffusés. Ils gardent une place centrale dans la lutte contre le régime ;

● Le soutien apporté par des personnalités connues : par exemple, les joueurs de foot iraniens  ont couvert leurs maillots d’un habit noir  en signe de soutien au soulèvement populaire lors d’un match de foot. Par ce geste, ils couvrent l’insigne de la République islamique présent sur le drapeau iranien ;

● Développement de nouvelles façons de manifester : de chez soi (sur le toit, aux fenêtres), des manifestations dans les voitures, des habitant·es qui ouvrent leurs portes directement, la systématisation de médecins de confiance ;

● Interpellation des femmes politiques occidentales qui obéissent aux lois de ceux qui oppressent les iraniennes en revêtant, lors de leur venue, le voile islamique par des militantes féministes : par exemple, Masih Alinejad, journaliste, écrivaine et militante politique américaine d’origine iranienne  leur adresse une vidéo en demandant clairement : « Ne portez pas le hijab, ne légitimez pas nos oppresseurs » ;

● Des actions menées par des féministes pro-choix voient le jour : des féministes qui, elles-mêmes voilées, brûlent un voile en solidarités ;

● Grève de la faim : le 2 janvier 2023, Armita Abbasi, détenue et emprisonnée, ainsi que quatorze autres manifestantes en soutien à celles-ci, ont entamé une grève de la faim. Elles sont détenues à la prison de Fardis (également appelée Kachouii), à Karaj et sont soutenues par leur familles.

Leur donner de la voix et de la force

En tant que féministes, notre soutien est immense. Mais alors, comment le leur apporter ? Que faire, concrètement ? Nous pensons que la première des choses à faire est de communiquer autour de nous, de parler d’elles, de parler de leur combat. De plus, dans ce contexte d’une visibilité grandissante des arguments de l’extrême droite au sein des médias, où des manifestations de fascistes s’organisent dans nos rues, nous sommes là et nous ne laissons aucune place à tout amalgame raciste et à toute reprise des luttes féministes à des fins islamophobes.

Pour s’informer, nous avons eu recours à plusieurs sources :

● le compte twitter de Chowra Makareni, l’anthro­pologue iranienne, qui commente régulièrement la situation sur place ;

● le compte de Masih Alinejad, journaliste, écrivaine, militante politique américaine d’origine iranienne qui publie et commente régulièrement  des images des manifestations ;

● ainsi que le site de la Commission des femmes du CNRI (Conseil national de la Résistance iranienne).

Perspectives

Le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, un appel à la grève féministe générale est lancé partout en France et à  l’international, en inspiration des mouvements révolutionnaires des féministes au Chili. Le 21 mars, le Norouz, jour du nouvel an persan, est une date lourde de sens pour le peuple iranien et kurde d’Iran. Cette date amènera certainement à un jour de grandes mobilisations, cruciales, massives et inédites. Les évènements autour du 21 mars  2023 pourront être déterminants dans la suite de leur combat.

Pour la suite de cet article, nous avons pour  objectifs d’approfondir la question de l’auto-organisation et de pousser l’analyse des différents  éléments d’organisation du mouvement. Nous  souhaitons entre autres transmettre des témoignages venant de personnes luttant sur place, apporter une analyse intergénérationnelle dans un contexte de luttes qui traversent des générations, et se mettre en lien avec les collectifs en soutien avec le combat des femmes kurdes et iraniennes présents dans nos quartiers, afin d’apporter une analyse plus complète sur la place des femmes kurdes dans ce combat.

Le 25 novembre 2022, dans la rue, nous avons crié et nous continuons à crier sans relâche : « Trop couvertes ou pas assez, c’est aux femmes de décider ! » « Voilée ou pas, c’est nos choix ! » Nous ne cesserons de les soutenir au sein de nos luttes, autour de nous, avec nos familles et ami·es.

C’est toutes ensemble qu’on va lutter car c’est toutes ensemble qu’on va gagner ! Jin, Jiyan, Azadî ! Femmes, vie, liberté !

Mathilda Demarbre et Tiffany Djamchid, Rennes

Notes

Notes
1 Les personnes Kurdes en Iran, opprimées par l’État, se voient interdire de vivre – ou mourir – avec leur prénom. Jîna Amini, comme beaucoup d’autres enfants kurdes, avait deux prénoms. L’un officiel, Mahsa, et l’autre donné par ses parents et destiné aux ami·es et à la famille, Jîna.
2 « Les manifestations en Iran et le rôle des femmes dans les unités de résistance », Rapport mensuel de la Commission des Femmes du CNRI, septembre 2022
3 « Liste des femmes et jeunes filles tuées en Iran par les forces de sécurité dans le soulèvement en Iran« , CNRI, 25/11/22
4 Thierry Coville, L’Iran, une puissance en mouvement, paru en 2022
5 Émission de Mediapart : Iran : « femmes, vie, liberté, c’est un projet politique
6 « En Iran, un rapport médical officiel affirme que la mort de Mahsa Amini a été causée « par une tumeur cérébrale » et non « par des coups » de la police« , Le Monde, 07/10/22
7 « Mahsa Amini’s medical scans show skull fractures caused by ‘severe trauma’: Report« , Al Arabiya English, 19/09/22
8 Dans l’histoire et la langue kurde, le mot « femme » a la même racine que le mot « vie » : « Jin » et « Jiyan ». Donc si la femme est une prisonnière, la vie est aussi une prison. Par conséquent, le combat pour une « femme libre » est aussi un combat pour une vie libre. Ainsi, sans la libération des femmes, il n’y aura pas de vie libre pour tou·tes.
9 « Jina Amini et la lutte kurde en Iran« , Kurdistan au féminin, 02/11/22
10 « Diffuser de faux récits pour couvrir le rôle du régime dans les meurtres odieux de manifestants« , CNRI, 04/01/23
11 « Iran Protests: at Least 458 People Killed/11 Officially Sentenced to Death« , Iran Human Rights, 07/12/22
12 Sources transmises par la journaliste de Mediapart, Rachida El Azzouzi.