L’enjeu est de repartir d’une analyse de l’impérialisme qui donne une boussole pour comprendre la situation actuelle plus qu’une analogie historique.
Pour :
– comprendre ce qui se passe dans « le monde » entendu au sens géographique (internationale) mais aussi social (dans chaque pays). D’un point de vue qui permette d’y intervenir.
– avoir une logique globale : y-a-t-il un lien, une logique entre des phénomènes présentés souvent de manière déconnectée : la Syrie, le Brexit et l’UE, Trump, Poutine, la politique migratoire, l’état d’urgence, la montée du FN…
Pas seulement pour avoir une politique globale (politique de part qui relierait les différentes questions dans une critique du système) mais aussi parce que cette conception globale a des conséquences dans ce qui est défendu pratiquement dans chaque combat apparemment spécifique : classe/race, police/racisme, etc…
– développer/défendre une conception où la politique des classes dirigeantes n’est pas le produit d’un complot mais
1- ne peut être changée de leur point de vue = elle est le produit d’une nécessité liée à leurs intérêts fondamentaux, le produit de la logique même du capitalisme et des conditions actuelles (=des contradictions) dans lequel il est.
2- doit être abordée en termes de tendances dominantes (ne supprime pas les contradictions internes, peut évoluer concrètement selon des rythmes différents et des voies différentes…)
- Théorie de l’impérialisme
- L’impérialisme c’est quoi ?
Il s’agit là de l’impérialisme tel que théorisé autour de la Première guerre mondiale, cadre qui sera la base de l’analyse de toute une période jusqu’à la Seconde guerre mondiale.
Ce qui est commun dans les analyses de Hobson (libéral anglais), Hilferding (social-démocate allemand), Rose Luxemburg, Lénine ou Boukharine (du parti bolchevik) c’est d’abord que l’impérialisme n’est pas un aspect du capitalisme (son versant « guerre ») mais c’est le capitalisme à un stade donné de son développement dont la conséquence ultime est la guerre.
Il s’agit par ailleurs, contrairement aux théories de l’impérialisme qui se sont mises à dominer dans les années 60 à des affrontements entre puissances dominantes qui se jouent aussi dans la domination par celles-ci des pays moins développés et non pas essentiellement des rapports de domination Nord-Sud. D’où les deux guerres mondiales.
L’impérialisme décrit donc les tendances dominantes de tous les aspects de la société et de toutes ses institutions.
C’est, pour le dire très rapidement, un stade du capitalisme où la concurrence « libre et non-faussée » entre capitaux sur le marché devient une compétition militaire entre Etats.
- Impérialisme, produit de la dynamique du capitalisme
Il faut toujours garder en tête que le Capital n’est pas d’abord un stock (de marchandises, de moyens de production, de monnaie, d’actions, etc…) mais un rapport social : rapport de concurrence entre des capitaux (et des capitalistes) et rapport de domination et d’exploitation des travailleurs et travailleuses.
L’accumulation du Capital qui est le moteur du capitalisme conduit à la concentration et à la centralisation du Capital : pour le dire vite les riches deviennent de plus en plus riches (c’est le produit de l’exploitation renforcée) et de moins en moins nombreux (incorporation des capitaux les plus faibles par les plus forts sous l’effet notamment des crises).
Le pouvoir économique se concentre : les différents secteurs sont de plus en plus dominés par quelques groupes voire par un seul. Ce que Lénine caractérisait par le stade des monopoles.
Cela s’accompagne par un développement du rôle des banques (crédits…). Le capital industriel a tendance à fusionner avec les banques (capital argent) pour constituer le capital financier.
C’est Boukharine qui va le plus loin dans cette analyse : le stade ultime de cette « organisation » du capital (monopoles + fusion banques et capital industriel) caractéristique de l’impérialisme est la fusion du Capital et de l’Etat = capitalisme d’Etat.
3- L’impérialisme, produit de l’histoire du capitalisme
– le capitalisme s’est développé au travers de la formation historique d’Etats-nations.
– mais la dynamique de l’accumulation pousse à une internationalisation de la production et des échanges.
L’économie mondiale (le marché mondial) est l’arène dans laquelle les « trusts capitalistes d’Etat » sont en compétition.
Cette compétition même « pacifique » (développement du protectionnisme d’un côté, ouverture « forcée » des marchés de l’autre) s’appuie, en dernier ressort, sur des rapports de force militaires. Et finalement ouvre à des confrontations militaires directes.
Un développement « inégal et combiné »
Produit de l’histoire également, tous les Etat (pays) n’ont pas le même niveau de développement. Celui-ci est inégal au niveau international. Certaines puissances sont dominantes (économiquement et militairement).
Mais ce développement n’est pas figé : il est combiné. Et les rapports de force ne sont donc pas figés. Certaines puissances sont montantes et d’autres déclinantes. Les premières sont donc poussées à remettre en cause l’ordre mondial existant (et sa hiérarchie des puissances) et les autres à le défendre. Cela se règle, en définitive, par la guerre.
Ainsi se comprend le cœur de la dynamique de la première guerre mondiale entre l’Allemagne, le Japon (puissances économiques montantes) et la France et l’Angleterre puis la montée en puissance des Etats-Unis et de la Russie…
- Grandes tendances et conséquences
– L’internationalisation de la production et des échanges conduit à une compétition accrue des capitaux ou blocs de capitaux sur la scène mondiale
– La tendance à la fusion de l’Etat et du Capital au sein de chaque pays mène cette compétition à devenir un conflit militaire entre Etats
– le développement inégal et combiné dessine à la fois la carte de la domination (Nord-Sud) et des conflits entre puissances déclinantes et puissances montantes.
D’où la tendance vers la guerre.
Cela s’accompagne d’une transformation « interne » à chaque pays :
– militarisation des économies et des Etats (orientation des dépenses publiques vers l’armée par exemple)
– renforcement des Etats sécuritaires et policiers
– développement du système des frontières et idéologiquement du couple racisme/nationalisme
- Quelques problèmes, questions, débats…
– Il est important de conserver l’idée de tendance : même lorsqu’une tendance (ou des tendances) est dominante cela ne supprime pas les contradictions internes à la dynamique. Par exemple dans la théorie de Boukharine, tendances à l’internationalisation du Capital et tendance au capitalisme d’Etat sont vues comme allant totalement dans le même sens (guerres entre Etats) lorsqu’elles présente aussi des contradictions. (Ce qui apparaîtra plus nettement dans la phase de la « mondialisation »). Cela est important parce que ces contradictions se traduisent sur le champ politique par des conflits au sein des classes dirigeantes.
Cependant l’analyse (qui doit être basée sur une analyse concrète dans chaque phase de l’évolution du système) définissant quelle est la tendance dominante permet, à l’opposé, de définir une stratégie anticapitaliste.
Au début du XXème siècle c’est l’analyse de Boukharine (et sous sa forme à la fois « simplifiée » ou « populaire », celle de Lénine) qui permettait de définir une politique révolutionnaire et anti-impérialiste (le défaitisme révolutionnaire de Lénine).
Il me semble par exemple que c’est ce qui permet aujourd’hui de comprendre ce qui se joue au niveau de l’UE : la tendance dominante est vers l’éclatement du cadre supra-national (retour des frontières, Brexit, Grèce, nationalismes…). Même si cela se combine avec des fractions de classes dirigeantes argumentant pour nécessité d’un cadre d’alliance contre Etas-Unis ou Chine, etc.
Même chose avec ce qui est tendance dominante : montée de l’antagonisme entre Etats-Unis (impérialisme déclinant) et Chine (puissance montante)
– Concentration du capital : la concentration du capital n’est plus équivalente à la concentration de la force de travail en unités massives de production. Si la concentration du capital continue (voir les derniers chiffres d’Oxfam sur les milliardaires) il y a parallèlement plutôt tendance (notamment dans pays les plus riches) vers fragmentation des unités de production. Analyser cela pour conséquences sur stratégie.
– Il ne s’agit donc pas de faire un « copier-coller » de l’analyse de l’impérialisme de Boukharine mais il me semble que c’est une boussole utile pour analyser les tendances dominantes DU COTE des classes dirigeantes et du capital aujourd’hui :
– militarisation et montée des tensions internationales et retour du « Grand jeu » d’alliances
– nationalisme et racisme
– Etat sécuritaire et policier
Voire aussi (mais c’est tout un débat), le retour de l’hypothèse fasciste.
Cela ne dit rien sur la situation et les tendances dans notre classe dont l’analyse est à développer.
Mais cela suppose aussi approfondir une analyse concrète de l’impérialisme aujourd’hui.