Plus d’un an après le début du plus grand procès politique du règne de Mohammed VI, et au bout d’un marathon de plus de 80 séances, la cour d’assises de Casablanca a rendu son impitoyable verdict : tard dans la nuit du 26 juin 2018, les activistes du mouvement populaire d’Al Hoceima apprirent leur condamnation à un total de 230 années de réclusion criminelle, pour avoir « comploté contre la sécurité de l’Etat » et participé à des manifestations non autorisées par les autorités compétentes. Des peines de 20 ans ont été prononcées contre Nasser al-Zefzafi (39 ans, dirigeant du mouvement), Nabil Ahemjik, Samir Aghid et Wassim al-Boustani, alors que 51 autre accusés écopaient de peines allant de 15 à 3 ans de prison.
Il est utile de rappeler que des dizaines d’activistes ont été arrêtés à la suite des manifestations de masse qui eurent lieu à al-Hoceima et d’autres villes, et qui se sont déclenchées après l’écrasement de MohsenFakri dans un camion-benne par la police en octobre 2016. Une vague de luttes a submergé la région du Rif au nord du Maroc, avant de toucher d’autres régions du pays et de susciter des manifestations de solidarité par des travailleurs et travailleuses marocaines dans les pays d’Europe de l’ouest.
Les participant-es au mouvement du Rif ne se sont pas contentées de condamner les politiques de répression et d’austérité conduites par l’Etat contre la population du Rif, mais elles ont également élaboré leurs propres demandes économiques, sociales et démocratiques dans le but d’améliorer les conditions de vie de la population. Population qui subit le chômage de plein fouet (plus de 60% des diplômés sont au chômage, contre « seulement » 26% nationalement), ainsi que la dégradation des services publics et sociaux comme l’accès à la santé et l’éducation ou encore l’état de délabrement général des infrastructures publiques. Le mouvement a su se structurer (notamment par le biais de comités élus) et organiser sa présence médiatique, notamment afin de contrer la propagande de l’Etat qui les accusait de séparatisme et de servir des intérêts étrangers.
Les prisonniers ont rejeté toutes ces accusations lors de leur comparution devant le juge, assurant que le Hirak (traduction arabe de ‘mouvement’) était pacifique, qu’ils ont manifesté contre la corruption et pour le développement de leur région qui assurerait une vie digne à tous les habitants. Les prisonniers ont ensuite annoncé en juin leur boycott des prochaines séances en raison du « manque d’objectivité » du tribunal, son manque d’honnêteté et « sa présomption de culpabilité » envers les accusés.
On estime le nombre de prisonniers du Hirak à 450 personnes, et de nombreuses associations et ONG ont demandé leur libération.
Avec ses violations flagrantes des règles d’un jugement équitable, ce procès politique s’inscrit dans une tentative faite par le pouvoir marocain de terroriser les mouvements populaires et les luttes contre le despotisme, l’exploitation et l’austérité. En effet, le pays subit une vague de répression qui vise le mouvement politique démocratique, les défenseurs des droits, les étudiants et les chômeurs ainsi que d’autres mouvements sociaux. La nature autoritaire de l’état ainsi que son impuissance face à la crise économique font qu’il est incapable de répondre autrement aux revendications sociales les plus modérées.
Le régime marocain a tenté sans réussite de contenir le mouvement populaire de al Hoceima en relevant ministres et hauts fonctionnaires de leurs fonctions ; il essaye maintenant, par ces procès politiques, de briser la détermination du mouvement populaire en l’absence de forces politiques capables d’organiser l’opposition à la dictature et à l’austérité. En effet, l’opposition politique est divisée et semble incapable d’élaborer un plan d’action pour intervenir dans les différents mouvements populaires. La fracture est notamment profonde entre l’opposition islamiste (le Mouvement Justice et Bienfaisance) et l’opposition libérale (L’Avant-garde Démocratique Socialiste, Le Congrès National Unitaire et le Parti Socialiste Unifié), qui voit les islamistes comme non moins dangereux que le régime, car visant à instaurer une dictature fondamentaliste religieuse. Cependant, certaines forces de la gauche radicale commencent à percevoir la nécessité d’un large front de luttes comprenant diverses tendances de l’opposition politique, syndicale et sociale – dont les islamistes. Un tel front viserait à accomplir des objectifs pratiques qui favoriseraient la croissance du mouvement populaire et sa solidification face à la politique répressive menée par le régime avec le soutien politique et diplomatique de l’impérialisme français et d’autre pays de l’UE qui se soucient des intérêts de leurs entreprises coloniales au Maroc.
L’activiste des droits humains Khadija al Riyadi décrivit les verdicts prononcés contre les activistes du Rif comme « une hécatombe judiciaire, une vengeance crue et brutale contre les activistes, leurs familles et la région dans son entièreté. »
Les verdicts prononcés par la cour d’assises de Casablanca contre al Zefzafi et ses camarades est bien une tentative de terroriser les activistes et tout le mouvement populaire. Ce procès politique fait partir en fumée les illusions de la « transition démocratique », du « respect des droits de l’homme » ou encore la propagande du régime qui se targue de mener le pays sur la route du développement durable. La situation actuelle demande une convergence des forces politiques, syndicales et sociales dans un front commun capable d’imposer la libération de tous les prisonniers politiques et l’abandon des poursuites dont ils font l’objet. Ce front devra également mener le mouvement populaire vers la réalisation de ses objectifs émancipateurs fondamentaux : la démocratie, la justice sociale et l’égalité.
Mahdi Rafic