Syrie : DEHORS les impérialismes

Les événements en Syrie sont si couverts de sang qu’ils incitent la gauche à l’échelle internationale à s’adapter à un supposé « réalisme ». Un demi-million de morts, plus de dix millions qui ont quitté leurs foyers soit pour des endroits “sûrs” soit pour l’étranger et des millions qui survient à peine sans savoir si demain ils auront de l’eau, des médicaments ou de la nourriture.
Dans une telle situation, ce « réalisme » affirme que les bombardements de l’Occident sont le moindre mal et qu’objectivement il s’agît de la seule réelle solution face aux interminables massacres de Bachar el-Assad. Selon cette logique, les armes de l’opposition s’étant avérées trop faibles pour faire face aux pluies de bombes, les missiles occidentaux seraient maintenant le seul moyen de freiner ou, au mieux, d’assurer une zone de sécurité où les gens pourraient reconstruire leur vie.
En fait il s’agît d’un faux réalisme, car il n’est fondé sur aucune réalité du terrain. La logique de « l’espace sûr » n’est pas nouvelle en Syrie. Ces espaces n’ont servi qu’aux puissances internationales et régionales afin qu’elles puissent s’enfoncer dans le pays. Au lieu de plus de chances aux gens, les interventions des impérialistes fragmentent la Syrie en zones d’influence dans lesquelles chacun a le droit de massacrer ou d’exiler celles et ceux qui se trouvent du mauvais côté.
De toute façon, il est complètement illusoire de croire que Trump, May et Macron auraient envoyé des missiles parce qu’ils auraient été émus par le drame des habitants de Ghouta. Pendant les jours que les bombes de l’alliance tombaient, leur chouchou saoudien, Mohamed bin Salman, faisait sa virée en Europe et personne d’entre eux n’a dit un seul mot sur les 100.000 civil-e-s envoyé-e-s aux cimetières du Yémen.
La logique du “parapluie impérialiste” ne marche pas. Les Kurdes sont l’exemple le plus puissant. Leurs dirigeants ont accepté le réalisme du soutien des États-Unis, de la même manière que les États-Unis ont accepté l’alliance avec eux de façon réaliste. Cependant entre deux réalismes, le gagnant est toujours le réalisme des puissants, et la résistance kurde fut livrée sans aucune aide, entre les mains d’Erdogan et de Poutine.
Assad n’est pas la solution
 Il en existe aussi un réalisme inversé selon lequel, contre l’agression impérialiste, la seule chose que la gauche peut faire est de soutenir Assad qui est le garant de « l’ordre » en Syrie. Assad n’a jamais été, et il n’est pas non plus soudainement devenu, un anti-impérialiste. Ni les missiles de l’Ouest sont tombés en Syrie parce qu’Assad aurait soi-disant résisté. La semaine dernière, Assad a rendu sa Légion d’honneur à la France pour protester contre les bombardements français. Évidemment, qu’il est maintenant obligé de vendre un peu de « anti-impérialisme », comme Saddam Hussein l’a fait en 1991, après avoir été le chien de garde de l’occident pendant des décennies.
La France, ne lui avait évidemment pas donné sa médaille pour son anti-impérialisme mais parce que les anciens colonialistes voyaient chez Assad un garant de la stabilité tant en Syrie qu’au Liban. La famille Assad a pris le pouvoir pour mettre un frein, à travers l’armée, à la radicalité du régime Baas. Il a envahi le Liban en 1976 pour faire plier la résistance palestinienne et libanaise. Bachar a mis en œuvre une ouverture du marché et a eu des rencontres cordiales avec tous les présidents français et autres.
Le régime syrien est un détail pour les impérialistes. Sur son territoire, ce sont des forces beaucoup plus grandes qui entrent en collision. Les bombardements occidentaux sont beaucoup plus liés avec l’équilibre de force avec la Russie et le besoin de limiter les ambitions de l’Iran, ainsi qu’avec le besoin de faire passer un message général à leurs alliés que, malgré le déclin de l’hégémonie américaine, ils n’ont pas été délaissés à leur sort.
S’ils pouvaient revenir en arrière, il est très probable que les impérialistes auraient soutenu Assad depuis le début du soulèvement qui a éclaté en 2011. Tout comme ils le font aujourd’hui en Egypte avec le général al-Sissi (qui d’ailleurs soutient Assad) ou en Libye où ils essaient de trouver le meilleur aspirant dictateur. Ce qui a changé la donne en Syrie et qui a chamboulé les choses n’était pas le changement de politique d’Assad mais la révolution. Il fut un temps où la force du mouvement d’en bas faisait que les impérialistes ne pouvaient pas être sûrs si la situation allait régresser ou s’ils devaient s’adapter à la nouvelle situation générée par les bouleversements dans la région.
Soutenir Assad n’est pas de l’anti-impérialiste, mais le contraire. Cela signifie un soutien aux forces qui veulent faire taire tous les peuples du Moyen-Orient
Révolutions
Il ne peut pas exister une vraie position de gauche sans qu’elle fasse l’effort de tracer le fil jusqu’aux révolutions de 2011. Car c’est là que nous avons vu les énormes possibilités de libération au Moyen-Orient. En quelques mois, la flamme est passée de la Tunisie, à l’Egypte, au Bahreïn et ensuite à la Libye, la Syrie et au Yémen. Le fait que les tanks de l’Arabie Saoudite, les tortionnaires de al-Sissi et les bombes américaines et russes ont par la force arrêté le processus révolutionnaire, ne doit en aucun cas signifier que la gauche doit effacer cette mémoire et l’enterrer profondément sous le sable syrien.
Toutes les dynamiques qui ont conduit à 2011 continuent d’être présentes et encore plus aiguës. La classe ouvrière qu’elle soit dans les quartiers pauvres de l’Egypte ou dans les champs de pétrole de l’Arabie saoudite et de l’Iran est la seule force qui peut unir la résistance, non seulement à travers les frontières mais aussi à travers les clivages religieux favorisés par les impérialistes et les régimes de la région.
Cela ne veut pas dire qu’ici […] on doit juste attendre que la classe ouvrière du Moyen-Orient refasse un 2011. Il est de notre devoir de bloquer les interventions impérialistes des États-Unis qui ne commencent pas que de Washington […]. Il est de notre devoir d’ouvrir les frontières aux réfugiés et d’organiser une solidarité sincère avec le peuple syrien. […].
Nikos Lountos
Article paru dans le journal hebdomadaire « Ergatiki Allileggyi », 25.4.2018