Courrier de nos camarades

Les Cahiers d’A2C #13 – juin 2024

Depuis le 07 octobre, A2C, assumant un retard en matière d’élaboration collective quant à la question palestinienne, met en avant des arguments sans concession avec l’enclave coloniale israélienne. Dans les cahiers précédents, nous proposions trois analyses marxistes en rupture avec la vision dominante de la situation1.

Suite à l’arpentage organisé par A2C Ile-de-France et relatif à l’article « Pourquoi la classe ouvrière israélienne n’a pas intérêt à la fin de l’apartheid », Vanina Giudicelli, (voir le retour ci-avant), un camarade nous a écrit une réponse précieuse.. C’est là le sens de la revue : mettre en débat tout ce qui questionne, laisse dans l’incompréhension et donner la parole à celles et ceux qui souhaitent émettre un désaccord.

Merci (A2C Paris) pour le stimulant arpentage de vendredi dernier sur «Pourquoi la classe ouvrière israélienne n’a pas intérêt à la fin de l’apartheid». Deux-trois Trepverter là-dessus. (Du yiddish Trep = marche (d’un escalier), Verter = mots. En gros : ce que tu as à dire après le déclenchement de l’esprit d’escalier.)

Israël n’est pas la seule puissance au monde à mettre en œuvre une colonisation de peuplement.

A propos de la thèse de Machover/Orr et Thier – qui semble être une tentative de sauver la mise marxiste – selon laquelle la fascisation de la classe ouvrière israélienne serait une situation unique au monde. Selon eux, tu ne peux trouver, nulle part sur la planète, aucun autre prolétariat ou, nuance, aucune autre couche de prolétariat, qui se comporte de cette façon, et qui aurait raison de le faire. En effet, le cœur de leur thèse est que les fachos israéliens de la classe ouvrière sont parfaitement lucides, ils voient parfaitement où se trouvent leurs intérêts, et ils agissent en conséquence : Ils ne sont pas dupes.

En supposant que les auteurs ont raison sur le cas israélien, je me dis qu’une analogie pourrait peut-être exister avec une certaine composante de la classe ouvrière américaine, notamment la fraction la plus réactionnaire du prolétariat blanc. Les Etats-Unis étant eux aussi une ancienne colonie de peuplement, la chose ne m’étonnerait pas. J’ai souvent l’impression que des fachos américains pauvres — tout comme les fachos américains petits-bourgeois — ont tout intérêt à s’identifier avec le pouvoir qui les opprime. Ils vont tellement bien ensemble.

Si l’analogie Israël/USA tient, la différence, ou une différence, serait sans doute la suivante : Alors qu’en Israël le prolétariat est facho parce que bénéficiaire de façon massive du statu quo, aux Etats-Unis, il suffit que le statu quo permette au prolétaire blanc de bénéficier plus que son voisin pour qu’il se rallie au suprémacisme blanc. Ce ne serait donc pas le fait d’être une sorte de prolétariat aisé – le cas israélien – qui serait déterminant pour expliquer la politisation à l’extrême droite du prolétaire blanc raciste, mais la hantise, plus ou moins constante, de tomber dans la couche du prolétariat inférieure à celle dans laquelle il se trouve actuellement. Autrement dit, la peur “de vivre comme les noirs.”

Si Israël est un cas à part parmi les pays colonisateurs – et il l’est – ce n’est pas parce qu’il n’aurait rien à voir avec d’autres cas (Thier ne dit pas cela d’ailleurs) mais parce qu’il est une sorte de condensé ou de caricature poussé à l’extrême de ceux-ci. Si la situation du white trash américain est une forme atténuée de celle du sioniste il serait donc logique, et non contradictoire que le facho yankee perçoive son intérêt matériel en termes relatifs plutôt qu’absolus.

Les conditions du sionisme de 1948. Et celui d’aujourd’hui

Tout à fait d’accord avec la remarque de Sana (A2C Paris 18ème) dans laquelle elle différenciait les petits blancs des colonies (qu’elle ne dédouane pas du tout !) du sioniste actuel qui fait “son” alya. Seulement, je pense que le tableau se brouille si on compare le petit blanc de l’avant-Françafrique avec certaines composantes de l’immigration juive en Palestine en fonction de l’époque. En effet, je crois que, avant aussi bien qu’après la Shoah, beaucoup de réfugié∙e∙s juif∙ve∙s sont allé·es en Palestine non pour trouver la terre promise, leur dû, mais simplement en dernier ressort.

Je précise tout de suite que, pour moi, ceci ne change absolument rien à l’essentiel, c’est-à-dire ce qu’ils ont fait après avoir débarqué. Mais, je pense que ce qui a déterminé le choix, fatal, de cette destination pour un certain nombre de juif·ve·s était, non pas le sionisme en tant que tel pour lequel ils n’étaient peut-être pas très chaud∙e∙s, mais le manque d’alternatives viables, à cause, entre autres, des lois antisémites comme l’US Immigration Act of 1924. Et, il est toujours accablant de voir avec quelle rapidité, et avec quelle facilité, les victimes se transforment en bourreaux.

Je profite de l’occasion pour rebondir sur les remarques de Jad dans les Cahiers 10 sur le 7 octobre (c’est la transformation de victimes en bourreaux qui m’y a fait penser).

Je suis entièrement d’accord avec les paragraphes qu’il consacre aux dilemmes moraux. Seulement voilà, je ne pense pas qu’ils épuisent la question. Ils débroussaillent bien le terrain («il n’existe pas de morale au-dessus de la politique […]“ ”La guerre […] et ses calamités sont imposées par l’oppresseur») mais laissent ouvertes les questions plus, ou les plus, épineuses — c’était peut-être leur but d’ailleurs («C’est seulement dans ce contexte historique qu’on peut […] espérer y porter un jugement moral»).

Je me demande si, une fois éliminée toute dépolitisation, l’on n’a plus la possibilité de condamner — disons plutôt : de voter contre… — des atrocités commises avec telle ou telle visée politique, dans tel ou tel contexte d’oppression ? Je veux dire : voter contre pour des raisons qui ne sont pas uniquement d’ordre politique (ou tactique ou stratégique) ?

Que devient au juste cette catégorie de «moralité» après qu’on a pigé (début des années 1840) qu’elle n’existe pas indépendamment des conditions matérielles (et autres) dont elle est une projection ? Est-ce qu’on a vraiment besoin d’une moralité à l’ancienne — celle qui surplombe la politique de très haut — pour pouvoir émettre un jugement — moral — sur le 7 octobre ?

Et si je disais (pour ma part) que, oui, le 7 octobre procédait des revendications légitimes — plus que légitimes — mais que cela ne le justifie pas. Autrement dit : cette tuerie aveugle, parfaitement explicable dans le contexte, a été une très très mauvaise idée sur le plan moral.

Sur quel plan moral ? Celui des valeurs au nom desquelles la lutte armée elle-même se fait… Ce n’est pas comme si ces valeurs n’entrent plus dans l’affaire une fois que leur ancrage dans une histoire matérielle est pleinement reconnu. Au contraire ! (Est-ce que ça revient à faire porter aux opprimés une charge (de responsabilité morale) plus lourde que celle que porte les bourgeois ? Ce serait dégueulasse en effet.)

Imaginons qu’un habitant du ghetto de Varsovie parvient, par miracle à s’échapper du ghetto de Varsovie, et qu’il se mette ensuite à tirer sur tout ce qui bouge. On comprendrait comprends parfaitement son geste, d’autant plus que son voisinage immédiat compterait bon nombre d’antisémites de tous âges qui vivraient tranquillou à deux pas de là où il crevait du Typhus. Mais, tout de même, ça n’aurait pas fait de mal de se limiter aux SS, il me semble.

Bref. Une exigence morale résistante serait de ne pas sombrer, par soif de vengeance ou je ne sais quel calcul, dans un mimétisme, forcément mortifère, avec l’oppresseur. Ce serait ça l’obligation morale, la règle d’or : le mal absolu ce n’est pas de tuer, c’est de s’abaisser au niveau du facho qu’on a en face. L’impératif catégorique c’est d’éviter à tout prix, non pas la violence, mais ce style de terrorisme totalement aveugle qu’affectionnent l’Etat d’Israël et ses soutiens.

A+

Arthur (paris 18e)
  1. Les cahiers A2C n°10, « Une Histoire abrégée du conflit israélo-palestinien », Jad Bouharoun, A2C Paris 18ème
    Les cahiers A2C n°11 « Le sionisme : un projet raciste et colonial qui doit être combattu au nom de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme » Dani et Hugo, A2C Toulouse
    Les cahiers A2C n°12 « Pourquoi la classe ouvrière israélienne n’a pas intérêt à la fin de l’apartheid » Vanina Giudicelli, A2C Paris 20ème ↩︎
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