Dès les premières pages, Houria Bouteldja est claire sur son analyse de la situation : Si nous ne mettons pas fin au capitalisme qui domine notre monde, alors nous nous dirigerons vers la guerre et la destruction du vivant. Elle identifie une force — qu’elle nomme selon les passages « forces populaires », « classes populaires », « prolétariat » — capable d’empêcher cette trajectoire du pire, à une condition : son unité. L’autrice s’attaque dans ce livre aux conditions qui permettraient cette unité et pointe un facteur de désunion central : le racisme.
Les Cahiers d’A2C #07 – Mars 2023
Les origines du racisme et son évolution
Pour ce faire, Houria Bouteldja revient sur les origines du racisme et détaille comment l’essor du capitalisme a produit l’expansion de l’esclavage qui le nourrissait en retour, accélérant son développement jusqu’à la création des premiers États-Nations. D’un racisme biologique qui permettait de justifier la coexistence de l’esclavage et des Lumières où « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », à un racisme « civilisationnel » pour expliquer la colonisation, jusqu’à la hiérarchisation culturelle et l’islamophobie d’aujourd’hui.
La manière dont les « beaufs » et les « barbares » se perçoivent et interagissent n’est pas uniquement déterminée par leurs conditions matérielles, mais également par l’idéologie de la classe dominante, la bourgeoisie. Et les relais de cette idéologie disposent d’un certain degré d’autonomie vis-à-vis de l’État qui permet d’expliquer, en dehors des conditions qui l’ont produite, la persistance d’une forme de racisme développée à un moment donné de l’histoire. Le racisme des Nazis n’est ainsi pas « anachronique » comme Houria Bouteldja le dit (p. 45), il vient plutôt illustrer cette autonomie que le modèle « d’État intégral » qu’elle a choisi ne permet pas d’appréhender.
C’est dans l’action que les idées changent
Vis-à-vis des Gilets jaunes, Houria Bouteldja pose une question simple : « on ne peut pas faire procès aux Gilets jaunes d’avoir exprimé ouvertement un sentiment raciste ou franchement partisan des idées d’extrême droite. On peut se demander pourquoi n’ont-ils pas ouvert plus les vannes de cette spontanéité chauvine ? Pourquoi cette retenue ? » Selon elle, c’est un “savoir intime” qui leur aurait permis de reconnaître leur véritable ennemi de classe et de se prémunir de la division raciste.
Cette réponse ne résiste pas à l’analyse des faits : les fascistes ont tenté de s’engager dans le mouvement, des électeur·rices du RN y ont participé et, sans être dominants, des préjugés racistes et nationalistes s’y sont exprimés.
Il ne s’agit donc ni de “retenue”, ni de “savoir intime”, mais de luttes politiques — parfois physiques et violentes — contre le développement des idées racistes et l’implantation des fascistes dans le mouvement qui ont été menées et gagnées plus ou moins rapidement dans les différentes villes.
Les idées dominantes sont les idées de la classe dominante. Si ces idées sont acceptées par la classe ouvrière, c’est parce qu’elles apparaissent cohérentes avec la situation de mise en concurrence permanente dans laquelle la bourgeoisie la met. C’est lorsqu’on se retrouve à agir collectivement que des possibilités s’ouvrent pour développer de nouvelles idées de coopération et de solidarité — à condition que le combat soit mené !
Antiracisme par en haut
Houria Bouteldja développe la nécessité d’un antiracisme politique qui reconnaît que les ouvrier·es blanc·hes ont aussi un intérêt matériel et donc politique à se battre contre le racisme. Sans cet intérêt matériel, alors l’engagement ne peut être que moral.
Mais son erreur, c’est qu’elle développe un antiracisme par en haut : plutôt que de mener le combat contre le racisme au sein de la classe, elle contourne le problème et propose de construire l’unité par un « frexit décolonial » (p. 234) comme horizon politique qui permettrait de rassembler « beaufs » et « barbares » et « cela implique de défendre des politique de nature économique (la nationalisation de secteurs stratégiques de l’économie par exemple), sociale, législative et culturelle (la réhabilitation des langues et cultures régionales) ». La condition de l’unité de notre classe, ce n’est plus de faire reculer le racisme et, plutôt que de faire de la politique, Houria Bouteldja développe un programme électoral.