Après deux journées de grève nationale, le 29 septembre puis le 18 octobre, nous proposons ici des retours du terrain de cette lutte qui s’engage et qui pourrait s’avérer déterminante dans la lutte des classes dans ce pays. Prochaines dates de grève interprofessionnelle annoncées : 27 octobre et 10 novembre ! Le bras de fer avec le gouvernement est lancé !
La grève du 18 octobre
À Paris, dans l’éducation
Blocage au lycée Voltaire où les lycéen·ne·s déterminé·e·s, impliqué·e·s et organisé·e·s, avaient un tract pour défendre leurs revendications et ont tenu leur prises de paroles, soutenues par les enseignant.e.s, face aux policiers.
Des AED qui avaient été en grève le 29 septembre, mais pas le 18 octobre se sont fait supprimer leur pause ce jour-là par la direction. On leur a demandé de compter les grévistes. La colère grandit, gronde et la rentrée sera déterminante.
La mobilisation a été importante aussi dans les lycées professionnels ! Plusieurs lycées ont été en grève pour contrer les menaces de suppressions de postes ou carrément de suppression de l’établissement.
En 2019 les établissements les plus en capacité de gagner sur des questions locales avaient été aussi ceux qui s’étaient le plus battus sur des combats plus larges comme celui contre la réforme des retraites. Il faut mener le débat autour d’une question centrale : Qu’est-ce qui permet de gagner ?
À Rennes, blocage le matin
Avant la manifestation qui part à 11H à Rennes, blocage partiel de deux voies d’arrivée et de sortie de rennes avec les routiers de l’entreprise Stef, quelques cheminot.e.s et des militant.e.s Nous Toutes 35. Une vingtaine de camarades déterminé·e·s qui ont distribué des tracts et ralenti le flux.
De bons retours des automobilistes, beaucoup soutiennent mais ne peuvent pas forcément se mettre en grève pour des questions financières. Ça donne envie de monter très rapidement des caisses de grève.
À Paris, dans le 20ème
Départ collectif pour la manifestation du 18 octobre, depuis la cuisine occupée par les grévistes du CASVP qui exigent qu’Anne Hidalgo et la mairie de Paris leur donnent le SEGUR 3.
Une assemblée générale interprofessionnelle a aussi eu lieu sur ce site, jeudi 20 octobre, pour organiser la solidarité et le soutien autour de cette occupation et de leur combat. Les grévistes du site participeront au rassemblement organisé dans le quartier, métro Ménilmontant, mardi 25 octobre par le Collectif des Sans-Papiers Paris 20ème et organisent une fête de soutien mercredi 26 octobre.
La quasi-totalité du personnelle de l’Aide sociale de l’État du 20ème sont également en grève reconductible déclenchée suite à un accident sur le site. Elles et ils exigent de meilleures conditions de travail et d’accueil.
À Toulouse
Les militantes qui organisaient le cortège d’ASSO, composé en grande partie des travailleuses du Planning Familial, de Faire Face, Grisélidis, ont été ce matin voir d’autres salarié·e·s d’associations locales pour les convaincre de participer à la grève et manifester ensemble.
Il y a eu un rassemblement devant le rectorat pour s’opposer à la casse des lycées pro, appelé par la CGT Éduc.
La manifestation était importante avec un gros cortège étudiant qui organisait une assemblée générale ensuite, durant laquelle a été rappelé l’importance d’entrainer de plus en plus d’étudiant·e·s aux côtés des grévistes, pour la défense du droite grève violemment attaqué par réquisitions et la solidarité avec lycéen·ne·s de Nanterre réprimé·e·s par la police.
À Marseille
Importante présence du personnel des lycées professionnels dans le cortège avec une Assemblée Générale intersyndicale organisée ensuite. Le cortège lycée était le plus gros et déterminé, il s’était élancé notamment depuis un des lycées du centre (St-Charles). En tout 4 à 5 lycées ont été bloquées ou perturbés ! Ce cortège très animé avec beaucoup de slogans contre la sélection, contre Macron, contre le RN, est ensuite parti en manifestation sauvage jusqu’au rectorat avant de retourner à St-Charles.
Présence aussi d’un cortège féministe avec une banderole pour la grève féministe du 8 mars et qui organise bientôt une Assemblée Générale pour organiser la mobilisation.
L’UD CGT organisait son congrès à Martigues, moins de monde dans le cortège à Marseille mais grosse présence à Martigues : 500 personnes se sont rassemblé·e·s pour des prises de paroles, ont bloqué un rond point et ont appelé à une manifestation contre la vie chère samedi 22 octobre à Marseille.
À Paris, les sans-papiers sont là !
Que ça soit les piquets DPD, Chronospost et RSI, ou les collectifs de la Marche des Solidarités, les collectifs de sans-papiers étaient présents dans la manifestation à Paris pour exiger la régularisation des sans-papiers et mobiliser contre la réforme asile et immigration de Darmanin.
À Nantes
- Rassemblement Lycées pro et interpro unitaire, 15h, Préfecture Nantes
- AG personnel Lycées pro, 13 h au Lycée Michelet Nantes, puis départ en manif vers préfecture
- Piquet de grève Institut Ocens (ex Institut La Persagotière), à partir de 12 h, devant le site, rue Dunan à Nantes
- Piquet de grève CARSAT, à 11 h, devant la caisse, place Bretagne, Nantes
- Raffinerie de Donges (à environ 40 minutes de Nantes et 20 minutes de Saint Nazaire) en grève depuis le 12 octobre
La manifestation a réunie entre 2000 et 3000 personnes. Un départ commun des étudiant·es était prévu de la fac à 13h45, il y a eu 200 personnes dans le cortège des étudiant·es, cortège très dynamique !
Avant le 18 octobre
A Rennes, diffusion de tracts de la CGT
On était plusieurs camarades féministes du collectif NT35 à faire un tractage vendredi 14 octobre entre 19h30 et 21h à la gare de Rennes. Comme nous n’avions pas de tracts pour aller discuter avec le monde qui passait, on s’est débrouillées pour récupérer 1000 tracts en couleur de la CGT 35.
On était vraiment très excitées vu l’ambiance du moment et on a croisé énormément de monde, forcément. Il y avait tellement de bons retours. Bien sûr des personnes qui entendent « grève » ou « manifestation », et même « inflation » qui nous évitent et montrent leurs désaccords sans même argumenter. Mais aussi des personnes qui a priori n’auraient pas pris le tract par peur (?) ou par désaccord présupposé, et qui, lorsqu’elles entendaient « contre l’inflation » ou « pour nos salaires », se retournaient pour prendre le tract en question. On a donc discuté avec des gens qui se demandent comment faire grève pour la première fois de leur vie, des lycéens qui se demandent pourquoi la grève a lieu et qui évoquent le blocage possible de leur lycée, deux salariées d’une banque qui disent qu’elles vont avoir 2,1% d’augmentation et que c’est quand même une bonne arnaque vu que l’inflation est de 10%, un vigile de la gare qui n’en peut plus du taf et qui espère que la grève sera massive tout en expliquant que c’est dur pour lui de faire grève étant donné son poste et ses responsabilités s’il y a un « malaise voyageur » – toujours cette pression de la santé, comme pour les personnels soignants.
Et de nombreuses personnes – notamment des cheminots – qui nous disent « je serai en grève mardi » 💕 ou qui nous répondent avec un grand sourire quand on leur parle du mouvement qui s’étend et qu’on lâche un « on veut des thunes ». On pourrait encore citer une personne, agent d’animation pour la ville de Rennes qui est en train de perdre son boulot à cause de problèmes de santé, qui nous a dit « heureusement que la CGT n’a pas plié face à Total ».
Maintenant, on organise avec le collectif féministe un cortège dans la manifestation du 18.
En région parisienne, notre classe en mouvement
A Paris, des centaines de travailleuses et travailleurs du Centre d’action sociale de la Ville de Paris (CASVP) sont en grève depuis plusieurs semaines. Ils et elles sont les oublié.e.s du SEGUR à qui la Mairie de Paris refuse de reconnaître le statut de travailleur social qui apparaît pourtant sur leurs fiches de paye : personnel administratif et personnel des cuisines en tête.
Pour augmenter la pression sur la Mairie, les grévistes ont décidé d’occuper la plus grande des 42 cuisines de ce service social : basée dans le 20eme arrondissement de Paris, les travailleuses et travailleurs de ce site servent chaque jour 1800 repas à 2,50€ (jusqu’à 3500 pendant le confinement).
Appliquer le SEGUR à ces centaines de salarié.e.s représente un budget de 6 millions d’euros pour la mairie de Paris. Une goutte d’eau par rapport aux 8 milliards d’euros déboursés pour les Jeux Olympiques de Paris en 2024.
Sur ce piquet de grève, beaucoup sont en grève pour la première fois ! C’est une impression qui se confirme dans d’autres secteurs, d’autres lieux ! Que ça soit dans les écoles du 93 ou dans l’implication de fédérations de la CGT habituellement peu impliquées dans les grèves comme la fédération CGT Fédération des sociétés d’étude : il se passe quelque chose !
Dans le 20ème arrondissement à Paris, les grévistes de tous secteurs se donnent rendez-vous pour un départ collectif depuis la cuisine occupée du CASVP.
Les échos du 29 septembre
A Paris, dans l’éducation nationale (2nd degré)
Dans l’éducation nationale, les chiffres qui circulaient c’était aux alentours de 20% de grévistes chez les institutrices et instituteurs qui sont obligé.e.s de se déclarer grévistes avant. Et à Paris, les chiffres qui ont été partagés dès l’Assemblée Générale du 29 septembre, c’était 45% avec une mobilisation particulièrement importante dans l’Est Parisien avec les questions des bas salaires et des retraites largement reprises.
Dans les collèges et lycées, c’est très variable ! Dans l’Assemblée Générale, on pouvait entendre dans certains endroits des taux de grévistes très faibles et d’autres très importants comme 55%. Ca dépend vraiment du travail de mobilisation fait localement. Ce que le syndicat nous envoie, c’est un mail avec le matériel et tout le travail reste à faire.
La manifestation à Paris a été très dynamique dans l’ensemble y compris dans les cortèges enseignants ! Il y a eu notamment une intervention importante autour de Kai Terada. Cette solidarité autour du combat de Kai Terada est très importante, on peut voir que ça concerne de nombreux établissements. Dans de nombreux lycées, la grève a été plus suivie qu’habituellement parce que le combat autour de Kai a fait écho à la mobilisation du 29 septembre.
Et partout où des camarades ont préparé la mobilisation et encouragé la solidarité autour de Kai, la grève a été plus suivie que d’habitude !
Dans mon lycée, on a pu atteindre 50% de grévistes du côté des profs et ça a été également très suivi côté administratif et AED pour qui les conditions de travail sont très dures.
Pour avoir une journée de grève où on soit actif, on a fait une action le matin à Menilontant pour discuter des choses, interpeler la population. On a fait une action autour de faux recrutements pour singer la mascarade des recrutements en « speed meeting ». Ça a mis la pêche à tou·te·s les collègues pour toute la journée et pendant toute la manifestation.
Il y un sentiment qu’on était beaucoup à partager : la question des retraites est en train de monter et y a une attente de suite chez beaucoup !
A Rennes, par des camarades impliquées dans Nous Toutes 35
En amont du 29/09 :
L’union départementale de la CGT avait organisé une AG à la maison des associations. 70 personnes. Très majoritairement des personnes de plus de 40 / 50 ans. Tractages de la CGT mais encore des personnes pas au courant de l’appel à la grève, y compris le jour j. Solidaires avait collé des affiches d’appel à cette journée sur de nombreuses routes départementales dans plusieurs départements de Bretagne. Ce qui n’empêche pas que beaucoup n’étaient pas au courant de cette journée. On peut se demander comment était préparée la grève. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu des tournées de syndicalistes dans les lycées. Et ça a payé : des vies scolaires fermées et des lycées avec de forts taux de grévistes. Et d’autres avec peu de grévistes aussi.
Le jour J :
Environ 5.000 personnes à la manifestation. Bonne surprise même si évidemment nous aurions aimé être bien plus. Très peu de présence policière.
Les cheminot-es ont, des dires d’un camarade CGT, une bonne dynamique de rapport de force. Cet été, ils ont obtenu en une journée de grève une augmentation de 1,5%. Bonne participation à la journée : un camarade de la CGT nous dit « dans les établissements sncf que je connais on tourne à 30-40% de grévistes. Ce qui est correct pour une journée isolée. De toute façon, y’ a pas besoin d’être à 70% pour pénaliser la production. »
Dans les lycées (surtout dans le public mais aussi un peu dans le privé), de nombreux-ses AED (surveillant-es) ont fait grève, notamment en se mobilisant sur les bases de leur lutte contre la réforme des retraites (liens inter-perso, groupe facebook, reflex de caisse de grève). Par exemple, au lycée des Hautes-Ourmes, toute la vie scolaire était en grève, notamment avec le soutien d’un prof, militant FO, qui a organisé une caisse de grève parmi les profs pour permettre aux AED de faire grève.
Sept ATSEM rencontrées dans la manif étaient en grève de leur propre initiative : école maternelle rurale (campagne environnante de Rennes), sans syndicats, quand on leur a demandé “qu’est-ce qui vous a permis de faire grève ?”, elles ont répondu “la solidarité entre nous et le soutien des prof”.
Un cortège d’un nouveau syndicat implanté à Rennes, au lycée agricole, était bien visible, et deux prof étaient très intéressés par le fait d’articuler le soutien à la grève feministe du 8 mars avec les élèves de leurs classes.
Cortège de l’ inter-organisation de soutien aux personnes exilées avec banderole « Egaux, Egales, Personne n’est illégal ». Refugié·es, sans papiers, sans logements, militants solidaires : 30 personnes au moins. Utopia 56, Cimade, Un toit c’est un droit, NPA et MRAP. La date du 18 décembre est déjà dans les esprits.
Différents cortèges d’étudiant·es et de lycéen·nes étaient présents avec différentes organisations : Solidaires Etudiant·es, Union Pirate, FI…
D’ailleurs, FI, NUPES, PS, étaient présents avec drapeaux et appelaient notamment à la marche du 16 octobre. Des jeunes de la FI ont participé à faire sortir des dizaines d’étudiant·es en droit de Rennes 1.
Cortège féministe de Nous toutes 35 conséquent, intergénérationnel mais plutôt jeune quand même. Ambiance joyeuse et déterminée et articulation avec les revendications de la grève féministe prévue le 8 mars + slogans antiracistes et antifascistes.
Dans le 93, dans l’éducation nationale (1er degré)
Dans l’Éducation, les enseignant.e.s se mobilisent traditionnellement en septembre lors d’une journée de grève. Cette dernière n’est pas toujours très suivie, les collègues étant absorbé.e.s par la rentrée et leur nouvelle classe.
Mais la grève du 29 septembre s’inscrivait dans la perspective de construire un mouvement interprofessionnel d’ampleur, en agrégeant toutes les colères et les grèves, pour l’instant circonscrites mais pourtant multiples, qui se sont développées depuis cet été. Si l’appel intersyndical est apparu combatif et ambitieux, la journée de grève interprofessionnelle devant « s’inscrire dans une mobilisation large et dans la durée », le travail de préparation sur le terrain n’a malheureusement pas été à la hauteur, les centrales syndicales semblant plus préoccupées par les prochaines élections professionnelles. De plus, avec la baisse significative du nombre de syndiqué.e.s, le rajeunissement important des enseignant.e.s dans le 93 et l’augmentation conséquente des enseignant.e.s contactuel.le.s soumis.e.s à des conditions d’emploi précaire, il est difficile de maintenir un maillage et un réseau de militant.e.s suffisants pour mener à bien le travail de mobilisation nécessaire dans toutes les écoles.
Malgré tout, la mobilisation a été plus importante que ce que les pronostics plutôt pessimistes laissaient envisager, et si les grévistes n’étaient pas majoritaires, iels ont proportionnellement davantage participé aux AG et aux manifestations que lors des dernières journées d’action se montrant particulièrement convaincu.e.s, combatives et combatifs. Ainsi, dans le premier degré en Seine-Saint-Denis, entre 40 et 50% des enseignant.e.s étaient en grève le 29 septembre et des AG interprofessionnelles ont été organisées dans plusieurs villes, rassemblant parfois plusieurs dizaines de personnes. L’objectif est clair, engager des discussions dans les écoles où des militant.e.s sont présent.e.s avec toutes les professions : AESH, ATSEM, animateur.trice.s, personnel.l.e.s de ménage et de cantine, … Et si pour l’instant, la mobilisation reste très inégale selon les lieux, les constats sur la situation et la nécessité de lutter ensemble sont partagés. On observe là une réelle évolution dans les discours. Mobiliser sur la base d’une critique globale du système est très encourageant pour les suites. Il apparaît donc maintenant indispensable de construire localement des liens sur nos lieux de vie et de travail afin de s’organiser, d’analyser ensemble les possibilités d’action et surtout de donner la confiance à celleux qui n’osent pas encore entrer dans les luttes.
Le 16 octobre apparaît comme une nouvelle étape dans cette construction. Même si la manière dont cette journée a été organisée pose question, il est important de s’y inscrire, de continuer sans relâche à mobiliser, créer des liens et unir nos forces.
Les mots choisis ont de l’importance et il nous faut imposer les nôtres : lutter pour le pouvoir d’achat, contre la vie chère… Ces formules ne permettent pas de politiser le débat et de rendre compte de la gravité de la situation. L’inflation, la stagnation des salaires, l’augmentation indécente des profits des entreprises du CAC40 et des écarts entre les plus riches et les plus pauvres, la crise écologique, ce sont les classes populaires qui en paient le prix : catastrophes naturelles, augmentation de la grande pauvreté, difficultés de plus en plus prégnantes pour maintenir un niveau de vie décent (se loger, se chauffer, se nourrir, …). C’est de cela dont il s’agit. Et aujourd’hui, les contre-réformes qui nous attendent (retraites, assurance chômage, …) ne peuvent que nous faire craindre le pire. Nous n’avons plus le choix, lutter ou crever. Ce constat n’est pas pessimiste, il doit nous convaincre qu’un autre monde est possible, radicalement différent, nous ne pouvons plus nous satisfaire de mesurettes. Il nous enjoint à la nécessité absolue de ne plus tergiverser, de discuter partout, de convaincre partout. Nous n’avons qu’un ennemi, un ennemi puissant, le capitalisme, et face à lui, l’espoir de notre classe réside dans la prise de conscience de ce qui nous unit et de notre force.