Face au génocide en cours à Gaza, des collectifs de solidarité avec le peuple palestinien se sont constitués un peu partout sur le territoire, dans un contexte de répression tant physique (interdiction de manifestations, arrestation…) qu’idéologique (accusation d’antisémitisme) hallucinant. Nous vous proposons un tour d’horizon des comités Palestine dans lesquels interviennent des camarades d’A2C.
Les Cahiers d’A2C #11 – JANVIER 2024
Une première phase du mouvement : de Marseille à Paris, manifester sa solidarité malgré les interdictions
En France, toute solidarité envers le peuple palestinien et sa lutte a été violemment réprimée. Les rassemblements ont été interdits, les manifestant·es ont été placé·es en garde-à-vue ou verbalisé·es. Un port de drapeau palestinien ou d’un keffieh justifiait un contrôle d’identité et une verbalisation. Le niveau de répression a entraîné une peur généralisée mais à Paris, notamment, la détermination des personnes à exprimer l’horreur que leur inspire le génocide en cours a permis que la solidarité avec Gaza s’exprime place de la République ou autour de Châtelet au mois d’octobre.
Cette détermination a poussé le tribunal administratif à finalement autoriser le rassemblement du jeudi 19 octobre au moment où des manifestant·es commençaient à se rassembler malgré l’interdiction de la préfecture. Cette victoire à Paris a entraîné un changement dans le rapport de forces national, et la confiance des personnes à prendre la rue s’est démultipliée.
À Marseille, un groupe de jeunes et moins jeunes a initié les premières manifestations pour la Palestine et a continué à s’organiser malgré les intimidations. La CGT 13 a annoncé une mobilisation le 22 octobre, distincte du rassemblement organisé par le groupe. Malgré un important dispositif policier le jour du rassemblement, nous avons réussi à nous regrouper. Une personne a été contrôlée à cause de son keffieh et une autre à cause d’un drapeau palestinien. La tension montait. Un groupe de femmes a pris l’initiative d’assumer le rassemblement et a crié « Libérez Gaza », le galvanisant. Nous avons réalisé alors que nous étions plus nombreux·ses que prévu, et avons commencé à manifester, avec des milliers de personnes clamant des slogans. Les manifestant·es étaient principalement des personnes en dehors des milieux militants traditionnels. Le groupe à l’initiative de ce premier rassemblement massif après des semaines de répression a ensuite constitué le noyau du collectif Urgence Palestine Marseille.
À Montreuil, après le 7 octobre, malgré des appels publics à se réunir, nous étions peu à nous regrouper pour soutenir sans condition la résistance palestinienne. Mais malgré les interdictions et leurs conséquences sur les organisations de gauche, nous avons constaté une réelle audience au sein de notre classe : les collages ou les diffusions des appels à manifester donnaient lieu à un réel enthousiasme auprès des classes populaires de Montreuil.
Sur les facs : des mobilisations dans un contexte de terreur idéologique
Le comité pour la Palestine Condorcet – École des hautes études de sciences sociales à Paris est né après que le syndicat Solidaires de l’école a publié un communiqué de soutien à la résistance palestinienne le 8 octobre. Ce communiqué a donné lieu à de vifs échanges entres les enseignant·es chercheur·euses, la majorité condamnant à la fois le communiqué et la chercheuse l’ayant relayé sur la liste mail, jusqu’à remettre en cause la scientificité de son travail universitaire et pousser dans le sens d’une convocation devant la commission disciplinaire de son laboratoire. Le syndicat Solidaires quant à lui s’est retrouvé attaqué et isolé. L’intersyndicale de l’école se fait aujourd’hui sans Solidaires EHESS, les autres syndicats ayant rompu les liens.
Le comité s’est structuré en trois groupes de travail : communication, événements et actions. Le groupe Événements a organisé des projections de films et des débats sur la Palestine à l’EHESS. Le groupe Actions a mené diverses initiatives, comme un lâcher de banderoles, des rassemblements avec des fumigènes, des boycotts, l’envahissement de séminaires et la création d’un journal du comité.
Le comité a fonctionné grâce à un noyau dur de membres déjà militant·es, avec un turn over important. Et des difficultés à fédérer. La majorité des échanges lors des assemblées générales concernaient les actions à mener, l’organisation interne du collectif et la répartition des tâches. Lors d’une assemblée générale, des membres du Collectif de Sans-Papiers d’Aubervilliers ont souligné la nécessité de faire un lien avec la lutte contre la loi Darmanin. Cette proposition a été soutenue par vote, mais en pratique, à part la formation d’un cortège le 18 novembre, il y avait des réticences, principalement dues à la peur d’un éparpillement qui affaiblirait le comité.
Le 7 octobre a eu de l’écho au sein des étudiant·es de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Cet établissement public parisien d’enseignement de langues et civilisations a un rapport double à la colonisation. Le passé de l’Institut en est imprégné : l’administration coloniale a longtemps recruté parmi ses étudiant·es. Et aujourd’hui, parmi ses 8 000 élèves, beaucoup sont issu·es de peuples colonisés.
Des appels à rejoindre les premiers rassemblements parisiens du jeudi soir ont circulé assez rapidement dans l’Inalco, fait réjouissant pour une fac peu connue pour ses mobilisations et dans laquelle il n’existe aucune organisation syndicale étudiante. La présidence de l’Inalco a rapidement rappelé à l’ordre les étudiant·es, menaçant de « lourdes sanctions » en cas d’apologie du terrorisme et d’incitation à la haine/violence. En appelant à « la retenue et la vigilance », elle s’est imaginée faire preuve de diplomatie ; elle a en réalité brillé par son soutien à l’ordre établi et donc au sionisme. L’absence totale de « retenue » lors de l’invasion russe en Ukraine consolide cette opinion tandis que les partenariats avec des universités israéliennes la confirment définitivement. Malgré cela, des étudiant·es ont commencé à s’organiser. Au début du mois de novembre, à l’appel d’Urgence Palestine (UP), une « AG des jeunes » animée par des étudiant·es palestinien·nes rassemble 350 étudiant·es d’une douzaine de facs et lycées. Cette initiative, accompagnée d’un mot d’ordre : généraliser la création de comités locaux en universités, s’est faite entendre. Dans la semaine du 13 novembre, un groupe WhatsApp est créé, « Comité Palestine Inalco », dont le nombre de membres croît de jour en jour.
Les positions exprimées sur ce groupe témoignent de l’envie d’action et du besoin de se rencontrer pour s’organiser. Les premières réunions, dans la semaine du 20, ont malheureusement eu une faible portée. De par l’envie d’agir (une journée d’action interfacs a d’ailleurs été prévue le 29 novembre) mais la peur de la répression, le besoin de mobiliser plus de monde s’est imposé. Le premier objectif a donc été d’organiser une grande « AG pour la création d’un comité de soutien » la semaine suivante, qui a eu vocation de réunir un maximum d’étudiant·es pour concrétiser la création du comité. Pour ce faire, une page instagram est créée, 1 000 tracts sont imprimés et distribués en fin de semaine. Si ces initiatives sont portées par une minorité de personnes militantes, les autres étudiant·es se les approprient immédiatement. Ainsi, des sessions de tractages (première action « militante » pour beaucoup) sont organisées, parfois à l’improviste, et sont un prétexte à la rencontre et àLes positions exprimées sur ce groupe témoignent de l’envie d’action et du besoin de se rencontrer pour s’organiser. Les premières réunions, dans la semaine du 20, ont malheureusement eu une faible portée. De par l’envie d’agir (une journée d’action interfacs a d’ailleurs été prévue le 29 novembre) mais la peur de la répression, le besoin de mobiliser plus de monde s’est imposé. Le premier objectif a donc été d’organiser une grande « AG pour la création d’un comité de soutien » la semaine suivante, qui a eu vocation de réunir un maximum d’étudiant·es pour concrétiser la création du comité. Pour ce faire, une page instagram est créée, 1 000 tracts sont imprimés et distribués en fin de semaine. Si ces initiatives sont portées par une minorité de personnes militantes, les autres étudiant·es se les approprient immédiatement. Ainsi, des sessions de tractages (première action « militante » pour beaucoup) sont organisées, parfois à l’improviste, et sont un prétexte à la rencontre et à la discussion. Le tract est par ailleurs très bien reçu par la majorité de la communauté étudiante et même par des professeur·es.
Inscrire la solidarité dans le temps
À Rennes, le pic de participation aux rassemblements et aux manifestations a été atteint à la mi-novembre avec +/– 2 000 personnes en manif et plus de 200 lors des rassemblements. Le samedi 16 décembre, nous étions entre 800 et 1 000 personnes ; aux derniers rassemblements, entre 40 et 50.
Progressivement, le mouvement s’est essoufflé par lassitude d’un constant recommencement. La situation en Palestine s’étant installée dans le temps, une partie des participant·es se sont détourné·es des événements malgré beaucoup de tractage. En AG, il a été décidé d’organiser des rassemblements et des départs de manif dans les quartiers populaires, mais la préfecture refuse les demandes d’autorisation. La majorité de l’AG a préféré renoncer pour des raisons de sécurité.
Des événements sont régulièrement organisés. La plupart des formations et discussions sont généralistes mais correspondent bien au niveau des personnes présentes (surtout des étudiant·es, militant·es et personnes se sentant concernées par la tragédie actuelle en Palestine). Elles permettent de comprendre ce qu’est le sionisme et les enjeux impérialistes.
Sur Montreuil, une fois les manifestations autorisées, et l’épuration ethnique effective au sein de la bande de Gaza, les premiers efforts lors du début du mouvement ont permis fin octobre – début novembre de faire des assemblées publiques à plus de 50 personnes. Nous retrouvions des collectifs comme l’Assemblée féministe, des cantines Gilets jaunes, la Cantine syrienne, des camarades de mouvements internationaliste ou transnationaux, des syndicalistes de la CGT ou de Solidaires mais aussi des camarades pour lesquels c’était une première expérience de construction de mobilisation au niveau local.
Nous sommes de moins en moins nombreux·ses. Cependant, en l’espace de deux mois, nous avons pu organiser 9 départs collectifs aux manifs sur Paris, une déambulation, une réunion publique, une présence lors d’une Kermesse Antifasciste au niveau local, un réveillon de Noël et 3 actions Boycott Carrefour en lien avec la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). Beaucoup de ces initiatives ont été appelées publiquement par des collages. En tout, plus de 2 000 affiches ont été collées.
C’est d’abord par le biais de ces collages que s’est posé concrètement le lien avec la mobilisation antiraciste contre la loi Darmanin. Nous avons en plus collé quelque 1 600 affiches pour appeler à la mobilisation du 18 décembre. Ces collages étaient coordonnés avec ceux pour la Palestine. Ils sont le fruit de discussions au sein d’UP et du Collectif des sans-papiers de Montreuil (CSPM), qui ont permis une rencontre entre les deux collectifs.
Dans le 20e arrondissement de Paris, le collectif Urgence Palestine 20e s’est lancé assez tardivement avec une première réunion le 22 novembre à l’initiative du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) 20e, en réponse à l’appel d’UP.
Depuis, il y a une réunion chaque semaine, avec une vingtaine de personnes. Plutôt des personnes militantes pour l’instant, de divers horizons (militant·es d’orgas politiques — NPA, Révolution Permanente, A2C), de collectifs de solidarité avec la Palestine (BDS, Association France Palestine solidarité, Union juive française pour la paix), de 20e Solidaire (collectif antiraciste, de solidarité avec les migrant·es), et de personnes rencontrées dans les AG interpros du 20e lors de la mobilisation contre la réforme des retraites.
Beaucoup de discussions ont émergé, pas forcément toutes réglées à ce stade : notamment sur les liens avec UP, mais également sur le rôle de notre collectif et de ses actions, avec un débat sous-jacent à propos de la responsabilité française sur la situation : selon l’importance accordée à l’impérialisme, la cible serait soit Israël (action de boycott), soit l’État français. La question du lien avec la loi Darmanin a été posée et elle n’a pas soulevé d’opposition.
Plusieurs actions ont été menées, comme des départs communs aux manifs (ratés, on était très peu), deux déambulations dans des quartiers du 20e (coller, tracter, rentrer chez les commerçant·es pour discuter, en étant un nombre significatif afin de donner de la visibilité au fait qu’il existe un collectif dans le quartier) avec un résultat très positif et un très bon accueil, une réunion publique (bilan assez positif, on était une cinquantaine et les discussions étaient assez constructives, 12 personnes ont laissé leurs coordonnées) et enfin des actions BDS, parfois en lien avec le collectif de Montreuil, bilan mitigé en termes de participation. Tout ceci a donné lieu à des diffusions de tracts aux sorties de métro ou sur des marchés.
On a pu constater que les réactions sont à l’image des manifs parisiennes : une partie de la population accueille de façon très favorable nos apparitions, mais ne nous rejoint pas pour autant (les personnes racisées des quartiers populaires), le noyau militant est plutôt présent (même si on n’est pas toujours d’accord sur les analyses), et le reste de la population est indifférente voire parfois hostile (pro-Israël). La clé est donc à la fois de fournir des arguments pour casser la solidarité d’une partie de la population à la politique de l’État français qui soutient Israël, et de s’organiser avec les personnes qui sont déjà solidaires avec les Palestinien·nes.
Renforcer l’auto-organisation
Malgré la dynamique nationale de solidarité au peuple palestinien, les capacités d’auto-organisation ont été maigres.
Par exemple à l’Inalco, pendant la semaine de préparation de la « grande AG », deux stratégies de mobilisation se sont affrontées au sein de la minorité militante qui portait la plupart des initiatives. Elles s’expliquent par deux conceptions radicalement différentes de l’organisation et du rôle du comité, qui se sont traduites par des priorités et des tactiques différentes.
À A2C, notre conception de l’organisation est qu’elle doit favoriser le mouvement. Une assemblée qui réunit toutes les forces militantes d’un lieu ou d’une lutte est le meilleur moyen de communiquer, de transmettre l’expérience des un·es et des autres, de débattre pour se convaincre de la direction à suivre pour gagner. Nous apprécions les dynamiques de création de comités locaux et de leur fédération dans le sens qu’elles peuvent renforcer les militant·es par le sentiment encourageant de s’inscrire dans un mouvement plus large et qu’elles sont une base à l’organisation d’actions communes. Cette conception suppose que le mouvement est la base vitale de l’organisation et que cette dernière, ayant vocation à l’aiguiller mais non à le diriger, ne peut s’en dissocier. Pas d’organisation sans mouvement. Notre intervention est allée dans le sens de cette conception : persuadé·es que c’est la lutte elle-même qui permettra le développement d’un comité. Nous voulions construire le comité par le bas, et le rassemblement de 60 étudiant·es en AG après trois jours de diffusions et de discussions à la base légitime cette stratégie.
La deuxième conception de l’organisation est celle de bureaucrates : l’objectif de « s’organiser » est de renforcer une « inter-orga ». Dans les faits cela s’est traduit par un focus sur la technique (coller des stickers et faire un compte insta) et un rejet des débats politiques. Se mobiliser contre le génocide, mais sans relayer d’idéologies notamment anti-impérialiste, ne surtout pas apparaître « pro-Hamas ». Iels ont imposé leur non-ligne politique, négligeant le rôle des étudiant·es. Ce déni s’est manifesté par des pratiques autoritaires, comme l’expulsion de groupes de discussion. Avec une grosse majorité d’étudiant·es très peu militant·es, pour qui cette expérience était sans doute la première, ces comportements n’ont pas du tout aidé à construire un mouvement de lutte.
Cela nous amène à notre conclusion : iels ont tué le comité dans l’œuf, et aujourd’hui c’est juste un groupe whatsApp dirigé par une personne qui diffuse des informations sans réelles actions ni positionnement. C’est dommage car cela aurait également pu donner une impulsion pour d’autres mobilisations à l’Inalco.
Mener les débats, politiser la paix
La question palestinienne a toujours été particulièrement clivante jusqu’au sein de la gauche, venant distinguer la gauche qui pousse son antiracisme jusqu’au décolonialisme de celle qui se contente d’un antiracisme de surface.
Le distance entre Urgence Palestine et les comités des facs a produit des mots d’ordre différents au sein des comités, celui de l’EHESS a fait le choix de suivre ceux d’UP lors de la première AG mais tous les comités n’ont pas fait ce choix, notamment ceux menés par Révolution Permanente (RP) pour qui le seul mot d’ordre « cessez-le-feu » revenait à un simple appel au calme et donc à un statu quo qui n’aurait pour autre finalité qu’un maintien de la colonisation. À l’inverse, l’argumentaire des comités axés sur le mot d’ordre « cessez-le-feu » se basait sur le fait que c’était la demande même de la résistance palestinienne et que le non appel au cessez-le-feu ne pouvait s’assurer d’être conséquent politiquement que par une prise des armes, or le conflit se déroule hors de nos frontières.
À Marseille, le refus pour certain·es de se limiter à l’appel à un cessez-le-feu était lié à l’envie de l’articuler à un discours sur les possibilités de la paix, qui ne peut advenir sans l’arrêt de la colonisation. Il semblait aussi nécessaire de dénoncer la solution à deux États que défend LFI, entre autres. Aussi, avec Urgence Palestine, soutenir un mouvement de libération nationale depuis un pays participant au génocide nous paraissait impossible sans dénoncer la complicité de la France vis-à-vis de l’État colonial d’Israël.
Palestine Vivra Palestine Vaincra, pas comme (la loi) Darmanin.
Coordonné par Anouck Brunet (Marseille) et Ombeline Cornette (Paris) à partir des retours des militant·es d’A2C et de leurs camarades de lutte