Mobilisations dans l’éducation

Les Cahiers d’A2C #13 – juin 2024

Retours et réflexions sur les mobilisations contre le “Choc des savoirs” 

A Paris

Un collectif contre le choc des savoirs s’est développé après le 26 février regroupant de nombreux collèges de l’Est parisien.

Après la puissante grève du 2 février, l’intersyndicale a appelé à une nouvelle grève nationale le 6 février. Si elle a été moins suivie que la précédente, des équipes militantes de quelques collèges mobilisés ont saisi l’occasion pour proposer une AG le matin de la journée de grève du 26 février, au retour des vacances. Le 6 février, nous étions donc 35 collègues d’une vingtaine de bahuts. L’idée était, après une discussion collective, de partir faire une tournée d’établissements lors de cette grève. Nous avons associé les collèges à la rédaction d’un courrier demandant une audience commune au Rectorat pour exprimer collectivement notre opposition à la réforme du choc des savoirs.

Une mobilisation construite par la base

Le courrier a été signé par une trentaine de collèges de l’Est parisien. Face au mépris du Rectorat qui n’a pas daigné répondre, l’idée de reprendre l’appel du 93 à la grève de la rentrée du 26 février, au retour des vacances d’hiver a été largement reprise au travers de la liste What’s App du collectif. 

Une trentaine de bahuts étaient donc en grève le 26 février dans l’Est parisien à l’appel du collectif avec de 30 à plus de 50% de grévistes selon les collèges. Il n’y avait pas d’appel intersyndical à Paris, même si les syndicats avaient relayé l’initiative. L’AG du soir a été un vrai succès (80) avec une trentaine de bahuts présents. L’idée de reconduire la grève était très minoritaire. La proposition qui a émergé a été de travailler avec les parents pour construire une journée École déserte le 12 mars (appel aux parents par l’intermédiaire du carnet d’élève ou communication sur les réseaux ENT). Nous étions une quarantaine à l’AG suivante, dont plusieurs parents, une première. Nous avons commencé à nous organiser en collectif et à produire des argumentaires pour les parents et les enseignants, à échanger de nombreux matériels sur un drive et à proposer des AG hebdomadaires. Nous avons utilisé la grève de la fonction publique du 19 mars pour organiser deux déambulations sur les marchés de Place des fêtes (19e) et de Ménilmontant (20e). Une quarantaine de collègues et parents présents sur les deux marchés avec à Ménilmontant le renfort très dynamique du collectif des jeunes mineurs étrangers de Belleville dans lequel des collègues était impliqué·es depuis septembre. En retour, le collectif contre le choc des savoirs a repris comme revendication le droit  à la scolarisation des jeunes MIE. Nous étions quelques bahuts minoritaires à reconduire la grève les jours suivants que nous avons mis à profit pour organiser des collages, des tournées dans des collèges et les écoles pour essayer d’étendre le mouvement dans le primaire .

Les AG hebdomadaires ont continué, moins fournies, à une trentaine et pas toujours les mêmes bahuts, mais avec quelques profs des écoles et pas mal de parents en plus. Si la grève ne prenait pas (la grève nationale du 2 avril a été analysée comme un échec par les syndicats nationaux) les collègues étaient très motivé·es pour continuer à se mobiliser d’une manière ou d’une autre contre le tri social. Nous avons donc fait des tournées et des collages (mais en petit nombre car pas en grève), et de nombreuses réunions publiques ou d’information auprès des parents. 

Suite au succès de la première journée École déserte, la FCPE et le collectif, avec le soutien des syndicats, ont appelé à une deuxième journée “École déserte le 26 avril, au retour des vacances de printemps. Encore plus d’établissements de l’Est parisien impliqués (13e, 20e, 11eme, 19eme, 18eme), 14000 familles qui n‘ont pas envoyé leurs enfants dans les collèges. 

Mais la question de la grève pour la journée École déserte est restée très minoritaire, impliquant seulement quelques bahuts. Le cortège du collectif du 1er mai était faible, malgré un super départ avec les jeunes de Belleville depuis la maison des métallo qu’ils occupent. La manif parents enseignants du 4 mai était de bonne tenue.

Mais face au manque de confiance dans la grève et de perspectives (la seule étant la manif nationale enseignants parents du 25 mai), la mobilisation se replie sur le local (comment empêcher la réforme dans chaque établissement ?).

Les points faibles : peu de confiance dans la grève, liée au manque de perspectives nationales. La lutte massive est restée cantonnée dans le 93 , sans que les syndicats ne cherchent à créer le lien entre plan d’urgence et réforme. A Paris, la mobilisation reste limitée aux collèges : peu de mobilisation dans les lycées et celle des écoles est restée centrée sur les suppressions de classe, sans lien avec la réforme du tri social. 

Les points forts : une mobilisation initiée par la base dans de nombreux établissements, une grève par en bas le 26, École déserte par en bas le 12 mars… Un collectif qui dure et crée des liens sur le long terme entre de nombreux établissements, avec les parents, un atout pour la suite, des initiatives enthousiasmantes même si restreintes par moments.

Nicolas (Paris 20e)

A Rennes 

Les grèves nationales des 1er et 6 février, puis des 8 et 19 mars, du 2 avril et du 14 mai, ainsi que l’ensemble des actions locales – constitution du collectif éducation 35, grèves, manifestations, rassemblements, réunions publiques, pétitions, collèges vides, nuits des écoles et des établissements – ont démontré qu’il y avait une réelle volonté et colère qui s’organisait parfois à partir des syndicats, parfois en dehors.

Ce que je retiens de la mobilisation qui a eu lieu avant les vacances, c’est la capacité que l’opposition à la réforme du “choc des savoirs” a d’entraîner des profs, mais aussi des parents et des élèves, notamment au collège. L’idée d’un tri des élèves entre eux n’est, paradoxalement, pas admise comme une réponse appropriée au niveau faible en français et mathématiques, relativement aux résultats des autres pays. Ce qui est étonnant, c’est que des profs n’ont pas réagi autant que les familles et les enfants, comme si le tri ne leur posait pas de problème. En effet, quand on est habitué à trier les élèves par des classements, des orientations en diverses filières générales techniques ou professionnelles ou en institutions pour les élèves handicapé·es, ce n’est peut-être plus si choquant de trier des enfants dès la 6e, mettant encore plus clairement fin au collège unique, ce fameux collège où tous les enfants d’une même classe d’âge sont censés se retrouver ensemble. 

Du côté des profs et des familles en élémentaire (de la petite section au CM2), il y a eu une implication très faible, comme si cela ne les concernait pas. Alors que le “choc des savoirs” est notamment une réforme pour affaiblir encore le “collège unique”, faire un collège à double niveau avec des groupes séparés en français et en math selon le niveau des enfants, évalués dès la 6e. Pourtant, les évaluations existent depuis longtemps en élémentaire, on habitue les enfants à être évalués dès le CP, et même en grande section. 

Quelques outils 

Un site – collectifeducation35.fr – qui a cet avantage de regrouper le matériel militant (pétition, tracts, affiches, calendrier, vidéos…) au-delà des sites des syndicats, y compris en rendant visible les mobilisations des parents et les actions communes parents-profs-élèves. 

Des réunions d’information portées par les parents, notamment par la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), qui rassemble le plus de représentant·es de parents d’élèves, qui dans le département est assez motrice.

Des opérations collèges vides : journées où les élèves n’allaient pas en cours, avec le soutien des profs et des parents. Avantage : les profs ne sont donc pas en grève, mais ont du temps pour lutter, avec les parents parfois, pour aller distribuer des tracts, organiser des réunions d’information, rendre visite aux établissements non mobilisés. Donc le salaire n’est pas retenu, mais du temps est libéré. Autre avantage : les parents jouent un rôle plus important dans ce type de mobilisation selon moi, car cela les oblige à se poser la question de la raison de la mobilisation, de faire le choix de ne pas envoyer leurs enfants au collège. A cet âge, les parents peuvent tout de même laisser les enfants en autonomie tout en allant travailler. Si les collégien·nes étaient mobilisé·es de la 6e à la 3e contre la réforme, on pourrait imaginer qu’iels puissent rentrer dans le collège et organiser une assemblée pour discuter de la loi, des raisons de se mobiliser, et refuser collectivement d’aller en cours. 

Des journées de grèves en alternance avec des mobilisations les samedis : vu les 1000 personnes en manifestation samedi 25 mai à Rennes, il y a peut-être un autre critère que la perte d’une journée de salaire qui fait que les profs ne se mobilisent pas, si même un samedi la mobilisation reste à ce niveau. L’avantage est donc de renforcer ce lien entre familles et professeurs, au-delà du seul cadre des établissements scolaires. Cela ne devrait pas empêcher de reposer la question de la grève commune des profs et des parents, sur plusieurs jours consécutifs, ce qui avait été évoqué mais non validé de peur que ce ne soit pas assez suivi… Peut-être aussi par crainte qu’un certain nombre de professeur·es ne soient finalement pas opposé·es à ce tri des élèves. Tri auquel nous sommes déjà familier·es depuis longtemps par le fonctionnement même des classements des enfants de bien des manières. 

Lien et absences de liens avec les luttes autour de l’école, des élèves, des familles…

Il y a plusieurs luttes qui se mènent autour de la question de l’école, de la scolarisation, des enfants, au sein de l’école ou non. Parfois, ces luttes se croisent, parfois non, ou parfois elles existent côte à côte. L’enjeu n’est pas forcément de mettre tout ensemble dans le mixeur et de parier sur un cocktail explosif, mais de comprendre qu’il y a des logiques communes entre elles et que nous aurions intérêt à renforcer notre compréhension d’ensemble de ces offensives. Nos erreurs ou notre passivité face à certaines d’entre elles ont aussi des conséquences aujourd’hui. Pour exemples, la ghettoïsation d’enfants handicapés, la loi de 2004, ou encore la circulaire contre le port de l’abaya qui habitue l’ensemble des travailleur·ses de l’éducation, les familles et les élèves à ce que certaines se voient refuser l’entrée du fait d’être musulmanes. 

Pour l’accessibilité de l’école aux enfants handicapés 

Une “assemblée inclusion» s’est mise en place ces derniers mois pour réclamer le respect des affectations d’AESH (accompagnant·e d’élèves en situation de handicap) reconnues par la MDPH (maison départementale pour les personnes handicapées) dans laquelle sont investies à la fois des familles, des enfants handicapés avec ou sans accompagnant·e, des parents solidaires, des AESH, des anim… Plusieurs actions ont été menées en parallèle des mobilisations contre la réforme, et certaines écoles ont réussi à arracher les postes d’AESH.

Pour l’hébergement pour tous et toutes

Aujourd’hui les écoles à Rennes sont des lieux d’enseignement, de socialisation, mais aussi des lieux d’accueil, de solidarité entre profs et parents avec ou sans hébergement, avec ou sans papiers. Il y a donc 8 écoles “occupées” par des familles, dont 20 enfants. Des enfants vivent aussi en squat. Des familles de Géorgien·nes dont les enfants étaient scolarisés ont été raflées le 29 février. Quasiment aucune réaction collective des parents et des syndicats alors que les enfants étaient scolarisés à Rennes. Seulement de la stupéfaction, et quelques dizaines de personnes devant l’aéroport le jour de l’expulsion. Le réseau de solidarité se coordonne notamment via un groupe signal mais il n’existe malheureusement pas de mobilisation de rue significative à la hauteur de l’enjeu. Car si on refuse le tri entre élèves, il y a un enjeu majeur à refuser tout tri raciste dont les expulsions de familles sans-papiers. Les expulsions peuvent être évitées, mais il faut que l’ensemble du mouvement de l’éducation s’empare de cette question. 

Pour le droit de vivre en tant que jeunes trans, racisé·es, musulman·es, migrant·es

On le voit à Paris, Blois, Clermont-Ferrand, Marseille, des centaines de mineur·es ne sont pas scolarisés. L’été dernier, Nahel est tué par un policier qui n’était absolument pas en danger. En septembre, la circulaire contre le port des abayas était mise en application. Depuis cet automne, des lycées se sont mis en action contre la réforme du choc des savoirs et contre la guerre menée par Israël à Gaza. En janvier, Attal a annoncé que le SNU devrait être généralisé et obligatoire pour tous les jeunes d’une même classe d’âge. Ce 28 mai, les Républicains ont présenté leur proposition de loi contre l’accompagnement médical des jeunes trans. 

Nous voyons que de multiples fronts existent en lien direct avec l’Ecole comme lieu de vie, de sociabilisation, de lutte, parfois liés, parfois non, face à ces diverses situations de violence, de division, de discrimination et d’exploitation. Il y aurait donc un fort intérêt à lier le collectif éducation 35, les syndicats de profs, les organisations de parents, l’inter-organisation de soutien aux personnes exilées, l’assemblée logement, les organisations trans et féministes. Ces cadres ne se croisent que trop peu, mais ont beaucoup à faire en commun. 

Solen Febe (Rennes)