
Tous les ans, dans le 20-ème, dans le cimetière de Charonne, durant le week-end le plus proche du 6 février, plusieurs organisations fascistes, de mouvance différente, qui vont des nationalistes révolutionnaires (GUD), au royaliste (action française), et au pétainisme, viennent se recueillir sur la tombe de Robert Brasillach, un écrivain et intellectuel fasciste, antisémite, formé à l’action française, collabo durant l’occupation, et fusillé le 6 février 1945. Le GUD, organisation gazeuse, elle-même connue pour son antisémitisme décomplexé et sa violence de rue (2 de ses membres ayant assassiné un homme, Aramburu, en plein paris en 2022), est à l’initiative depuis 2023 de « recueillements » d’ampleur inédite : ces 2 dernières années, quarante de leurs membres, armés, se sont rendus sur la tombe de Brasillach.
Les Cahiers d’A2C #16 – mars 2025
Depuis des années, les fascistes peuvent donc rendre hommage à leurs morts sans qu’une riposte antifasciste massive ne soient mise en place dans le quartier.
Le 20ème est pourtant un quartier populaire, un quartier ouvrier historique de Paris, un quartier multiculturel ou cohabitent des sans-papiers, des personnes queers et des personnes racisées soient des personnes qui figurent parmi les premières cibles des fachos.
Le quartier de Belleville est aussi un quartier accueillant une très forte communauté juive d’origine immigrée en provenance d’Afrique du nord et d’Europe de l’est, et a été un centre politique important pour cette communauté, qui a pesé dans le mouvement ouvrier. L’enjeu pour l’arrondissement, de refuser cette entrée aux fachos est donc important.
Les années précédente, les seules réaction que nous connaissons ont consisté en des « rondes antifascistes », bref des mobilisations d’une vingtaine de militant.es au plus et non jamais réussi à interdire le quartier aux nazis.
Si nous soutenons ces initiatives, leurs carences nous mènent à penser que l’antifascisme ne doit pas se limiter aux pratiques dites « autonomes » ou « clandestines » qui ne cherchent pas à mobiliser plus loin qu’un groupe affinitaire.
L’antifascisme doit être l’affaire de tout.es, il doit constituer un mouvement social de masse, qui puisse réunir toutes les franges de notre classe.
Car le danger fasciste progresse et est plus fort que jamais.
Nous partageons le choc de voir Donald Trump, de retour au pouvoir, organiser la déportation de milliers d’immigré.es et prévoire de transformer Guentanamo en centre de concentration pour les migrant.es. Il mène également des politiques lgbtqphobes, particulièrement violentes envers les personnes trans. Trump appelle au nettoyage ethnique de la bande de Gaza, après un an de de génocide par Israël et l’intensification du colonialisme en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Nous n’oublions pas qu’Elon Musk, son bras droit et l’homme le plus riche du monde, a effectué 2 saluts nazis pendant son meeting d’investiture, et affirme soutenir économiquement l’AFD, parti néo-nazi en Allemagne.
Les partis fascistes prennent de plus en plus de poids dans les sociétés européennes. A Paris, des militants d’extrême droite viennent provoquer et agresser les jeunes mineurs isolés et leurs soutiens qui luttent courageusement depuis près de 2 mois à la gaité lyrique qui est aujourd’hui le bastion de la lutte antiraciste à Paris. A Assas et Tolbiac, des militants de la cocarde agressent des étudiants identifiés comme « progressistes». Dimanche 16 février, une vingtaine de membres du GUD a attaqué, armée de bâtons et de couteaux, une projection antifasciste à Paris, envoyant une personne à l’hôpital. Cette exacerbation des agressions fascistes est un corollaire de la position dominante du Rassemblement National, parti fasciste dont les liens avec le GUD ne sont plus à prouver. Le gouvernement en place, à travers notamment Bruno Retailleau, prend parti pour ces fascistes et les renforce par ses politiques racistes et autoritaires.
Face à l’urgence de la situation, ne rien faire est suicidaire. Face à l’ampleur de la situation, croire pouvoir contenir le danger solo avec ses potes qui poussent de la fonte est une erreur. Il convient d’agir, maintenant et conséquemment : c’est pourquoi nous parlons donc d’organiser une riposte antifasciste massive, et par tous les moyens.
C’est la raison pour laquelle le collectif antifasciste du 20ème a décidé de s’organiser contre la venue des fascistes, et a cherché à mobiliser le plus largement possible dans le quartier. Mi-janvier a été actée l’organisation d’une manifestation déclarée, qui nous a paru être la meilleure manière d’allier confrontation directe -repousser les fasciste physiquement en profitant d’un rapport de force numérique- et travail unitaire -miser sur une réponse traditionnelle et historique du mouvement ouvrier en espérant qu’on s’en saisisse largement. Et, de fait, nous avons nous-même été surpris.e de la réussite de cette campagne unitaire. Au cours de 3 semaines, ponctuées de 3 réunions d’organisation rassemblant plus d’une soixantaine de personnes, nous avons réussi à récolter plus de 30 signataires, associations, collectifs d’habitan.tes en lutte, syndicats, partis, nous avons aussi eu de nombreuses discussions avec les habitant.es et commerçant.es pendant nos tractages et collages, qui témoignaient d’une envie commune de repousser les fachos de nos quartiers.
Le samedi 08 février, la manifestation s’est bien déroulée, dans une ambiance familiale, musicale grâce à la présence d’une fanfare, mais déterminée et revendicative. Au pic du défilé, nous étions plus de 500 à crier notre haine des fascistes, du racisme, du RN dans les rues du 20e. Intéressé.es par les slogans, il est arrivé quelques fois que les habitant.es que nous croisions viennent d’elleux-même nous demander des tracts. Des travailleur.euses sont sorti.es de leur lieu de travail applaudir au passage du cortège. Il nous a été rapporté que certain.es habitant.es, sans y participer, étaient au courant de l’objet de la manifestation, ce qui résulte de la détermination qu’ont eu nos camarades à communiquer dans le quartier. C’est un premier pas, et peut-être qu’à la prochaine nous les gagnerons et manifesterons avec elleux.

Nous croyons que cette initiative est un succès, car elle prouve qu’en s’auto-organisant à l’échelle locale, il est possible d’organiser une riposte de poids face aux fascistes. Il convient néanmoins de faire notre auto-critique.
Si le GUD n’a pas été signalé du week-end dans le quartier, d’autres groupuscules fascistes, moins nombreux, ont rendu leurs « hommage » au collaborationniste, le samedi matin.
Pourquoi ne renions-nous pas notre victoire ? Ce n’est pas rien d’avoir réussi à empêcher le GUD, qui de par sa violence représente un danger sérieux pour les habitant.es de tout quartier populaire, de défiler. Quand le camp antiraciste et antifasciste est accusé à tort (bien que comme pour toutes les autres formes de racismes et de discriminations, les auto-critiques se doivent d’être menées) d’être le nouveau visage de l’antisémitisme, c’est une victoire que d’avoir réussi à restreindre les hommages rendus à un antisémite collaborateur des nazis, par des antisémites néo-nazis.
De plus, nous l’avons dit : cette manifestation a permis et a été le produit d’un travail unitaire conséquent. Nous avons réussi à convaincre largement de la nécessité de s’opposer physiquement aux fascistes. A l’heure où une bonne partie des camarades du milieu antifasciste peine à sortir du sectarisme, à l’heure où le RN et consorts apparaissent comme des interlocuteurs respectables (et donc, on débat des idées, mais on affronte pas ceux qui les portent !), cette initiative, modestement -à son échelle de quartier- nous rappelle ce dont notre classe a besoin pour faire face au danger fasciste : une unité, certes, mais une unité d’action. Nous devons reconstruire une tradition antifasciste de confrontation, qui garantisse qu’aucun nazi ne soit accepté nulle part. Une tradition antifasciste unitaire, qui incite toutes les organisations syndicales et politiques, tout.es les résident.es d’un quartier, à agir ensemble face à leur plus grand danger commun.
C’est à ce titre que nous pensons que les liens créés ce mois précédent avec les différents signataires de notre appel antifasciste, et avec l’ensemble des participant.es de la manif sont très importants. Ils peuvent permettre de construire un cadre unitaire de long terme pour lutter activement contre le fascisme dans notre arrondissement.
Parce que ces liens ne vivront pas d’eux-même, et que nous devons déjà penser à élargir la lutte, nous pensons également qu’il est urgent d’avoir des occasions de discussions et de rencontres, dans nos quartiers, pour que chaque personne puisse se saisir de l’antifascisme et pour que la dynamique antifasciste du début du mois de février ne recule pas.
Le fascisme c’est la gangrène, on l’élimine -toustes- ou on en crève – toustes.